Accords Vatican-Chine : fin de l’ingérence et accroissement du contrôle

Auteur(s): 

Pierre Vendassi, chercheur associé au Centre Emile Durkheim – Sciences Po Bordeaux

Date de publication: 
Décembre 2018
Illustration

Depuis plus de soixante ans, Pékin construit sa politique religieuse autour de deux axes : d’une part, soumettre l’activité religieuse à son contrôle pour l’instrumentaliser à son profit ; d’autre part, limiter voire éradiquer certaines activités religieuses jugées dangereuses. Cette alternance a en fait accompagné la construction de l’Etat chinois bien avant l’ère communiste. Elle traduit une conception concurrentielle des institutions cultuelles et de l’Etat et suggère que l’activité religieuse ou cultuelle contient toujours une dimension politique.

En Chine, les religions chrétiennes sont d’autant plus suspectées de concurrence politiques que leurs missions implantées sur le territoire national ont constitué jusqu’à la moitié du 20e siècle les avant-postes des puissances impériales européennes y compris lorsque ces dernières étaient devenues laïques1, que l’évangélisme qui se répand aujourd’hui dans le pays est dans une large mesure un produit de la grande puissance concurrente américaine et enfin, que l’autorité suprême du catholicisme est logée dans un Etat à part entière, le Vatican, qui, de surcroît, entretient des relations diplomatiques avec Taïwan.

Afin de se protéger de toute ingérence ou influence étrangère, Pékin interdit normalement aux organisations religieuses dirigées depuis l’étranger ou par un étranger d’exercer une quelconque activité en lien avec sa population. Pour assurer, entre autres, cette protection, Pékin a depuis les années 1950 inversé le risque d’ingérence en nationalisant les organisations religieuses majeures présentes en Chine. Les Eglises chrétiennes, tout comme les autres organisations religieuses, y sont donc constituées en associations nationales patriotiques et autonomes. Le catholicisme chinois prend ainsi la forme d’une Eglise patriotique2 administrée et dirigée par Pékin et dont les évêques sont désignés par le Parti communiste et non par le Pape.

De l’ingérence catholique à l’ingérence pékinoise

Cette ingérence de l’Etat-parti dans l’administration de l’Eglise pose un problème majeur aux catholiques pour lesquels le maintien d’une lignée d’autorité reliant traditionnellement Saint-Pierre au Pape actuel et le Pape aux évêques locaux est une condition sine qua non de la validité des sacrements qui sont au cœur de la spiritualité des catholiques. Du point de vue catholique, la rupture d’autorité entre le représentant de Dieu sur Terre au Vatican et son émissaire dans les paroisses locales retire toute autorité à ce dernier. La désignation d’un évêque par une autre autorité que celle du Pape génère donc de facto une situation de schisme, mettant en péril l’unité de l’Eglise. La constitution de cette Eglise catholique patriotique dirigée par Pékin a donc aussi entrainé la constitution d’une Eglise catholique souterraine, résistante, refusant l’ingérence communiste dans ses affaires, prête à endurer la clandestinité et l’oppression pour demeurer fidèle au Saint Siège.

Dans les faits, il y a longtemps que les frontières entre les deux Eglises sont poreuses et caractérisées par la présence d’échanges et de dialogue entre les fidèles. En outre, plusieurs évêques nommés par Pékin avaient déjà obtenu, dès avant le présent accord, la reconnaissance du Vatican, qui tente depuis plusieurs décennies de trouver une solution à la situation catholique en Chine. En septembre 2018, la signature d’un accord provisoire entre Pékin et le Vatican constitue une avancée et peut-être un tournant dans cette querelle des investitures. Par cet accord, dont les détails n’ont pas été divulgués, le Saint-Siège reconnaît la légitimité de huit évêques préalablement nommés par Pékin, jusqu’à présent non-reconnus, et accepte que les futurs évêques de l’Eglise catholique en Chine seront approuvés conjointement par l’Eglise et par l’Etat.

Cet accord suppose que d’une part, le gouvernement chinois accepte une intervention étrangère dans les affaires religieuses chinoises sans pour autant considérer qu’il s’agit d’une ingérence, et d’autre part que le Pape met potentiellement fin à la situation schismatique de l’Église patriotique.

Un accord aux contours flous

Si les détails de sa mise en application n’ont pas été révélés, cet accord devrait avoir des conséquences très importantes pour le devenir de l’Eglise catholique souterraine. En effet, la reconnaissance conjointe des évêques par le Pape et par le Parti redonne à l’Église patriotique une pleine légitimité du point de vue papal et permet donc la réintégration des assemblées clandestines dans le giron de cette association patriotique. C’est ici le but recherché de l’accord : le Pape met fin à la division de l’Eglise, et Pékin retrouve, si ce n’est un contrôle, tout au moins une surveillance totale et facilitée de l’activité catholique.

Reste à savoir comment se passera cette réintégration. Si l’accord signé a vu des évêques de Pékin adoubés rétroactivement par le Pape, il est peu probable que les évêques clandestins se voient de même adoubés rétroactivement par Pékin. Ces derniers se verront sans doute enjoints de « rendre les armes » par le Pape, c’est-à-dire par celui-là même pour qui ils avaient résisté. De la même façon, les communautés clandestines seront probablement invitées à rejoindre les rangs des Églises patriotiques contrôlées par l’Etat-parti, à mesure que les accords sur des investitures consensuelles se multiplieront : la perspective offerte aux résistants paraît aussi douloureuse que conforme à la logique sacrificielle du christianisme.

Quoi qu’il en soit, la signature de cet accord traduit des changements importants survenus en Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012. La longue phase d’assouplissement relatif du contrôle opéré sur le religieux depuis les années 1980 touche à sa fin comme l’illustrent plusieurs faits : destruction de croix et d’édifices religieux depuis 20143, fermeture de nombreuses églises non-enregistrées auprès des associations officielles (notamment sur les campus universitaires), interdiction des publications bibliques, gestion directe des affaires religieuses par le parti depuis la fermeture du bureau des affaires religieuses, etc. Pékin cherche à faire respecter sa loi et mettre fin à l’activité religieuse clandestine en faisant marcher de concert la répression et la négociation. Plus donc qu’un rejet du religieux per se, ces mesures servent en réalité l’objectif plus global des autorités chinoises qui est la surveillance totale de la population.

  • 1. L’Etat français a continué de s’appuyer sur les missions catholiques pour atteindre ses objectifs diplomatiques bien après 1905.
  • 2. La Zhongguo Tianzhujiao Aiguo Hui, dont le nom peut être traduit par Association patriotique des catholiques de Chine.
  • 3. Pour des motifs officiels variables : absence d’enregistrement auprès des autorités, absence de permis de construire, non-conformité aux règles d’urbanisme, etc.
Retour en haut de page