Appel aux actes. La science politique, par et avec le handicap

Compte rendu de la table ronde semi-plénière tenue à l’AFSP
par Augustin Normand (doctorant au CERI)

Le 1er juillet dernier ont eu lieu les Rencontres de l’Association française de science politique (AFSP) à l’Université Sorbonne nouvelle à Paris. A cette occasion s’est tenu un panel intitulé : « la science politique, par et avec le handicap », réuni et modéré par Augustin Normand, doctorant au CERI. A l’occasion des 20 ans de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, cette table ronde a proposé un bilan de la prise en compte du handicap dans la discipline et dans l’enseignement-supérieur, à travers les regards croisés d’un panel composé de chercheur(euse)s en situation de handicap et non handicapé(e)s, d’acteur(rice)s de politique publique, et du monde associatif. Pour la première fois dans son histoire, l’AFSP s’emparait du thème du handicap au cours de l’une de ses réunions.

Le handicap, un enjeu politique

Augustin Normand, doctorant en relations internationales et études européennes au CERI, rappelle combien le handicap constitue un enjeu politique. La loi du 11 février 2005 a entraîné une forte augmentation du nombre d’étudiant.e.s en situation de handicap dans l’enseignement supérieur. Ils.elles étaient 6 500 en 2005, ils.elles étaient 64 000 à la rentrée 2023.  La loi dispose qu’il revient à l’action publique d’adapter les environnements pour permettre la participation des personnes en situation de handicap à la vie de la cité, le handicap constituant ainsi un objet de politiques publiques, parmi lesquelles l’enseignement supérieur. 

Pourtant à ce jour, la science politique ne s’est pas interrogée sur le rôle du handicap dans la conduite d’une recherche, et la loi de 2005 présente de nombreuses limites. Celles-ci, rappelées par une commission d’enquête parlementaire en 2019, comprennent l’incomplète accessibilité du bâti, les inégalités de parcours et les inégalités d’accompagnement du handicap, d’ailleurs considéré insuffisant. 

Ce double constat, disciplinaire et politique, interroge les liens entre la science politique et le handicap.

Le handicap, un enjeu de réflexivité et un sujet sous-étudié en science politique 

Le handicap questionne la conduite des carrières et les méthodes des chercheur.euse.s concerné.e.s. Jacques Sémelin, historien et politologue français, directeur de recherche émérite au CERI, a montré comment, malgré les discriminations, il est possible de faire carrière dans la recherche en situation de handicap. Vous trouverez son témoignage, présenté lors des Rencontres, en suivant ce lien. Il souligne que des aménagements raisonnables, humains et techniques, et un accompagnement par les laboratoires permettent le déploiement des carrières, malgré le handicap. Le handicap favorise des analyses renouvelées des objets de recherche. Loin de la « dictature des images », il a par exemple choisi d’étudier la radio pour analyser les mécanismes de résistance aux régimes communistes en Europe de l’Est. 

Manon Taochy, doctorante en sociologie de la santé au Sophiapol de l’université Paris Nanterre, ainsi que membre du Conseil d’administration de la fédération 100% Handinamique, fédération nationale d’étudiant(e)s en situation de handicap militant pour davantage d’inclusion à l’université, a montré comment une recherche sur le handicap, lorsque l’on porte la pathologie concernée, fait émerger des enjeux de neutralité. Les chercheur(euse)s concerné(e)s parviennent à les désamorcer, au point de se demander si les chercheur.euse.s en situation de handicap ne seraient pas les mieux placé(e)s pour analyser les sujets relatifs au handicap. Le handicap constitue un enjeu de réflexivité dont la science politique doit s’emparer, que l’on soit en situation de handicap ou non, afin de clarifier les conditions d’obtention des données. 

Le handicap constitue également un axe de travail encore sous étudié, comme l’a rappelé Pierre-Yves Baudot, professeur de sociologie à l’IRISSO de l’Université Paris Dauphine/PSL. Il montre, à travers une revue exhaustive des travaux existants, que le handicap est scientifiquement dans une situation comparable à celle des études de genre dans les années 1990. Le handicap est pourtant à même de questionner des concepts majeurs de la discipline, la participation notamment électorale, le contrat social, ou l’intersectionnalité.

« [Sur le handicap] on est à l’équivalent des années 1990 pour la théorie du genre » Pierre-Yves Baudot, IRISSO, Paris Dauphine/PSL.

La table ronde s’est ensuite penchée sur le bilan de la loi de 2005, à travers des prises de parole d’acteur.trice.s de la politique publique du handicap à l’université. 

