Critique internationale - Sommaire
Au cours de ces trente dernières années, plusieurs pays asiatiques, de l’Arménie au Vietnam, ont vu apparaître un déséquilibre des sexes à la naissance en faveur des garçons. Malgré la diversité sociale, économique et politique de ces pays, les gouvernements concernés mettent en œuvre des politiques similaires contre cette masculinisation de leur population : interdictions par la loi, campagnes de sensibilisation, mise à niveau des droits des filles. Cette étude explore les raisons de la convergence des politiques publiques de la Corée du Sud, de l’Inde et du Vietnam : la communication transnationale et l’harmonisation internationale promues par des organisations internationales et des communautés épistémiques. Sous la conduite du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP/UNFPA), les organisations internationales jouent un rôle clé dans la collecte des données et le soutien aux interventions, pour que les politiques reposent davantage sur des analyses factuelles. Il existe néanmoins une tendance à promouvoir et à transférer des politiques sans être certain de leurs effets.
À rebours de la vision parfois surplombante des études sur le développement international, cette analyse se concentre sur les pratiques localisées qui le sous-tendent en émettant notamment l’hypothèse selon laquelle les transformations du champ politique national sont susceptibles de configurer notablement les formes prises par les politiques de développement. Le cas étudié ici est le Mexique où, en 2000, le Parti action nationale (PAN) arrive au pouvoir après plus de 70 ans de gestion politique du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). L’examen du parcours du rapport intitulé Le Sud existe aussi, revu et transformé pour devenir ensuite le projet de politique publique Plan Puebla Panama. Initiatives mésoaméricaines de développement, permet de retracer la façon dont s’écrivent les politiques de développement en plein contexte d’alternance politique, entre maintien des élites politiques nationales et négociation des espaces de coopération avec les bailleurs de fonds internationaux. Ce faisant, il met au jour le changement d’échelle des politiques de développement, du régional au transnational, et démontre que l’ordre néolibéral particulier qui en résulte n’est pas donné d’office mais se construit progressivement jusqu’à sa mise à l’agenda.
Le projet minier de Constancia (Pérou) est analysé ici à partir du modèle de gestion des ressources naturelles élaboré par l’économiste Elinor Ostrom dans le but d’étudier la capacité de gestion décentralisée et adaptative de la nature par les communautés locales dans le cadre de la nouvelle rhétorique de l’activité minière durable (sustainable mining) proposée par les entreprises. Il s’agit de déterminer en quoi ce nouveau mode de régulation permet aux communautés locales d’assurer leur auto-organisation, et donc d’évaluer leur force dans les rapports de pouvoir très hiérarchisés qui caractérisent le contexte minier. C'est ainsi leur capacité même à maintenir leur souveraineté sur leurs territoires et à gérer les « communs » (biens collectifs) qui se trouve questionnée. Le cadre juridique péruvien offre en outre un exemple pertinent pour l’analyse des relations de ces communautés avec les entreprises minières, en ce qu’il permet de prendre en compte le rôle de médiation de nouveaux professionnels dans le processus de participation institutionnalisé par l’État.
Cette analyse porte sur la manière dont les organisations internationales actives statutairement, ou réputées compétentes, dans le domaine de l’éducation construisent et diffusent leurs recommandations dans le secteur de l’enseignement supérieur. Ces recommandations sont diversifiées – valorisation de « compétences », « assurance qualité », promotion de l’« employabilité » des diplômés – et passent souvent par la mise en avant de « bonnes pratiques » interrogées ici, de manière critique, comme une notion paradoxale. En effet, l’éducation faisant formellement partie des prérogatives nationales, les recommandations des organisations internationales ne peuvent être, en principe, que facultatives et non contraignantes. Pourtant, dans certaines conditions, elles génèrent des mécanismes qui leur confèrent un caractère astreignant. À l’usage, le recours aux « bonnes pratiques » se révèle être un dispositif fourre-tout mobilisé par les organisations internationales à des fins d’autolégitimation pour mieux affirmer leur autorité sur un domaine dans lequel leur pouvoir est juridiquement limité.
