La guerre vue du Maghreb. Entretien avec Luis Martinez
Propos recueillis par Corinne Deloy
Les pays du Maghreb sont unis dans la dénonciation de la guerre qui fait rage à Gaza et dans le soutien aux Palestiniens. Qu’en est-il de la position de chacun des Etats en particulier ?
Luis Martinez : Si en ce qui concerne des partis politiques et des associations, la dénonciation de la réaction militaire israélienne à Gaza semble unanime, les choses sont plus nuancées du côté des gouvernements. L’Algérie est en tête de la dénonciation officielle et soutient des actions juridiques internationales contre l’Etat hébreu. Elle est très proche de l’Afrique du Sud dans ses accusations d’intention de génocide des Gazaouis par Israël. La Tunisie de Kais Saeb est aussi dans la dénonciation de la guerre menée par Israël à Gaza. En revanche, le Royaume du Maroc est dans une position très difficile car le pays a normalisé ses relations avec Israël, il s’est associé aux accords d’Abraham et il a commencé une coopération militaire avec Tel Aviv. La gêne est perceptible car cette politique est en décalage avec l’opinion publique.
Diriez-vous que les pouvoirs en place dans les Etats du Maghreb utilisent la carte palestinienne pour mobiliser leurs populations contre Israël et ainsi éviter que les problèmes socioéconomiques et politiques intérieurs soient abordés ?
Luis Martinez : Le sentiment anti-israélien est très fort au Maghreb car la question palestinienne a toujours importante pour des pays comme la Tunisie, l’Algérie et la Libye. C’est moins vrai pour le Maroc. La guerre menée par Israël à Gaza est si horrible qu’elle offre aux gouvernements des pays du Maghreb la possibilité de laisser des mouvements de protestation se défouler contre l’Etat hébreu mais aussi contre les pays occidentaux qui soutiennent ce dernier.
Quelle est l’ampleur des manifestations de rues contre Israël dans les pays du Maghreb où le droit de manifester est parfois bafoué ?
Luis Martinez : Les manifestations contre Israël permettent de renouer avec les grandes manifestations qui ont jalonné la décennie 2010 (des révoltes arabes au hirak algérien). Il y a des manifestations mais il y aussi des actions de boycott de produits ou de grands distributeurs comme l’entreprise Carrefour, accusés de soutenir l’Etat hébreu. La guerre à Gaza a réveillé ce sentiment d’injustice, qui était à son apogée après l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, de deux poids, deux mesures. Ainsi, les pays du Maghreb déplorent la différence de traitement entre l’Ukraine et Gaza. Ils constatent la solidarité totale qui existe avec l’Ukraine pour que celle-ci recouvre son intégralité territoriale alors que l’occupation des territoires occupés palestiniens par Israël est accepté. De plus, ils observent avec effarement la destruction systématique de Gaza par l’armée israélienne, une action qui ne provoque ni réactions ni sanctions.
Cette différence éloigne encore un peu plus les pays du Maghreb de l’Europe. Seule l’Espagne a émis une critique publique de la politique de Netanyahou. Madrid a appelé à la mise en œuvre de la solution à deux Etats, il a condamné les « tueries aveugle de Palestiniens à Gaza ». Le 27 novembre 2023, en réaction aux propos du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, l’Etat hébreu a refusé de participer à la réunion de l’Union pour la Méditerranée, qui regroupe quarante-trois pays du bassin méditerranéen et qui était organisée à Barcelone.
Comment le Maroc, qui a normalisé ses relations avec Israël depuis 2020, se positionne-t-il aujourd’hui ? Les relations entre Rabat et Tel-Aviv pourraient-elles être affectées par la guerre et de quelle façon ?
Luis Martinez : La monarchie marocaine est prête à prendre tous les risques, y compris celui de maintenir des relations avec Israël dès l’instant où cette relation permet au Royaume de bénéficier du soutien des Etats-Unis et des monarchies du Golfe à propos du Sahara occidental. La priorité du Maroc n’est pas la Palestine mais la reconnaissance du Sahara occidental comme province autonome du Royaume. Cependant, si la guerre menée par Israël à Gaza se traduit par l’expulsion des Gazaouis en Egypte ou Jordanie, il sera très difficile pour le Maroc de continuer à afficher ses relations avec Israël.
Propos recueillis par Corinne Deloy
Photo de couverture : Jeune garçon portant le drapeau palestinien lors du rassemblement pro-Palestine et anti-Israël à Tunis le 19 octobre 2023 après l'explosion d'un hôpital dans la bande de Gaza. Crédit : artaxerxes_longhand pour Shutterstock.