Une massification des étudiants en situation de handicap, mais une loi encore trop rarement appliquée

Alain Bouhours, chef du Département de la Réussite et de l’Egalité des chances au ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a rappelé que la loi de 2005 avait entraîné une massification du nombre d’étudiant.e.s en situation de handicap dans l’enseignement supérieur, multiplié par 9 depuis 2005. Il a ensuite indiqué ses principales dispositions, dont plusieurs concernant l’université, à savoir l’accessibilité, notamment du bâti, le droit à compensation, l’insertion professionnelle. Les établissements d’enseignement supérieur doivent inscrire les étudiants handicapés à leurs cursus selon les mêmes modalités que les autres étudiants et mettre en œuvre les aménagements nécessaires à la poursuite de leur parcours académique. Depuis 2017, des engagements ont été pris pour aménager les modalités pédagogiques, comme les emplois du temps, et les budgets dédiés au handicap au sens large ont été triplés en quelques années, passant de 7,5 millions d’euros en 2021 à 25 millions d’euros en 2024.

La loi s’inscrit néanmoins dans un corpus juridique plus vaste, notamment international, que la France n’applique que partiellement. Elle a été rappelée à l’ordre par l’ONU en 2021 pour son développement insuffisant d’une approche du handicap en termes de droits humains, privilégiant une approche strictement médicale. 

Le ministère intègre le handicap dans une logique de parcours, les parcours à l’université ayant pour objectif l’insertion professionnelle des étudiant(e)s en situation de handicap. La loi de 2005 étend aux établissements publics l’obligation de recruter 6% de personnels en situation de handicap. Sur ce plan, le compte n’y est pas. Si l’on consulte les chiffres des personnels en situation de handicap les chiffres sont légèrement inférieurs aux 6% réglementaires. En revanche, le panel a souligné au cours de la session de questions-réponses que les chiffres des recrutements de chercheur(euse)s en situation de handicap demeurent très en-deçà des dispositions légales. D’après des chiffres de 2019, sur l’ensemble des personnels enseignants du ministère de l’Enseignement supérieur, les chercheur(euse)s en situation de handicap représentaient seulement 1,26% des effectifs. 

Les enjeux d’effectivité de la loi sont également perceptibles au niveau des établissements. Christine Daoulas, responsable de la Politique handicap de Sciences Po Paris expose que les pôles handicap ont la charge de la mise en place des aménagements demandés par les étudiant(e)s, et du suivi d’un schéma directeur handicap (SDH) indiquant les lignes directrices de l’établissement en matière de handicap. Elle rappelle qu’ils doivent gérer cette massification des effectifs qui limite la capacité des équipes, peu nombreuses, à élaborer des mesures hyperindividualisée, pouvant fragiliser l’obtention des aménagements, et par conséquent l’effectivité des droits inscrits dans la loi. 

Des solutions existent pour une véritable « culture inclusive » dans les établissements

Christine Daoulas appelle à un « changement d’approche » du handicap au sein des établissements d’enseignement supérieur afin de pouvoir garantir l’individualisation des aménagements malgré la massification des effectifs.

Il convient d’abord d’élaborer les aménagements en amont des années universitaires, et non plus seulement en cours d’année, permettant le passage d’une logique d’adaptation à une logique d’inclusion. Le nombre et le type d’aménagements nécessaires doivent être être mis en œuvre en synergie par les missions handicap, les équipes administratives et les enseignant(e)s. Ces dernier(ère)s doivent être mieux formé(e)s aux enjeux du handicap, afin de mieux le prendre en compte dès la construction des syllabi, dans l’élaboration des modes d’évaluation et d’enseignement. Les pôles handicap doivent donc pouvoir échanger avec l’ensemble des acteurs de la vie universitaire, notamment les équipes pédagogiques et administratives. 

Les pôles handicap doivent être davantage connus des différents act.eur(rice)s de la vie des établissements pour remplir leurs missions. Des campagnes de sensibilisation doivent être menées dans cet objectif.

« Les chiffres présentés témoignent d’un réel changement d’échelle qui nous amène aujourd'hui à concevoir une nouvelle étape de notre engagement, visant à appréhender l’enjeu d’inclusivité plus en amont, en associant plus largement les parties prenantes, et notamment les équipes pédagogiques, les enseignants et les étudiants en situation de handicap ». Christine Daoulas, responsable de la Politique handicap de Sciences Po

L’importance de la sensibilisation a été soulignée par Sarah Biche, chargée de développement et de plaidoyer à 100% Handinamique et représentante des étudiant(e)s au sein de l’Observatoire de la vie étudiante, se penchant en particulier sur le cas des associations étudiantes. Elle rappelle d’abord que la France peine à appliquer la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDIPH) des Nations unies, qu’elle a ratifié en 2010, et que le handicap demeure, pour la huitième année consécutive, la première cause de saisine du Défenseur des droits. Elle souligne ainsi que la non-application des aménagements raisonnables par les enseignant.e.s et certains établissements ne constitue pas une négligence administrative, mais une discrimination punie par le code pénal. 

