Débat à l'occasion de la parution aux Presses de Sciences Po de "Guerres et conflits armés au XXIème siècle", le nouvel ouvrage dans collection Enjeu mondial co-réalisée par le CERI et l'Atelier de cartographie.
Introduction par Benoit Pélopidas et Frédéric Ramel
Table ronde en présence de:
Pauline Blistène, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre de philosophie contemporaine
de la Sorbonne.
Marine Guillaume, Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères
Ronald Hatto, Chargé d'enseignements à Sciences Po
Thomas Lindemann, Professeur des universités en sciences politiques à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
L'Enjeu mondial
Guerres et conflits armés au XXIe siècle
Presses de Sciences Po, 2018
Benoit Pélopidas, Frédéric Ramel
Avec les contributions de: Bertrand Badie, Thierry Balzacq, Laure Bardiès, Didier Bigo, Pauline Blistène, April Carter, Miguel Centeno, Daniel Compagnon, Frédéric Coste, Charles-Philippe David, Mathias Delori, Général Vincent Desportes, Daniel Deudney, Adrien Estève , Aude-Emmanuelle Fleurant, Éric Frécon, Frédéric Gros, Marine Guillaume, Ronald Hatto, Thomas Hippler, Bruno Latour, Thomas Lindemann, Benjamin Oudet, Yannick Quéau, Alexis Rapin, Hew Strachan, Vicki Yang
Plus d'information sur le site compagnon de L'Enjeu mondial
Responsables scientifiques: Benoit Pélopidas et Frédéric Ramel
Conflits et tensions dans le monde, arsenaux en voie de modernisation, nouveaux traités de régulation… Les armes nucléaires sont aujourd’hui plus que jamais un sujet de préoccupation. Mais se pose-t-on les bonnes questions ? Fondateur du programme d'étude des savoirs nucléaires, Nuclear Knowledges, au Centre des relations internationales de Sciences Po (CERI), le chercheur Benoît Pelopidas rend possible une prise en compte des enjeux éthiques et démocratiques du nucléaire. Ou comment la recherche peut-elle oeuvrer à une meilleure information des citoyens.
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Commentaire de Benoît Pélopidas
Cette carte illustre l’état du traité d’interdiction des armes nucléaires au 15 juin 2018, ainsi que les votes à l’assemblée générale des Nations unies le 7 juillet 2017 aboutissant à l’adoption dudit traité (122 voix pour, 1 contre, 1 abstention, sachant que les Etats dotés d’armes nucléaires ainsi que leurs alliés de l’OTAN, à l’exception des Pays-Bas, n’ont pas participé au vote). Cet état du monde se tient donc moins d’un an après l’ouverture à la signature du traité en septembre 2017. L’article XV-1 de ce dernier prévoit qu’il entre en vigueur quatre-vingt-dix jours après le dépôt d’un instrument de ratification, d’acceptation, d’approbation ou d’adhésion par le cinquantième Etat. On perçoit sur la carte le décalage entre le nombre d’Etats qui se prononcent en faveur de l’adoption du traité en juillet 2017 (122), le nombre de signataires au 15 juin 2018 (59) et le nombre de ratifications. Ce décalage témoigne de la pression exercée par les Etats dotés d’armes nucléaires contre la ratification de cet instrument, le degré de priorité parfois bas de l’objectif de désarmement nucléaire et de stigmatisation de la possession de ces armes par des Etats pourtant en principe favorables à l’adoption du traité et le temps habituel nécessaire à l’entrée en vigueur de tels traités internationaux. Dans les trois mois qui séparent la réalisation de la carte et l’écriture de ce commentaire, le Costa Rica (le 5 juillet 2018), le Nicaragua (le 19 juillet 2018), l’Uruguay (25 juillet 2018), la Nouvelle Zélande (le 31 juillet 2018) ont ratifié le traité, la Colombie a signé (le 3 août 2018) et les îles Cook ont déposé un instrument d’adhésion (le 4 septembre 2018), portant le nombre total de ratifications à quatorze. Le traité compte déjà soixante Etats signataires, donc si une majorité d’entre eux le ratifiaient, il entrerait en vigueur. Le texte du traité se trouve en français page 33.
Pour en savoir plus : www.sciencespo.fr/nk
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Commentaire de Benoît Pélopidas
Cette carte illustre l’état du monde nucléaire sous l’angle de deux instruments juridiques : le traité de non-prolifération des armes nucléaires, entré en vigueur en 1970 pour 25 ans et étendu indéfiniment en 1995, et les traités créant des zones exemptes d’armes nucléaires. Elle laisse de côté les traités concernant la limitation des armements et des essais nucléaires, qu’ils soient multilatéraux ou bilatéraux ainsi que les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, de son Assemblée générale et de la Cour internationale de justice. La carte occulte aussi le traité d’interdiction des armes nucléaires ouvert à la signature en septembre 2017 et pas encore entré en vigueur (il lui faut cinquante ratifications ; cf. figure 19 du volume et de ce compagnon).
