Critique internationale - Sommaire
Une abondante littérature explore les liens entre la formation des États, les enjeux fonciers, les migrations en milieu rural et le déclenchement de conflits violents dans les pays du Sud. Bien qu’il ne soit pas indexé à une thématique précise, ce nexus configure un champ de recherche fertile pour les approches « par le bas » (ou processuelles) du changement dans les sociétés agraires contemporaines. Les auteurs parcourent ce champ de tensions multiplexe et hybride en versant chacun au dossier un échantillon de la « gouvernementalité rurale » qui prévaut dans les pays du Sud. Les contributions portent sur la Colombie, l’Afghanistan, le Mexique et la Guyane, et relèvent de disciplines variées : science politique, anthropologie, droit, géographie.
Entretien avec Jean-Pierre Chauveau, coordinateur du dossier
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Le conflit armé colombien de ces dernières décennies a été marqué par l’importance des affrontements d’ordre foncier. Déterminants dans l’apparition des acteurs armés, ces affrontements ont été exacerbés par des stratégies de spoliation et d’accaparement des terres, qui ont provoqué des déplacements forcés de populations ainsi que la reconfiguration des territoires. La démobilisation des milices paramilitaires, principaux auteurs de cette spoliation, et la relative stabilisation de la situation sécuritaire depuis le milieu des années 2000 n’ont pas conduit à une remise en cause profonde des formes d’accumulation issues de la guerre. Au contraire, les transformations en cours aujourd’hui se caractérisent soit par un usage plus discret de la violence, soit par l’émergence de nouveaux acteurs économiques, en phase avec le discours et les exigences normatives d’une situation qualifiée de « sortie de guerre ». Sur la base de ce constat, cette contribution propose une discussion critique non seulement de l’économie politique du foncier rural en situation de post-conflit mais aussi, plus généralement, de la caractérisation de ces contextes en termes de rupture et de transformation.
Loin d’être le résultat d’une supposée culture ou d’une relation particulière à l’État, la prédation économique en Afghanistan découle de l’insertion des réseaux d’entrepreneurs politico-militaires dans une gouvernance internationalisée conjointement produite par les acteurs de l’intervention occidentale et le régime de Hamid Karzai. Ces entrepreneurs profitent d’une logique situationnelle inflationniste et spéculative autour du foncier, qui s’inscrit dans un processus plus long de désenchâssement des ressources foncières engagé dans les années 1960 et 1970 et que la guerre civile a accéléré à partir de 1979. Le régime de Karzai et ses soutiens étrangers sont au cœur de cette nouvelle économie politique qui, en l’absence de régulation, permet à un petit nombre de s’accaparer les revenus de l’aide et de la terre. Ainsi ces entrepreneurs peuvent-ils s’enrichir hors de tout circuit de réciprocité, en redistribuant à leur clientèle une portion congrue de la manne qu’ils placent à l’étranger. Cette gouvernance internationalisée s’inscrit en rupture avec l’histoire de l’État afghan qui, depuis la fin du XIXe siècle, s’est imposé en régulant la redistribution de la terre.
Quelles sont les différentes formes de mobilisation de la question foncière dans les processus de construction de l’État et du régime de gouvernementalité rurale au Mexique ? La réforme agraire de 1917 a été considérée comme un facteur déterminant dans la reconfiguration des rapports entre l’État et les instances locales de gouvernement. Sa mise en œuvre a en effet opposé deux conceptions du pouvoir étatique, de la citoyenneté, de la propriété et du marché : l’une centrée sur l’autonomie des dispositifs locaux de gouvernance foncière et politique ; l’autre fondée sur la centralisation et la verticalité des liens entre l’État et les communautés rurales, à travers le rôle structurant des bureaucraties étatiques et syndicales dans l’allocation et la régulation des droits fonciers. À partir de 1935, les distributions de terre ont servi de levier à la mise en place de coalitions entre des agents de l’État central et des secteurs subalternes des sociétés villageoises qui cherchaient à s’émanciper des structures de pouvoir traditionnelles, via l’activation de processus multiples de frontière interne qui ont conduit à reconfigurer les structures politico-territoriales et institutionnelles du Mexique rural.
