Un espace de paix pour la Croatie
Lundi 1er juillet, l’Union européenne comptera un 28e État membre avec l’adhésion de la Croatie. L’événement ne déchaîne pas la chronique. En France, l’arrivée en 2004 des pays d’Europe centrale et orientale avait déjà été accueillie sans enthousiasme. Ce fut une erreur d’appréciation, car l’élargissement est certainement l’une des plus grandes réussites de stabilisation politique que l’Union européenne ait réalisée.
Au récent congrès de l’association américaine d’études européennes, le professeur Moravcsik, de Princeton, le rappelait à ses collègues européens qui avaient du mal à en prendre la mesure. Il est vrai que certains discours simplistes ont eu tendance, depuis 2008, à assimiler l’élargissement à la crise économique ou à la crise institutionnelle de l’Union, alors qu’il n’existe aucune corrélation prouvée.
Bien entendu, tout élargissement se traduit par un accroissement de la diversité et de l’hétérogénéité européenne. Avec la Croatie, un pays dont le PNB représente seulement 64% de la moyenne communautaire franchit la porte de l’Union. Mais c’est aussi un pays qui a engagé, depuis dix ans, de lourdes réformes de son administration et de sa société pour entrer dans l’Union européenne.
Surtout, c’est un pays qui était en guerre il y a vingt ans à peine. A-t-on oublié la superbe cité de Dubrovnik, que les touristes français affectionnent tant, prises sous les bombes des artilleries serbe et monténégrine ? L’arrivée de la Croatie dans l’Union européenne, c’est donc l’intégration dans un espace de paix d’un pays qui fut en guerre à nos portes. C’est le même modèle qui présida au rapprochement de l’Allemagne et de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
On a parfois oublié,dans nos pays d’Europe de l’ouest, que la paix n’est pas une donnée acquise depuis toujours. C’est depuis soixante ans seulement que la construction politique de l’Europe a contribué à rendre la guerre improbable entre les États de notre continent.
Dans la continuité de la Croatie, le processus d’élargissement continuera à s’imposer aux autres pays des Balkans occidentaux, et notamment à la Serbie qui fut l’autre grand protagoniste de la guerre en Yougoslavie. Ce pays a bien du mal à se débarrasser du nationalisme. Il n’accepte toujours pas qu’une partie de son territoire peuplée majoritairement d’Albanais, le Kosovo, puisse revendiquer pleinement son indépendance. Pourtant, si le gouvernement de Belgrade finit par fournir la preuve qu’il est prêt à s’engager dans un dessein démocratique, il sera bien entendu de la responsabilité de l’ensemble des Européens de lui ouvrir la porte.
En France, une réforme de la Constitution en 2005 – pensée pour une Turquie qui n’a pas adhéré depuis – impose que tout futur élargissement de l’Union, après celui de la Croatie, sera ratifié par référendum sauf si l’Assemblée nationale et le Sénat en décident autrement à une majorité des trois cinquièmes. Autant dire qu’il n’est pas exclu que le peuple français se prononce pour le rejet des futurs élargissements aux Balkans occidentaux.
Ce serait démocratique, mais serait-ce pour autant un acte responsable pour la stabilité du continent ?