Sur cette carte, on peut observer que l’hémisphère Sud dans son entier est une zone exempte d’armes nucléaires, que le traité de non-prolifération est celui qui compte le plus d’Etats parties et que pour le moment seule la Corée du Nord l’a quitté.
La recherche a établi qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire même si elle ne le reconnaît pas et que sa Constitution affirme qu’il ne sera pas le premier Etat à introduire l’arme nucléaire au Moyen-Orient. Sur le plan conceptuel, il est aussi essentiel d’introduire la catégorie du renoncement aux systèmes d’armes nucléaires qui permet d’observer que la grande majorité des Etats n’a jamais essayé de se doter de tels systèmes. Une telle stratégie non-nucléaire de sécurité échappe aux deux catégories de prolifération et désarmement, qui donnent son titre à la carte et postulent toutes deux un désir a priori d’armes nucléaires.
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Commentaire de Benoît Pélopidas
Ces graphes représentent le nombre d’ogives nucléaires dans le monde.
La séparation entre les deux graphes montre que plus de 90% des armes nucléaires ont constamment été aux mains des Etats-Unis et de la Fédération de Russie et que cette primauté demeure après la fin de la guerre froide. Par contraste, tous les autres Etats dotés et celui qui y a renoncé (l’Afrique du Sud) ont déployé des arsenaux de taille relativement limitée. Ces graphes montrent aussi la quantité considérable de systèmes d’armes nucléaires produits depuis 1945 (plus de 130 000) et le fait que leur nombre sur la planète a atteint un pic en 1986, qui s’est suivi d’une réduction drastique jusqu’à aujourd’hui. Il montre donc que le démantèlement massif d’ogives nucléaires est possible et a eu lieu. Néanmoins, ces graphes exigent au moins deux précisions.
La première précision consiste à contextualiser ce qui est mesuré. Si l’on mesure la capacité de destruction des arsenaux nationaux plutôt que le nombre d’ogives, les tendances sont très différentes. D’une part, la recherche récente sur les effets d’explosions nucléaires dans des environnements urbains sur la production de nourriture suggèrent qu’un affrontement nucléaire limité entre l’Inde et le Pakistan suffirait à tuer plus d’un milliard d’individus par famine. Les modèles climatiques aboutissant à cette prévision n’ont pas été testés sur les autres Etats dotés mais la recherche conduit à relativiser considérablement l’idée selon laquelle seuls les Etats-Unis et la Russie disposeraient d’arsenaux nucléaires susceptibles de causer des dommages majeurs. D’autre part, la capacité de destruction des armes nucléaires qui restent (environ 14 000 en 2018 contre 64 000 en 1986) demeure suffisante pour mettre fin à la civilisation humaine, en dépit de la réduction quantitative que nous avons notée. Même si l’on néglige la possibilité de famine indiquée plus haut, il convient de rappeler qu’en 1955 déjà, le rapport Strath estimait qu’une attaque sur le Royaume-Uni avec seulement dix bombes à hydrogène serait susceptible de causer jusqu’à douze millions de victimes et une perturbation irréversible de l’organisation de la société et de sa capacité productive. Enfin, si l’on mesure la capacité de destruction des arsenaux plutôt que le nombre d’ogives, le pic pour les Etats-Unis n’est pas en 1966 mais des décennies plus tard (Eden 2011).
La seconde précision concerne la dynamique récente de modernisation des arsenaux nucléaires entamée dans la totalité des Etats dotés, qui n’aboutit pas nécessairement à une augmentation quantitative du nombre d’ogives représenté sur le graphe mais prolonge la durée de vie de ces systèmes loin dans le futur et, dans nombre de cas, augmente leur capacité de destruction. Une compréhension agrégée des capacités de destruction exige par ailleurs de prendre en compte des systèmes d’armes non-nucléaires non-représentés ici mais qui accentuent encore considérablement la primauté des Etats-Unis.
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Sciences Po, Chaire d’excellence en études de sécurité et Centre de recherches internationales (CERI) ; Université Stanford, Center for International Security and Cooperation (CISAC).
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Quels sont les effets de l’introduction des systèmes d’armes nucléaires dans la politique internationale sur les formes de la conflictualité, le sens des alliances, la désirabilité des arsenaux nucléaires et le mode de légitimation du conflit ? Ce chapitre présente et met à l’épreuve de l’histoire la tradition majoritaire qui affirme l’existence d’une « révolution nucléaire ».
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