Lancement du site Internet de l'Observatoire international du religieux
A l’occasion du lancement du site internet de l’Observatoire international du religieux (OIR), Alain Dieckhoff (Directeur de recherches au CNRS, directeur du Centre de recherches internationales, Sciences Po) et Philippe Portier (Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, ancien directeur du Groupe religions, sociétés, laïcités) reviennent sur les enjeux qui ont motivé la création de ce programme de recherche qu’ils dirigent et sur ses finalités.
L’Observatoire international du religieux a été créé en 2016. Pourquoi un tel programme de recherche était-il devenu incontournable ?
Philippe Portier : l’explication s’appréhende selon deux raisons : théoriquement, la sociologie concevait jusqu’aux années 1970 la religion comme destinée à s’effacer, conséquence d’une modernité au sein de laquelle l’avancée de la rationalité s’accompagnait inévitablement du recul du religieux. Empiriquement, ce constat se confirme. Le politique ne mobilise plus l’argument religieux, jusqu’à ces dernières décennies. Celui-ci s’efface de la sphère publique, la sécularisation opère et il n’est plus guère question de convoquer une quelconque transcendance en appui à l’organisation du monde. Or s’observe un « retour du religieux », recomposé, sans doute, mais bien présent. Il ne s’opère pas sur un mode homogène. Tantôt, il se coupe de la culture environnante tout en s’appuyant sur des corpus déjà établis. Tantôt, il tend davantage à culturaliser les religions existantes, sans référence aux énoncés normatifs de la foi. Ce constat empirique s’accompagne, plus tardivement, et sans doute trop marginalement, d’une théorisation des conséquences et modalités de cette « revanche de Dieu ».
Alain Dieckhoff : En effet, et ce constat est particulièrement vrai pour ce qui concerne l’étude des relations internationales. Les attentats de 2001 marquent ici une nette rupture : nos sociétés, tout comme les scientifiques, prennent alors conscience du poids du facteur religieux dans les rapports interétatiques. Or il manque encore des grilles de lectures théoriques rigoureuses, mobilisant des données de première main, pour se saisir de ce phénomène. Et c’est là tout l’enjeu de la création de l’Observatoire international du religieux : proposer aux décideurs, aux acteurs de terrain, plus globalement à l’ensemble de la société civile, une expertise scientifique capable d’éclairer la complexité des phénomènes religieux et leurs interactions avec le politique, au niveau mondial.
En quoi l’Observatoire international du religieux, tant par ses activités qu’au regard de ses publications, constitue-t-il une ressource-clé pour la compréhension d’un facteur religieux redevenu central dans les relations internationales ?
Alain Dieckhoff :L’Observatoire international du religieux se distingue par sa diversité : celle des thématiques proposées – le religieux, entre global et local ; la diplomatie confessionnelle ; schisme, conflits et jeux de pouvoir en orthodoxie figurent parmi les thèmes abordés ; celle, également des territoires et des acteurs considérés : échelle continentale, régionale tout comme nationale, organisations interétatiques telles l’Union européenne ; mouvements terroristes, songeons au djihadisme ; institutions (militaires, politiques….). Diversité, enfin, des regards portés sur l’objet religieux, grâce aux travaux de sociologues, politologues, anthropologues, historiens ou juristes. Les chercheurs sollicités sont français, mais également étrangers, pour favoriser des cadres d’analyse multiples d’une même réalité sociale.
L’Observatoire s’appuie ainsi sur un réseau d’experts particulièrement fécond, fort de la collaboration des deux laboratoires qui portent ce programme de recherche, le Centre de recherches internationales (Ceri/Sciences Po) et le Groupe sociétés, religions, laïcités (GSRL/EPHE). Ce sont plus d’une centaine de spécialistes qui ont été sollicités depuis la création de l’Observatoire pour décrypter les enjeux religieux qui sous-tendent les relations internationales dans tous leurs développements.
Philippe Portier : Il convient d’ajouter que l’Observatoire international du religieux met à disposition, et ce, en libre accès, plus de 200 articles. Six bulletins annuels sont proposés, selon une organisation en trois volets : un premier regroupant un dossier thématique ; un deuxième portant sur l’éclairage d’une question religieuse d’actualité telle qu’elle se donne dans son développement immédiat ; un troisième consacré à l’étude d’une ressource de première main. Des notes plus volumineuses, également publiées, proposent une analyse plus approfondie d’une question particulièrement saillante des relations internationales. Ces travaux s’agrémentent de cartes, graphiques, photographies, multiplicité de supports favorisant l’appréhension d’un phénomène dans toutes ses dimensions.