La catégorie d’« État fragile » est analysée ici à travers une lecture de sociologie de l’action publique. Deux hypothèses – la rigidité du transfert d’un modèle de réforme construit à l’international et l’absence d’acteurs de la société civile participant au processus de politique publique – sont mises à l’épreuve de deux réformes (ou tentatives de réforme) du secteur de l’enseignement supérieur au Burundi : l’application du modèle Licence-Master-Doctorat issu du processus de Bologne et la suppression de la bourse étudiante ou son remplacement par une politique de partage des coûts. Les résultats de notre enquête démontrent la banalité de l’État burundais plutôt que sa « fragilité ». Cette lecture de l’État par l’action publique se révèle être une entrée heuristique, notamment au Sud, pour tester les catégories et les typologies qui se multiplient sur l’État.
Cet article propose une clé de lecture du « devoir » et des formes d’intervention de la communauté internationale face à des situations de hauts niveaux de risque climatique vécues par un certain nombre de pays en développement. Il s’avère ainsi que la mobilisation internationale récente autour de l’aide à l’adaptation répond à un glissement du diagnostic dominant du problème climatique. Glissement qui entraîne un certain nombre d’implications concernant l’importance et la portée de l’adaptation en tant que voie de réponse au changement climatique, le devoir d’intervention de la communauté internationale face aux risques climatiques connus par les pays en développement et le rôle de l’aide en tant qu’instrument de soutien à l’adaptation dans ces pays
En se mettant à distance des polémiques entre économistes orthodoxes et hétérodoxes, cette étude propose une relecture des travaux de Albert Hirschman, qui s’appuie sur la biographie récemment publiée par Adelman (2013). Trois axes principaux sont identifiés : l’économie du développement, l’histoire politique des idées économiques et l’action collective. Or, plus qu’une convergence entre ces thèmes, qui aurait abouti au projet d’une nouvelle Économie politique, ce sont leur faible articulation et ainsi le caractère fragmenté de cette œuvre qui sont ici discutés. Le rapport complexe de Hirschman à la pensée économique, fait d’adhésion et d’évitement, a certainement pesé sur ce constat. Ses contributions les plus marquantes portent davantage sur la conduite de la réforme ou du projet de développement. Donc sur les conséquences non anticipées de l’action intentionnelle et sur la possibilité d’un projet collectif dans un monde imprévisible où l’adhésion et la renégociation sont toujours menacées par l’abandon et l’opportunisme.
Cette analyse revient sur la fracture existant entre la discipline des relations internationales et l’histoire intellectuelle à la lumière, tout d’abord, de l’histoire globale, croisée et connectée ; ensuite, des relations internationales ; enfin, de la traductologie et du « voyage » des idées. L’objectif est d’identifier, par le biais d’un approfondissement de l’approche du développement inégal et combiné, les mécanismes constituant le contexte international comme un champ particulier de causalité dans l’analyse de la pensée politique. Comment les interactions géopolitiques entre différentes sociétés sont-elles perçues par les acteurs sociaux qui en font l’expérience ? Comment cette perception affecte-t-elle leur identification personnelle et la définition de leur communauté, et motive l’importation, l’appropriation et la redéfinition d’idées politiques étrangères ainsi que la production de nouvelles significations. Ce cadre d’analyse est développé via l’étude de la pensée politique de l’intellectuel égyptien Rifâ‘a Al-Tahtâwî (1801-1873). L’argument central est que la pensée de Tahtâwî représente une tentative de construction d’un projet de modernité autre formulé à travers un engagement dans le contexte géopolitique de l’époque, marqué par les conséquences de l’invasion napoléonienne, le déclin de la position de l’Égypte ottomane dans la hiérarchie internationale et l’accession au pouvoir de Muhammad ‘Ali
Michel Christian, Camarades ou apparatchiks ? Les communistes en RDA et en Tchécoslovaquie, 1945-1989, Paris, PUF, 2016, 400 pages
Caroline Protais, Sous l’emprise de la folie ? L’expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009), Paris, Éditions de l’EHESS, 2016, 309 page
Rogers Brubaker, Grounds for Difference, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2015, 219 pages