La puissance par l'image. Les Etats et leur diplomatie publique
Christian Lequesne répond à nos questions à l'occasion de la parution de La puissance par l'image. Les Etats et leur diplomatie publique aux Presses de Sciences Po (colection L'Enjeu mondial)
Pouvez-vous en quelques mots nous présenter l’ouvrage que vous avez dirigé ? Comment est-il né ? Comment l’avez-vous pensé ?
Christian Lequesne : C’est le premier ouvrage entièrement consacré en France à un phénomène très étudié dans le monde anglophone : la diplomatie publique. Après avoir lu pendant plusieurs années l’abondante littérature en anglais sur le sujet, je me suis dit qu’il serait utile de faire un livre pour le lectorat francophone en ayant recours aux compétences de collègues de plusieurs disciplines. Je voulais aussi réunir des chercheurs de plusieurs générations, car j’ai à cœur de fédérer une communauté de chercheurs autour de l’étude des pratiques diplomatiques. Quand le directeur du CERI et la directrice des Presses de Sciences Po m’ont demandé si j’avais une idée pour la collection « Enjeu mondial », j’ai proposé ce sujet qui les a tout de suite intéressé. Il m’a semblé d’emblée que, pour un ouvrage devant être lu par un public large, il valait mieux favoriser des chapitres thématiques que des études de cas nationales. A l’exception du chapitre sur la diplomatie publique de la Chine qui s’imposait en raison du déploiement particulier de la pratique chinoise, les autres chapitres portent sur tous des sujets ou des acteurs transversaux : les médias sociaux, la diffusion télévisuelle, les réseaux de l’enseignement secondaire, le renseignement, les organisations non gouvernementales.
Qu’appelez-vous « diplomatie publique » ? De quand date l’apparition de ce concept ? En quoi est-il différent de ce que l’on qualifie de soft power ou encore de propagande ?
Christian Lequesne : La diplomatie publique comme toute pratique de diplomatie est une médiation visant à réduire la distance entre deux entités politiques, le plus souvent mais pas toujours des Etats. Il s’agit d’un acte rationnel visant à promouvoir à l’échelle internationale l’attractivité d’une entité politique pour renforcer sa puissance. En France, on parle de la diplomatie d’influence. Le soft power décrit aussi la recherche de puissance par l’attractivité (et non la coercition), mais sans que celle-ci soit nécessairement l’objet d’une action volontariste de la part d’une autorité politique. Il résulte souvent des micro-actions non organisées déployées par les acteurs sociaux. Les universités américaines par exemple contribuent au soft power des Etats-Unis sans qu’il y ait une politique volontariste forte de l’Etat fédéral en la matière. La frontière entre propagande et diplomatie publique est plus difficile à établir, mais –comme Joe Nye l’a bien souligné – l’une et l’autre ne vise pas les mêmes objectifs. La diplomatie publique cherche à attirer en véhiculant des messages et des images positifs. Elle est libérale au sens où les acteurs restent libres d’y adhérer ou non. Au contraire, la propagande impose et elle le fait souvent par la voie de la violence. Si vous n’adhérez pas, vous êtes considéré comme un ennemi.
Peut-on être au XXIe siècle une puissance sans soft power ? Et à l’inverse, peut-on être une puissance sans hard power ? La force n’est-elle pas toujours indispensable pour s’affirmer dans le concert des nations ?
Christian Lequesne : Idéalement, il est préférable pour un Etat de cumuler le hard power et le soft power pour être une puissance complète ; Nye parle de smart power : C’est la combinaison de l’attractivité et du maniement du bâton pour se faire respecter. Mais selon les Etats, le soft et le hard n’occupe pas les mêmes proportions. Prenez l’Union européenne (qui certes n’est pas un Etat mais une communauté d’Etats), elle est clairement plus douée pour le soft power que pour le hard power. La République populaire de Chine, parce que son principal rival et modèle de puissance sont les Etats-Unis, cherche depuis plusieurs années à combiner son hard power (sa capacité de défense militaire) à une diplomatie publique, avec les Routes de la soie, l’aide au développement, les bourses délivrées aux étudiants étrangers. Sauf que la diplomatie publique chinoise trouve ses limites dans l’incapacité des dirigeants chinois à éviter la propagande agressive. Cette dernière est contre-productive pour le soft power, car elle produit de la défiance internationale à l’égard de la puissance. Quand l’ambassadeur de Chine en France traite un chercheur de « petite frappe », il ne mesure pas qu’il entame complètement l’image et donc la puissance de la Chine à l’échelle internationale.
Comment se mesure le soft power qui ne relève pas seulement de l’action d’un Etat ?
