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Commentaire de Éric Frécon

Malgré la dizaine d’années passée à négocier (1973-1982), après les remises en causes partielles de la précédente Convention sur le droit de la mer, signée à Genève en 1958, certains pays n’ont pas accepté de signer ou ratifier la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Parmi eux – et coutumier du fait (cf. le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, le traité sur le commerce des armes et le statut de Rome de la Cour pénale internationale) : les Etats-Unis. Le désaccord semblait a priori surmontable. Il avait trait à l’exploitation des ressources sur le plateau continental mais le Sénat a préféré ne pas se lier les mains. A l’inverse, la Chine, peut-être en quête de réhabilitation post-Tiananmen, et peu avant de rejoindre l’Organisation mondiale du commerce en 2001, a ratifié cette Convention de Montego Bay en 1996 (comme la France peu avant). Grâce aux autres ratifications, le texte était déjà entré en vigueur en 1994.

Aujourd’hui, en mer de Chine méridionale, Pékin semble pourtant bafouer le droit de la mer en imposant ses propres notions, tandis que les Américains prétendent le faire vivre par le biais de leurs Freedom of Navigation Operations (FONOPs – Opérations pour la liberté de navigation). Celles-ci visent à rappeler les droits des marines de guerre en eaux territoriales ainsi qu’à distinguer les îles (avec eaux territoriales) des récifs (sans eaux territoriales). Tout n’est pourtant pas si simple et même les activités des Etats-Unis sont critiquées par les pays riverains pour qui les Américains abusent parfois des droits octroyés en zone économique exclusive notamment.

Dernier point : le statut d’Etat archipélagique, en vert, est également le fruit d’âpres négociations entre d’une part les pays côtiers, soucieux de protéger leurs eaux, d’autre part les Etats disposant d’une importante flotte et dont le passage ne doit pas être entravé.

A noter que les conditions d’attribution de ce statut archipélagique demeurent strictes et que les prétentions chinoises – par exemple, en 2017 à partir de l’idée de quatre Sha [sable], en allusion à quatre groupes d’îles en mer de Chine méridionale – n’ont jamais été prises au sérieux.

Les limites de l’espace maritime, 2018

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Commentaire de Éric Frécon

A la différence des prairies striées de barbelés ou des continents barrés de frontières, les océans proposent un modèle plus complexe, résultat du compromis entre Etats côtiers, souvent nouvellement indépendant et soucieux de profiter des richesses de la mer, et Etats de passage, avec leurs marines marchandes ou militaires habituées trois siècles durant – depuis Mare Liberum de Grotius, publié en 1609 – à la liberté de navigation en haute mer (plus précisément au-delà de trois milles des côtes, soit la portée d’un coup de canon).
Ce dégradé de souveraineté pourrait même être complexifié si l’on y insérait les détroits (sachant qu’il existe des régimes spécifiques pour certains d’entre eux) et les archipels.
Aussi les missions des marines deviennent-elles à géométrie variable quand il s’agit de protéger la souveraineté du pays, puisque de zone en zone, celle-ci perd en consistance à mesure que croissent les droits des bateaux de passage.

- A la différence d’un camion à terre, contrôlé dès la frontière, un navire de commerce peut naviguer dans les eaux intérieures et ne devra se signaler qu’au port – tout en se conformant aux règles de navigation du pays.

- Les navires devront traverser les archipels, placés sous la souveraineté des Etats, selon des voies précises ; les bâtiments de guerre devront solliciter des autorisations pour effectuer des manœuvres.

- Un navire de guerre pourra naviguer dans les eaux territoriales mais de façon inoffensive et, d’après le droit coutumier, il devra en sus se signaler.

- Un navire de guerre devra traverser sans délai un détroit placé sous la souveraineté de l’Etat côtier ; il pourra néanmoins y faire décoller des aéronefs.

- Un navire de la police ou des douanes pourra continuer une poursuite jusque dans la zone contigüe.

- Un Etat côtier n’exercera plus de souveraineté stricto sensu sur sa ZEE mais y bénéficiera de droits souverains, « sous sa juridiction », notamment pour l’exploitation des ressources. Les autres Etats pourront y poser des câbles ou des pipelines.
S’agissant des bâtiments de guerre, ils pourront s’y livrer à des « activités militaires » mais le sujet fait encore débat. Notons que l’article 56 demande à l’Etat côtier de tenir « dûment compte des droits et des obligations des autres Etats » tandis que l’article 58 demande à ces derniers de tenir « dûment compte des droits et des obligations » des Etats côtiers. On est ici au cœur même du compromis – et du flou qui en résulte.

- Un Etat côtier n’aura de droits souverains que sur le sous-sol de l’extension de son plateau continental.

En France, selon les zones et les activités, la tutelle administrative varie : maires, préfets et préfets maritimes sont conjointement impliqués.

Résumé 

La mer suscite toujours l’intérêt des géopolitologues et des états-majors. Mais les conventions qui y régissent le droit des conflits armés se révèlent souvent peu adaptées. Les marines pourraient profiter de ce flou : après avoir défendu leurs intérêts nationaux sur un mode strictement militaire, en haute mer puis le long des côtes et finalement partout, elles tendent à exploiter les marges de manœuvre offertes par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Les ambiguïtés existantes permettront-elles de nouvelles approches moins frontales ou sont-elles le premier pas vers l’escalade ?

Bibliographie 

Bateman Sam et Chan Jane (eds), Thinking about the Future Maritime Security Environment in the Indo-Pacific, Singapour, RSIS, 7 août 2017.

Beckman Robert, « Military Activities in the EEZ: Legal Issues », Security Environment of the Seas in East Asia, conférence organisée par RSIS-OPRF, 28-29 février 2012.

Centre d’études supérieures de la Marine (CESM), « Mers agitées : la maritimisation des tensions régionales », Études marines, 3, janvier 2013.

Coutau-Bégarie Hervé, Le Meilleur des ambassadeurs, Paris, Economica, 2010.

Delumeau Isabelle et Kowalski Jean-Marie, « Agir sous la mer », Journées d’histoire navale, organisée par l’École navale, l’ENSM (École nationale supérieure maritime) et l’Institut universitaire européen de la mer, Brest, 11-12 mai 2017.

Direction des affaires juridiques. Sous-direction du droit international et du droit européen. Bureau du droit des conflits armés, Manuel de droit des conflits armés, Paris, Secrétariat général pour l’administration, Ministère de la Défense, 2012.

Henrotin Joseph, Les Fondements de la stratégie navale au XXIe siècle, Paris, Economica, 2011.

Koh Swee Lean Collin, Rethinking Naval Modernization in Southeast Asia: A Heuristic Approach, thèse de doctorat soutenue à la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS) de Singapour, 2016.

Marghélis Aris-Georges, La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dans ses rapports aux relations internationales : entre pacification et tensions. Pour une approche sécuritaire et stratégique du droit de la mer, thèse de doctorat en droit international de la mer, sous la direction de Patrick Chaumette, Université de Nantes, juin 2016.

Till Geoffrey, Seapower: A Guide for the Twenty-First Century, Londres, Routledge, 2013 (3e éd.).

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