La mobilité des Amérindiens de Guyane, caractéristique fondamentale de leurs modes de vie traditionnels, est désormais une problématique indissociable de celle de l’obtention de droits sur les terres qu’ils occupent. Si elle permet à ces populations d’éviter les conflits intra et intercommunautaires, cette mobilité peut également en être à l’origine dès lors que l’espace et les ressources naturelles deviennent plus rares et que la nécessité est inscrite à l’agenda politique national d’arbitrer les usages de l’espace entre Amérindiens, populations non autochtones, élus locaux et services déconcentrés de l’État. Dans cette étude sont analysés les manières dont l’État français compose avec la mobilité des communautés autochtones ainsi que les effets des droits qui leur sont reconnus sur leurs logiques d’occupation de l’espace. Plus généralement, il s’agit de montrer que la gestion politique de la mobilité des Amérindiens est une question de plus en plus sensible à mesure que l’État étend son emprise et ses velléités d’organisation sur des espaces auparavant périphériques où une certaine marge de manœuvre était laissée aux communautés.
Après la chute de l’URSS, la Russie a connu une double transformation : politique, avec la transition vers une démocratie pluraliste ; économique, avec l’adoption de l’économie de marché. Cette situation inédite a été propice à l’émergence d’une oligarchie dont les intérêts privés prévalaient sur ceux de l’État. L’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine a totalement inversé la donne : une élite au service des intérêts de l’État s’est constituée, qui a progressivement concurrencé la position dominante des oligarques. Aujourd’hui, cette élite s’apparente plus à une classe dirigeante tant son autorité politique et son influence économique annihilent toute concurrence. Structurée idéologiquement autour de la rhétorique de l’« État fort » et personnellement liée à V. Poutine, cette classe dirigeante agit grâce à un « capital administratif », constitué par le cumul de positions clés dans les champs politique et économique et qui lui permet de contrôler l’économie, de coordonner les décisions stratégiques et de redistribuer les rentes économiques par lesquelles prend forme sa domination.
Cette étude se propose d'affiner la compréhension des processus à travers lesquels les « bonnes pratiques » sont définies et redéfinies dans les interactions complexes entre organisations internationales et gouvernements nationaux. Plusieurs enquêtes de terrain menées en Amérique latine et aux Philippines sur les programmes de conditional cash transfers mettent en lumière les mécanismes qui sous-tendent la standardisation, la mise en circulation et l’importation des modèles de politique publique. Le cas de la Banque mondiale, notamment, permet une réflexion sur les nouvelles modalités d'action des institutions financières internationales qui, afin de paraître moins coercitives, se présentent comme des intermédiaires éclairés entre des pays du Sud fournisseurs ou demandeurs de solutions d'action publique, tout en instrumentalisant leurs « innovations » dans le but de s’assurer un statut d’expert. Au demeurant, la capacité de réappropriation de certains pays des Suds est telle que leurs innovations peuvent déboucher sur l'émergence d'une nouvelle variante de la « bonne pratique » (une sorte de version 1.2), susceptible de devenir la nouvelle norme en vigueur.
À partir d’une synthèse de l’histoire du nationalisme catalan depuis le XIXe siècle et d’une analyse de sa trajectoire récente, cette réflexion sur les causes de la radicalisation indépendantiste montre que les principales caractéristiques du nationalisme catalan n’ont pas changé depuis la Renaixença : accent mis sur la « normalisation » linguistique et l’autonomie fiscale, vocation intégratrice du nationalisme dans le contexte d’une société divisée, tropisme conservateur de la bourgeoisie, phases de radicalisation dans les périodes où le modèle institutionnel de l’État est en crise. Certes, la radicalisation s’inscrit dans un contexte conflictuel dû au rejet des principales dispositions du statut d’autonomie de 2005 relatives à la reconnaissance de la « nation catalane » et de sa langue. Cependant, l’indépendantisme s’est également nourri de la crise de 2008. Tout en se diffusant grâce à l’activisme du mouvement social, il a été récupéré électoralement par la coalition Convergència i Uniò, et ce même si la Catalogne demeure malgré tout une « nation divisée ».
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Keeanga-Yamahtta Taylor, From #BlackLivesMatter to Black Liberation: Racism and Civil Rights, Chicago, HaymarketBooks, 2016, 270 pages.
Leïla Seurat, Le Hamas et le monde (2006-2015) : la politique étrangère du mouvement islamiste palestinien, Paris, CNRS Éditions, 2015, 344 pages.
Pierre Alary et Elsa Lafaye de Micheaux (dir.), Capitalismes asiatiques et puissance chinoise : diversité et recomposition des trajectoires nationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 300 pages.