L’Observatoire international du religieux a cessé ses activités durant deux années. Le programme est aujourd’hui relancé. Qu’est-ce qui le distingue aujourd’hui de ses premiers développements ?
Philippe Portier : Avant d’en venir à votre question, précisons que cette courte parenthèse dans les activités de l’Observatoire ne signifiait pas une remise en cause de l’importance qu’occupe aujourd’hui la religion à l’échelle mondiale. Le « retour du religieux » que nous constations en 2016 ne s’est que confirmé depuis, à la faveur d’une mobilisation renouvelée des acteurs religieux, mais également des États. Les objectifs du programme de recherche restent donc inchangés : décrypter la complexité de l’objet religieux et son impact dans les relations interétatiques.
Vous avez cependant raison de souligner que l’Observatoire d’aujourd’hui se distingue quelque peu de ses premiers développements. L’une des principales évolutions concerne l’accent mis désormais sur l’actualité internationale, avec des dossiers thématiques consacrés, plus qu’auparavant, à celle-ci. Cette visée s’applique également dans l’activité de veille de l’Observatoire, qui recense désormais les manifestations scientifiques approchant les questions religieuses avec une problématique de sciences sociales.
Alain Dieckhoff : une autre nouveauté de l’Observatoire concerne les chercheurs sollicités. Nous souhaitons encore plus qu'auparavant, mobiliser des spécialistes non-francophones. Des chercheurs issus d’universités européennes, telles la faculté de théologie et d’études religieuses de l’Université de Groningen, ou la London School of Economics and Political Science, seront sollicités. Un regard outre-Atlantique sera également proposé, grâce à des échanges avec le Berkley Center (Georgetown University) porteur du projet « Geopolitics of Religious Soft Power (GRSP) » ou avec l’Institute for Religion, Culture and Public Life (Columbia University), entre autres exemples. Les deux derniers bulletins de l’Observatoire confirment cette orientation : trois chercheurs étrangers ont contribué à la rédaction des six articles des dossiers thématiques. L’Observatoire ambitionne ainsi de réunir au sein d’un même outil et à travers ses publications une expertise internationale, aussi diverse que possible, du fait religieux.
Une autre nouveauté de l’Observatoire concerne la création d’un site internet qui lui est spécifiquement dédié. Pouvez-vous nous exposer les principaux atouts de ce site et préciser le public auquel il s’adresse ?
Alain Dieckhoff : Ce site permet d’accéder à l’intégralité des publications de l’Observatoire, bulletins, notes de recherche, le tout en libre accès. Il relaie l’actualité scientifique en se dotant d’un agenda, et propose également des liens vers des podcasts dont les thématiques reprennent celles de l’OIR.
Le public visé se veut le plus large possible puisque la principale finalité de l’Observatoire est d’accroître le savoir sur la religion dans les affaires internationales ; surtout, il vise à favoriser une prise de conscience que la compréhension du monde ne peut se faire sans intégrer le facteur religieux. C’est donc tant aux journalistes, qu’aux politiciens, scientifiques, acteurs privés, institutions, ou citoyens éclairés, que s’adressent les publications de l’Observatoire. Le public visé est principalement francophone.
Philippe Portier : La multiplicité des ressources proposées, la diversité des supports mis à disposition, mais aussi, et surtout, la qualité des analyses réalisées par des spécialistes du religieux et des relations internationales feront de ce site, nous n’en doutons pas, une référence incontournable pour ce qui a trait à l’étude du religieux et de ses interactions avec le politique. Le projet est conséquent et ambitieux. Mais il est à la hauteur, comme nous le soulignions dès les premiers développements de l’Observatoire, d’une conjoncture qui semble bien avoir redonné au religieux, quoique sous des formes inédites, sa puissance configuratrice de l’histoire.
Entretien réalisé par Anne Lancien, secrétaire scientifique de l’Observatoire international du religieux
Site internet de l'Observatoire international du religieux
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