Fukushima, un regard sur la société japonaise

10/03/2012

  Article publié le 10 mars 2012, en partenariat avec Ouest France

« Kizuna » : le lien. La relation entre les gens. C'est l'idéogramme que les Japonais ont choisi, comme à la fin de chaque année, pour caractériser 2011. Pas « séisme », ni « tsunami », ni « radiations », mais un mot qui évoque la chaleur d'être ensemble dans l'épreuve. On n'a jamais vendu autant de bagues et d'alliances dans l'archipel. Mais est-ce espérance ou nostalgie ? Les Japonais ont-ils choisi « kizuna » pour se réjouir d'avoir vu la solidarité à l'oeuvre, ou pour regretter qu'elle ne le soit pas assez ?

Une autre expression est apparue pour parler du cataclysme. « Dai san no haisen » : la troisième grande défaite. La première fut l'irruption brutale des canonnières occidentales dans l'archipel en 1853. La deuxième, la défaite de 1945. Après chacune, le pays mobilisa une formidable énergie collective pour rebondir plus haut. En y faisant référence, les Japonais pensent-ils au drame ou au rebond ? Deux questions sans réponse.

L'après-Fukushima est flou. Difficile à saisir. À Tokyo récemment, en quinze jours, j'ai senti six fois la terre trembler. Sous l'archipel, les plaques tectoniques ébranlées il y a un an n'en finissent pas de se remettre en place. Le processus prendra des décennies, et nul ne peut prédire ce qu'il en adviendra. Ainsi en est-il aussi de la société japonaise. Elle vivra jusqu'après 2050 sous l'ombre de Fukushima, où les autorités estiment qu'il faudra au moins quarante ans pour réhabiliter les zones évacuées.

Partout dans les régions dévastées, les camions déversent d'énormes bennes de débris en vrac. Des pelles mécaniques séparent le bois, la ferraille, les gravats, le plastique. Puis des hommes ratissent finement les déchets, récupérant tout ce qui peut constituer un souvenir, une marque d'identification. Ténacité, organisation, minutie que rien ne décourage... c'est le Japon à son meilleur. Mais le « kizuna » ? Les préfectures sinistrées, qui doivent traiter vingt millions de tonnes de débris - ou le double ? -, ont demandé aux autres de les y aider. À l'heure actuelle, seule Tokyo a accepté.

Le Japon, malmené par vingt ans de crise, peine à se trouver un grand dessein collectif. L'opinion est désabusée. Un lourd discrédit frappe la classe politique, incapable d'oublier ses querelles pour faire face à la situation. Les médias sont soupçonnés de mentir sur Fukushima. La réputation d'excellence des grandes entreprises a été ruinée par les turpitudes de Tepco, l'opérateur de la centrale, et celle de l'administration parce qu'elle les a couvertes. Tous ces piliers de la confiance nationale étaient minés par la crise. Le séisme les a effondrés.

L'idée qu'un grand bien peut sortir de ce drame est souvent évoquée. Le parc nucléaire, qui fournissait au Japon 30 % de son énergie, est aujourd'hui quasiment à l'arrêt. Cette expérience en fera-t-elle le modèle d'un avenir non-nucléaire pour la planète ? Les zones dévastées sont de véritables tables rases qui pourraient devenir le laboratoire d'un urbanisme aux normes écologiques les plus avancées, utilisant massivement les énergies renouvelables et préservant la nature au coeur des villes. Une occasion unique s'offre au Japon de devenir un exemple pour le monde. Les autorités et l'opinion en ont conscience. Mais celle-ci résistera-t-elle à l'urgence de rendre au plus vite un toit aux sinistrés ? Résistera-t-elle aux contraintes budgétaires et à la faiblesse des moyens légaux qui permettraient à l'État d'imposer ses vues sur l'aménagement du foncier ? Encore une question sans réponse...

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