Régulation de la communication religieuse au Nigéria
Observatoire International du Religieux
Depuis le 11 septembre 2001, la question de la communication religieuse se pose avec acuité dans de nombreux pays. L’articulation mouvante entre médias et religion reconfigure les relations de pouvoir, et l’Afrique participe à cette dynamique. En son sein, le Nigéria exerce son influence religieuse au plan régional, voire continental. Dans ce pays de pluralisme religieux, l’Islam, le Christianisme et la religion traditionnelle se définissent mutuellement (Peel, 2016). Dans le camp chrétien, le courant néo-pentecôtiste est le plus dynamique avec une présence marquée dans les médias, notamment à travers les programmes des “télévangélistes”. Pour mieux cerner cette mouvance, prenons le cas d’une Église en particulier : Christ Embassy.
Ce ministère est représentatif du néo-pentecôtisme actuel. Il se place en continuité avec le pentecôtisme classique, notamment à travers son insistance sur la guérison, mais il s’en distingue néanmoins. Ainsi, cette Église fait largement référence à la prospérité, aux racines autochtones mais aussi américaines, avec par exemple le rôle de la « pensée positive » (Cf. : Pasteur Vincent Norman Peale). Enfin, cette Église est omniprésente dans les médias et son célèbre leader, Chris Oyakhilome, y joue un rôle central. Il est connu pour ses talents thaumaturgiques, spécialement mis en scène lors de « croisades » d’envergure, relayées dans le cadre du programme phare de l’Église : « Atmosphere for miracles ».
Or en 2006, la National Broadcasting Commission (NBC) est à l’origine de ce qui est largement connu au Nigéria comme le « ban on miracles». Cette tentative de mise en application des réglementations de son code fut alors largement commentée dans la presse : d’un côté, la commission devait limiter les activités des télévangélistes qui faisaient la promotion de miracles liés à des cas de guérison douteuse (ex : Sida) ; d’un autre côté, la NBC, en prétendant distinguer entre « vrai » et « faux » miracles, prenait une posture théologique intenable pour un organe séculier. De plus, son interventionnisme était tardif car le code existait depuis 1976, et ses principales cibles (il y avait aussi le « prophète » T.B. Joshua) ne faisaient pas partie du Pentecostal Fellowship of Nigeria (PFN), organisation à l’origine probable de la manœuvre (Ukah, 2011).
La réaction de la part de Christ Embassy, a pris trois formes. D’abord, pour contourner cette nouvelle norme, la « megachurch » a délocalisé ses activités de télédiffusion en Afrique du Sud. Ensuite, elle a modifié le contenu des programmes diffusés sur la télévision nationale (Nigerian Television Authority/NTA) en remplaçant son programme controversé par un autre, plus consensuel : « Pastor Chris Teaching ». Enfin, l’information concernant les activités religieuses de guérisons miraculeuses a été réorganisée : la part allouée au secteur Internet mais surtout celle dévolue au WEB 2 a crû de façon significative. De ce point de vue, il faut noter la création d’un réseau social (Yookos), comptant 10 millions de membres et cinquième à l’échelle du continent, juste derrière Tweeter.
En filigrane, cette opposition de Christ Embassy à la tentative de régulation de NBC au sujet de la diffusion des miracles illustre bien l’évolution des médias entre 2005 et aujourd’hui. Déjà en transformation rapide depuis la fin des années 80, en raison de la libéralisation des ondes, le « paysage audio-visuel nigérian » est encore davantage transformé par ce nouvel âge digital. A présent, la diffusion de l’information se fait largement grâce aux membres des réseaux sociaux. L’information y est relayée, et tire sa légitimité du fait qu’elle est reçue par le voisin.
Dans un cadre plus large de ces relations entre groupes religieux et autorité publique, il faut noter la tentative de l’État de Lagos pour réguler le bruit (juin 2016). Ce mois là, près d’une centaine d’établissements religieux ont été fermés car ils contrevenaient aux règlements de santé publique, et dépassaient les normes en terme de décibels, en raison de leur système de sonorisation. Il faut également évoquer le projet de loi du Gouverneur de Kaduna, Ahmad El-Rufai, toujours en 2016. Dans le Nord du pays aussi, la question de la communication, y compris religieuse, doit se comprendre à l’aune du contexte général nigérian. Le facteur religieux y est sensible, car très volatile (ex : Kano 1991). L’affrontement entre religions du livre est une clef de lecture utile, et elle explique une partie de la complexité du sujet des médias (cf. Larkin, 2008). En pratique, le projet de loi de l’État de Kaduna est destiné à encadrer les activités religieuses prosélytes dans l’espace public. Il stipule une identification claire des prêcheurs de rue, devant recevoir une licence avant d’exercer, de la part de la Christian Association of Nigeria (CAN) pour les chrétiens et de la Jama’atu Nasril Islam (JNI) pour les musulmans. De ce fait, le texte pourrait avoir pour conséquence un renforcement de la légitimité de ces deux grandes organisations, certes représentatives des deux camps mais pas de leur intégralité. Par exemple, Christ Embassy ne fait pas partie de la CAN tandis que du côté de l’Islam, les chiites rejettent l’autorité de la JNI. Ils sont regroupés au sein de l’ Islamic Movement of Nigeria et en décembre 2015, un clash les a opposé à l’armée. Leur leader, Ibrahim El-Zakzaki, est depuis incarcéré. Le mouvement chiite contourne cependant l’interdiction dont il fait l’objet grâce à Internet, comme dans le cas de Christ Embassy. A nouveau, en ce qui concerne le groupe radical Boko Haram (BH), qui a fait allégeance à l’Islamic State of Irak and Syria (ISIS) alias Daesh, la communication passe aussi par Internet, et dans la dernière phase digitale, BH utilise des sites comme Youtube et Twitter.
En conclusion, on peut noter un développement de la communication religieuse via les réseaux sociaux, fluides et résistants aux tentatives de régulations étatiques. Cette direction, à aborder dans le futur des études consacrées au Pentecôtisme et à l’Évangélisme global, devrait permettre une comparaison plus large avec l’Islam (Coleman & Hackett, 2015, introduction). Finalement, il faut souligner que la connaissance précise de la culture religieuse promue par ces nouveaux médias est d’autant plus stratégique que le Nigeria occupe une place de choix dans les enjeux contemporains à la croisée du politique et du religieux.
Références
COLEMAN, Simon, HACKETT, Rosalind (eds.), 2015, The Anthropology of Global Pentecostalism and Evangelicalism, New York University Press.
LARKIN, Brian, 2008, Signal and Noise: Media, Infrastructure and Urban Culture in Nigeria, Duke University Press.
PEEL, John, 2016, Christianity, Islam and the Orisa: Comparative Studies of Three Religions in Interaction and Transformation, University of California (disponible ici : http://www.luminosoa.org/site/books/10.1525/luminos.8/ )
UKAH, Franklin, 2011 “Banishing Miracles: Policies and Politics of Religious Broadcasting in Nigeria”, Politics and Religion Journal, vol. V, No.1 (Spring): 39-60.