Christian Lequesne : Il se mesure en prenant en compte la variété des acteurs qui composent les relations internationales et qui développent une capacité à agir ; ce que l’on appellerait en anglais l’actorness. Il faut étudier les ONG mais aussi les universités, les musiciens (comme les rappeurs en France), les artistes et les conservateurs de musées qui produisent également du soft power. Quand vous êtes à Berlin et que vous visitez les formidables collections permanentes des musées de peinture, vous ne pouvez pas vous empêcher d’associer l’Allemagne à une puissance culturelle. Il est important également de prendre en compte le rôle des acteurs politiques infra-étatiques, ce que les spécialistes des relations internationales appellent l’étude de la paradiplomatie. Les villes, les régions, les Etats fédérés dans les régimes fédéraux développent des politiques publiques qui contribuent à établir un soft power.
Comment peut-on comprendre que des Etats autoritaires comme le sont la Chine ou la Russie disposent néanmoins d’une diplomatie publique ?
Christian Lequesne : La pérennisation du pouvoir est aussi importante pour les Etats autoritaires que pour les démocraties libérales. Souvent, la coercition permet de montrer sa puissance dans la courte durée (typiquement l’invasion militaire d’un territoire, comme celle de la Crimée par la Russie en 2014). A l’inverse, une diplomatie publique sert votre puissance sur le long terme. Mais le soft power d’un pays n’est jamais figé ni exempt de changement. Prenons l’exemple de la Grande-Bretagne et des jeunes citoyens de l’Union européenne. Avant le Brexit, l’attractivité britannique (notamment celle de la ville de Londres) était forte car porteuse d’une image de dynamisme économique, de multiculturalisme tolérant et d’ouverture à l’immigration. Le Brexit a totalement inversé cette image en construisant l’image d’une Grande-Bretagne devenue intolérante aux étrangers et fermée, et ce malgré la diplomatie publique de Boris Johnson cherchant à promouvoir une « Grande-Bretagne globale ».
Comment les nouvelles technologies ont-elles modifié la pratique de la diplomatie publique des Etats ?
Christian Lequesne : Elles ont amené de nouveaux outils qui permettent plus facilement aux Etats de communiquer directement avec les sociétés et les individus en dehors de leurs frontières nationales. Un diplomate moderne doit passer du temps à twitter, à soigner la page Facebook de l’ambassade, etc. Mais les médias sociaux permettent aussi de véhiculer facilement et rapidement des informations totalement fausses à destination des sociétés du monde entier. Cela requiert donc de la part de chaque Etat une vigilance et une capacité à allumer des contrefeux si les fausses nouvelles ont trop de prise sur le fonctionnement de vos institutions (pendant une élection par exemple). Par définition, il est difficile de contrer les réseaux sociaux car il est difficile d’identifier les flux d’informations qu’ils véhiculent et, plus encore, de les attribuer à un acteur précis.
L’un des Focus du livre s’intitule La diplomatie culturelle, une pratique française. Pouvez-vous nous parler de cette spécificité de la France ?
Christian Lequesne : L’Etat français organise depuis le XIXe siècle une promotion volontariste de ses biens culturels, y compris de sa langue. Les instituts français, les alliances françaises, les lycées français à l’étranger sont les véhicules de cette diplomatie culturelle. En attirant les enfants des élites des pays étrangers dans les lycées français, il va de soi que la France cherche à consolider sa puissance. Le problème de la diplomatie culturelle de la France est qu’elle repose beaucoup sur des structures permanentes à l’étranger que l’Etat n’a plus les ressources de financer. La diplomatie en général ne constitue jamais une priorité pour les parlementaires qui votent les lois de finance quand il faut réduire les dépenses. Certains députés et sénateurs y voient simplement des activités secondaires qu’ils ont parfois du mal à ne pas assimiler aux paillettes et petits fours. Comme l’administration française a rarement le courage de fermer des structures existantes, ces dernières ont parfois tendance à survivre sans grands moyens opérationnels. Ceci est une invitation à repenser la diplomatie culturelle en dehors des structures incarnant des présences officielles de l’Etat, comme les instituts français. Je suis persuadé que l’action culturelle légitime doit se concentrer de plus en plus sur des opérations hors les murs des ambassades et en partenariat avec les acteurs sociaux des pays d’accueil.
Propos recueillis par Corinne Deloy
Christian Lequesne nous parle de La puissance par l'image.
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Le 23 septembre, entre 17h30 et 19h30, un débat est organisé au CERI pour le lancement de l’ouvrage
Les États et la diplomatie publique en 2021.
Programme
Mot d’introduction par Alain Dieckhoff, directeur du CERI.
Présentation du livre par Christian Lequesne.
Intervenant.e.s :
Sylvain Beck (Université Paris 4), Concurrences mondiales autour de l’offre d’éducation : le cas de l’enseignement français à l’étranger
Auriane Guilbaud (Université Paris 8), Les ONG dans la diplomatie publique des États
Tristan Mattelart (Université Paris 2), Les chaînes internationales de télévision, soutiens de la parole d’État
Benjamin Oudet (Université Paris 2), Diplomatie publique et pratique du renseignement
Stéphane Paquin, (École nationale d'administration publique, ENAP-Montréal), La diplomatie, Internet et les réseaux sociaux (en distanciel)
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