Etats-Unis : le " Musée de la Bible ", un coup porté au Premier amendement

Auteur(s): 

Denis Lacorne, directeur de recherche émérite - CERI

Date de publication: 
Janvier 2018
Illustration

En raison de leur vocation éducative, on pourrait attendre de la scénologie des musées qu'elle respecte une neutralité axiologique maximale afin de permettre au visiteur d'exercer pleinement son libre arbitre au regard de l'exposition qu'il visite. Mais en réalité, les musées ont tous une vocation politique puisqu'ils visent à transmettre une certaine conception de l'art, de la vie de l'artiste ou encore de la Nation ou de l'histoire. Cette mission est exercée de façon plus ou moins subtile, et plus ou moins idéologisée. A Washington, le Musée de la Bible s'inscrit dans cette première catégorie. A rebours du caractère aconfessionnel annoncé par le fondateur du musée, Denis Lacorne, directeur de recherche et spécialiste des Etats-Unis, décrypte le projet de rechristianisation dont ce musée est le porte étendard.

Inauguré en décembre 2017, le Musée de la Bible est un musée privé, principalement financé par un milliardaire, Steve Green, fondateur et propriétaire de la chaîne de grands magasins Hobby Lobby, spécialisée dans la vente d'objets de décoration d'intérieur. Le musée est installé dans un ancien hangar de huit étages, restauré au coût de 500 millions de dollars et couvrant une surface de 40 000 mètres carrés. Il est situé près du Capitole, le siège du Congrès à Washington DC, et rivalise avec les 17 musées publics du Smithsonian Institution Museum. Le musée de la Bible se prétend confessionnellement neutre. Mais son fondateur et la plupart des membres de son conseil d'administration sont des évangéliques connus pour leurs activités prosélytes. Le musée, utilisant tous les moyens de la technologie moderne, projette l'image d'une expérience éducative, fondée sur des milliers objets réels en provenance du Proche-Orient : des fragments des manuscrits de la Mer morte, des morceaux de céramiques, des lampes à huile, des vases, un jardin biblique et la reconstitution d'un quartier de la petite ville de Nazareth avec des " artisans " vivants revêtus de tenues d'époque, des maisons de pierre et de faux oliviers. La création du musée n'a pas échappé à la controverse : Steve Green a, en effet, été accusé d'avoir importé illégalement des milliers de souvenirs archéologiques en provenance d'Irak, du Liban et de Syrie, et a donc dû payer une amende de 3 millions de dollars pour importations frauduleuses. Il est aussi à l'origine d'une action en justice qui a abouti à un arrêt fameux de la Cour suprême, Burwell v. Hobby Lobby en 2014. Cet arrêt autorise le patron d'une entreprise privée à but lucratif sans dessein religieux à interdire le remboursement des moyens de contraception inclus dans la couverture santé des employées de l'entreprise, conformément aux critères de remboursement prévus par l'Obamacare. Il suffit que le patron de l'entreprise impliquée fasse état de ses convictions religieuses et de ses objections de nature religieuse pour obtenir l'annulation des dépenses de contraception.

L'ouverture du Musée de la Bible est inséparable d'un vaste projet de rechristianisation de l'Amérique, entrepris par des évangéliques proches de la Droite chrétienne. C'est pourquoi les objets et les vidéos présentées offrent une narration bien singulière de l'histoire de la nation américaine. Les concepteurs du musée insistent lourdement sur l'influence de la Bible sur les Pères fondateurs des Etats-Unis, leur piété supposée, et multiplie les rappels aux références bibliques inscrites sur la plupart des grands monuments de la ville. L'objet principal du musée est de faire mieux connaître les textes bibliques, leur origine, leurs traductions, leur impact sur la société, leurs effets sur l'art, la mode et la musique. L'entrée du musée est gratuite, mais les visites guidées sont payantes et de nombreux " tour operators" et des classes entières d'élèves des collèges et des lycées sont vivement encouragées à visiter les lieux. Le Premier amendement de la Constitution des Etats-Unis, ratifié en 1791, instituait, selon l'expression même de Jefferson, un " mur de séparation " entre l'Eglise et l'Etat. Le visiteur du musée ne trouvera pas trace de ce " mur " ni des principaux écrits laïques des fondateurs de la république américaine. Pour ce faire, il devra se rendre, un peu plus loin, au siège des Archives nationales, avenue de la Constitution, pour y voir les manuscrits originaux de la Déclaration d'indépendance (1776), de la Constitution fédérale de 1787 et de ses dix premiers amendements regroupés dans le Bill of Rights (1791).

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