À Pékin, si loin d'ici...
Editorial publié le 4 janvier 2013, en partenariat avec Ouest France
Il y a quelques semaines, la scène politico-médiatique française s'est émue d'une possible implication financière de la Chine dans la nouvelle carte européenne. Aujourd'hui, le calme s'est rétabli, car la Chine paraît moins intéressée. Cependant, les raisons qui lui dictent cette prudence méritent l'attention.
Les premières éclairent la façon d'agir des Chinois. À la manière des meilleurs rapaces, ils sont prudents, attendent en l'occurrence que la situation européenne s'éclaircisse. De plus, ils n'aiment guère la publicité et préfèrent agir de façon discrète : c'est ainsi qu'ils ont réussi leur extraordinaire percée commerciale. En outre, comme tous les vrais riches, les dirigeants chinois sont avares. Ils se demandent s'il leur est vraiment nécessaire de risquer des placements financiers pour des résultats que la faiblesse européenne peut leur permettre d'espérer obtenir en toute hypothèse : le classement comme économie de marché et l'accès prioritaire au marché européen. C'est ainsi...
Mais les raisons les plus importantes sont significatives des transformations rapides qui assaillent la scène intérieure chinoise. L'opinion publique, tout d'abord, ne peut plus être négligée. Et elle ne voit pas pourquoi l'épargne chinoise irait soutenir des pays où - Grèce comprise - il fait bien meilleur vivre qu'en Chine-même.
En second lieu, les signes apparaissent d'une réduction du taux de croissance car les exportations chinoises souffrent de la dépression de leurs grands marchés occidentaux. Le déclin du PIB chinois paraît encore limité (environ 9 %, ce qui ferait rêver ici !) mais le climat économique est volatil, et le climat social plus encore. C'est là une préoccupation majeure pour des dirigeants qui doivent tout à leurs succès économiques : leur position politique, leurs fortunes familiales et les progrès récents de leur influence extérieure.
Du coup, un débat politique déjà engagé gagne en urgence : il concerne la mise en place d'une véritable économie de consommation, et donc d'abord la généralisation des politiques sociales qui en fourniront le premier argent. Débat essentiel mais difficile car la Chine est, comme nous, à la veille d'une élection. Un scrutin fort peu démocratique, certes, car interne à l'élite du Parti communiste, mais bien plus compliqué car l'affrontement des points de vue opposés y est mal régulé.
Comme souvent sous nos latitudes, l'affrontement concerne le partage des fruits du progrès. La position la plus raisonnable, celle qui préconise une plus large distribution des gains de l'économie, n'est pas forcément celle qui l'emportera lors du Congrès décisif du Parti communiste chinois qui se réunira à l'automne prochain. La situation reste mouvante.
À Pékin, ce débat l'emporte de loin en importance et en urgence sur les hésitations conjoncturelles concernant l'Europe, car son issue affectera de façon majeure la balance mondiale du pouvoir. En effet, si la Chine réussit son « atterrissage » progressif dans une économie de consommation, son système politique s'assouplira peut-être progressivement, mais sa croissance, elle, pourrait devenir plus puissante encore et surtout plus durable.