La sensibilisation constitue un facteur majeur de l’effectivité des droits, son absence conduisant au développement d’un réseau d’établissements inégalitaire, certains peinant à respecter la loi, tandis que d’autres développent davantage d’initiatives inclusives et des SDH ambitieux.

Les associations étudiantes s’emparent de plus en plus de la question du handicap. La fédération 100% Handinamique a ainsi développé un Label Association Etudiante favorisant les associations ayant développé des initiatives en faveur de l’inclusivité. Les étudiant(e)s en situation de handicap participent, également à l’élaboration des SDH. Cependant, ces initiatives se sont développées face aux insuffisances constatées sur le terrain dans la concrétisation de l’objectif de participation à la vie en société des personnes en situation de handicap inscrit dans la loi. Sarah Biche rappelle que les objectifs légaux ne pourront pas se réaliser sans l’intervention des acteurs institutionnels de l’université, à travers une stratégie visant à concrétiser cet objectif de participation, qui doit être portée par l’ensemble des act.eur.rice.s de la vie des établissements. 

L’accompagnement des étudiant(e)s en situation de handicap doit être pensé dans une logique de parcours. Il convient de penser en interaction la question du logement, des transports, de l’accès à la vie sociale et étudiante, et la pédagogie. Les acteurs de ces différents secteurs, en lien avec les collectivités territoriales, doivent promouvoir des actions coordonnées afin de garantir un cadre commun inclusif et la stabilité des parcours. Les étudiant(e)s en situation de handicap doivent également être sollicité(e)s sur l’ensemble des sujets de la vie de l’université, et non uniquement les questions de handicap, afin d’être à même de proposer des initiatives rendant les établissements et les événements étudiants accessibles. L’inclusion doit devenir l’affaire de tous. Sarah Biche appelle à l’intégration de l’inclusivité dans les maquettes de formation, et la mise en place d’enseignements de disability studies dans les établissements, afin de constituer une « culture inclusive » favorisant l’effectivité des droits.

La science politique a un rôle à jouer

Augustin Normand a conclu le panel en insistant sur le fait que la science politique pouvait contribuer à l’effectivité des droits inscrits dans la loi de 2005 de plusieurs manières. D’abord, en faisant du handicap un élément de réflexivité, dont pourraient s’emparer les cherch.eur.euse.s handicapé(e)s et non-handicapé(e)s, et en faisant du handicap un sujet davantage étudié par la discipline. Ensuite, en contribuant au caractère inclusif des enseignements, des événements étudiants et plus largement de la vie universitaire. Les pôles handicap doivent faire partie de la vie des établissements, et chacun.e peut interagir avec ses équipes afin de faire évoluer des modalités d’enseignement ou soulever une question d’accessibilité. 

Enfin, il est nécessaire de mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation au handicap, par affichages par exemple, pour indiquer ce qu’est le handicap et ce qu’il implique. Des cours de disability studies doivent être proposés au sein des établissements à différents niveaux, afin que le handicap devienne une connaissance partagée par les étudiant.e.s et les acteurs des établissements, rendant possible l’effectivité des droits. 

« [Il faut organiser] des cours d’études du handicap au sein de nos établissements. La connaissance des enjeux conceptuels, juridiques, techniques, internationaux du handicap manque aujourd’hui à notre discipline. Comment faire évoluer les politiques publiques, si les étudiantes et étudiants que nous formons ne connaissent pas le handicap, s’ils ne prennent pas en compte 20% de la population dans leurs travaux ? » Augustin Normand, doctorant en relations Internationales et études européennes au CERI

L’ensemble de ces mesures est réalisable dès à présent. L’heure est aux actes. 

Le premier d’entre eux sera la prochaine livraison du Magazine de l’A.F.S.P., pour une large part consacré au handicap dans l’enseignement supérieur, à paraître en décembre 2025. Nous vous invitons à vous y référer.

Photo :  Etudiants dans l'antichambre dans la bibliothèque, espace de travail à accès réservé. Crédit : Micha Petit / Sciences Po.

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