Entretien avec Jérôme Doyon, professeur junior au CERI

06/07/2023

 Quel a été votre parcours académique jusqu’à aujourd’hui et quels sont vos thèmes de recherche actuels ?

Jérôme Doyon : J’ai débuté mon parcours universitaire à Sciences Po, j’ai étudié de la licence au doctorat, posant ainsi les bases de ma formation en sciences sociales et de mon intérêt pour la politique chinoise. J’ai ensuite passé quelques années à l’université Columbia dans le cadre de l’accord de double doctorat avec Sciences Po. Cela m’a permis de me former à une autre manière d’approcher la science politique, plus quantitative et positiviste, m’obligeant à questionner, à faire évoluer et surtout à mieux défendre ma propre approche, davantage marquée par le terrain et la sociologie politique francophone. Après avoir soutenu mon doctorat en 2016, j’ai passé plusieurs années entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, dans le cadre de différents postdocs ou postes à SOAS (School of Oriental and African Studies), Oxford, Harvard et à l’université d’Edimbourg. Ces séjours m’ont permis d’entrer en discussion avec différentes communautés universitaires et de développer mes recherches sur l’évolution de l’État-Parti chinois. 

Je m’intéresse aux dynamiques propres au Parti communiste chinois (PCC) – touchant aux réseaux internes, à la discipline organisationnelle, et aux mécanismes mis en place pour maintenir la loyauté de ses membres – ; à ses rapports avec différents pans de la société – en particulier les stratégies visant à surveiller, contrôler et coopter les minorités ethniques et religieuses, les étudiants, et la diaspora – et au déploiement de ses modes d’opération au-delà des frontières chinoises.

Comment et pourquoi en êtes-vous venu à travailler sur la Chine ?

Jérôme Doyon : Je dois dire que si j’étais déjà attiré par la langue et la culture chinoise pour des raisons personnelles, Sciences Po a joué un rôle important dans mon ouverture au monde chinois. C’est lors de ma première année rue Saint-Guillaume que j’ai commencé à apprendre le chinois. J’ai pu approfondir cet apprentissage et me confronter à la réalité du pays, grâce à une troisième année passée à l’université de Pékin. J’ai ensuite réalisé mes premiers séjours de terrain dans le cadre du master de recherche spécialité Asie et durant mon doctorat, j’ai également passé une année comme chercheur invité à l’université Tsinghua. Cette affiliation m’a fourni un accès unique pour mon travail de terrain et m’a aussi permis de créer des liens avec des politistes et sociologues chinois, notamment du département de science politique de Tsinghua, qui constituait un îlot de relative liberté au sein de l’université. Si les restrictions liées à la pandémie de Covid-19 et au durcissement politique ont été un coup d’arrêt, m’obligeant à étudier la politique chinoise à distance, je compte bien renouer avec le travail de terrain au plus vite.  


Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre ouvrage Rejuvenating Communism. Youth Organizations and Elite Renewal in Post-Mao China ?

Jérôme Doyon : Mon deuxième ouvrage, Rejuvenating Communism: Youth Organizations and Elite Renewal in Post-Mao China (paru en 2023 chez University of Michigan Press), part d’un constat : malgré les nombreux choix professionnels offerts par un marché du travail libéralisé, travailler pour l'administration reste l'un des parcours les plus convoités par les jeunes diplômés chinois. Qu'est-ce qui motive ces jeunes Chinois à s'engager dans une carrière de long terme au sein de l’État-parti ? Cette question est centrale pour mieux comprendre la capacité du régime chinois à renouveler son élite et à survivre. Pour y répondre, mon travail de terrain s’est concentré sur les premières étapes de la professionnalisation politique dans les organisations de jeunesse du Parti communiste chinois : comment ces structures sélectionnent et cultivent de futurs cadres dès leur entrée à l’université ; comment ces recrues sont progressivement transformées par cette expérience politique fondatrice, développant à la fois le goût pour une carrière politique ainsi que des réseaux politiques embryonnaires et comment ces processus participent de l’homogénéité du recrutement politique en Chine (les femmes étant très tôt marginalisées). Dans l’ensemble, ce livre met en lumière les mécanismes qui permettent au Parti communiste chinois de renouveler ses rangs en attirant de jeunes diplômés et d’entretenir la cohésion des élites politiques. Je souligne notamment le rôle joué par les ressorts sociaux et symboliques dans le développement d’un engagement politique en contexte autoritaire.  

Quelles sont les principales orientations des recherches que vous souhaitez mener dans les prochaines années ?

Jérôme Doyon : Je compte poursuivre mon travail sur le Parti communiste chinois, notamment en me penchant sur sa transnationalisation. C’est la première fois qu’un parti politique se globalise à cette échelle, avec autant de ressources et sans s’appuyer sur l’intermédiaire de partis locaux comme au temps de l’internationale communiste. Dans ce contexte, j’étudie sur la façon dont le Parti communiste chinois exporte ses modalités organisationnelles et des pratiques politiques marquées par l’opacité, la cooptation, et le maintien d’une stricte discipline organisationnelle afin de promouvoir un environnement international favorable à l’ascension chinoise. 

Participez-vous à des projets collectifs ?  

Jérôme Doyon : J’ai pour objectif de participer au renforcement d’une communauté de recherche, à Sciences Po et au-delà, sur la politique chinoise, mais aussi plus largement sur la politique des régimes autoritaires. C’est pour aller dans ce sens qu’avec des collègues venant d’institutions et de disciplines variées, nous avons récemment créé un groupe thématique au sein de de l’Association française de science politique qui s’intitule Démocraties, autoritarismes et illibéralismes.

Propos recueillis par Corinne Deloy

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