Colombie. Les surprises du premier tour de l’élection présidentielle
Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle en Colombie (30 mai) appellent trois commentaires. Le premier sera de souligner l'ancrage démocratique du pays. Le deuxième porte sur l'échec des prévisionnistes. Le troisième sur le rôle des réseaux sociaux.
Il y eut des irrégularités, sans doute relèvera-t-on prochainement des traces de fraudes ici ou là. Mais globalement la journée se déroula sans violences notables, avec un taux de participation de 49%. Cela laisse certes une abstention de près de 51%, ce qui revient à dire, tout de même, qu'un peu plus de la moitié des électeurs ne se sont pas déplacés. C'est beaucoup, mais c'est une meilleure participation qu'en 2006 où l'on avait relevé 45% de participation. Certains départements ont d'ailleurs largement dépassé le pourcentage national, le plus enthousiaste étant le département de Cundinamarca, la région autour de Bogota, avec 61% et la capitale elle-même, dite district capital avec 60%. Il faut relever l'écart avec le département le moins votant, celui de Bolivar, avec 38% de participation. Le fait que les sondages indiquaient qu'il y aurait très probablement un deuxième tour a pu jouer un rôle, certains électeurs décidant de ne se déplacer que pour ce second tour, prévu le 20 juin. L'examen des élections à deux tours montre, en Colombie comme ailleurs, une plus grande mobilisation des électeurs, autour de dix points en général. On peut donc attendre une baisse non négligeable du taux d'abstention pour cette date. Ainsi en 1994, l'abstention était passée entre les deux tours de 66% à 56.6%.
Le dernier enseignement que l'on peut tirer de ce premier tour conduit à s'interroger sur la place des médias, en particulier des nouveaux médias, et sur le rôle des sondages. Comme on a pu le constater ailleurs, les sondages ont été démentis partiellement dans leurs prévisions. La soirée électorale de dimanche et les commentaires le lendemain mettaient en avant cette question. Comment pouvait-il se faire que là où les enquêtes prédisaient toutes ou presque une quasi égalité des votes entre Santos et Mockus, on aboutissait à un tel écart de votes ? De même, comment expliquer le vote pour Vargas, bien plus élevé que prévu et de loin ? On peut bien entendu entonner l'hymne de la critique facile face à ces instituts de sondages qui détruisent la démocratie en étant incapables de faire réellement leur travail. Mais, à moins de penser que toutes ces officines sont peuplées de gens incapables, cette critique radicale est peu efficace et dénué de fondements. Il est plus constructif de souligner, comme l'on fait les représentants de ces diverses sociétés d'études d'opinion présents sur les plateaux de télévision, que leur travail n'est pas toujours simple. En Colombie, par exemple, les sondages sont interdits la dernière semaine avant le vote, par suite d'une modification du code électoral. Comme le disait l'un de analystes interrogés, « c'est comme si l'on vous demandait de prédire le résultat d'une course sans pouvoir observer les derniers 500 mètres ». La comparaison sportive vaut ce qu'elle vaut, elle n'est pas dénuée de logique. De la même manière, j'ai relevé, en comparant les résultats des départements avec ceux de leur préfecture, qu'à chaque fois, les chiffres sont plus favorables à Mockus dans celles-ci que ceux obtenus au niveau départemental. L'explication en est simple : Mockus, tant par sa personnalité que par son programme, est le candidat des élites urbaines intellectuelles, d'une certaine gauche centriste, de tous les gens qui souhaitent un changement et sont donc ouverts à l'idée même de changement. Ce n'est pas un hasard si la seule ville où il arrive en tête du vote est Tunja, préfecture du département de Boyacá. Cette ville est marquée par une forte présence universitaire, et Mockus, pour avoir été professeur et recteur d'université, a reçu de nombreux appuis dans cette partie de l'électorat. A l'inverse, dans des départements pauvres, ruraux, isolés, il obtient ses scores les moins élevés, comme dans le Casanare où il réalise un tout petit 12.41 là où Santos emporte 75.2% des suffrages ! Ou dans le département voisin de Vichada où il arrive péniblement à 20.4% face aux 60.2% accordés à Santos. Ce que l'on veut dire ici est que les instituts de sondages n'ont peut-être pas tout-à-fait correctement mesuré l'ensemble de la population, pour des raisons d'accès à certaines zones, soit qu'elles soient éloignées soit qu'elles soient dangereuses et cela a pu fausser les résultats. L'autre facteur qui a sans doute focalisé l'attention sur Mockus, et peut-être à son détriment au final, est le recours aux réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Certes, il était notable de constater l'usage novateur et efficace par la campagne Mockus de ces instruments récents. Le parallèle avec Obama fut même évoqué. Mais c'était oublié que, même si nombre de Colombiens sont connectés à ces sites, c'est loin d'être le cas, et c'est plutôt, là encore l'apanage de certaines couches sociales, inégalement réparties là aussi sur le territoire. Bref on aurait confondu l'arbre avec la forêt, ou plus exactement quelques buissons avec la savane. Il faut remarquer ici, que l'usage de ces réseaux est également répandu chez les jeunes, or si on a pu remarquer une présence forte de jeunes, étudiants notamment, ces derniers représentent une part peu importante de la population. Par ailleurs, le jour du vote, nombre de ces jeunes ne sont pas allés voter, par manque d'expérience ou par paresse, et on a même noté que des électeurs n'ont pu exercer leur vote car ils se sont présentés trop tard dans les bureaux de vote qui, il est vrai, ferment à 16 heures. Dans un pays où les habitudes culturelles poussent parfois à faire les choses un peu au dernier moment .... Ce sont des voix qui ont été perdues. Elles pourront toujours se faire entendre le 20 juin, si la leçon a été retenue ! Et il ne faut pas non plus négliger que la prédiction selon laquelle Mockus ferait autant de voix que Santos a peut-être joué en sa défaveur en démobilisant un peu son électorat. Un dernier élément, lié aux médias, et qui contribua à faire baisser Mockus sans qu'on s'en aperçoive, c'est l'effet des débats qui ont eu lieu. Car il y en eut 8 au niveau national ! C'était là un exercice nouveau par son étendue. Les candidats eurent tout loisir pour présenter leurs programmes et leurs idées, et il faut avouer que Mockus ne s'en sortit pas toujours très bien. On peut justement lui reprocher de s'être parfois cantonné dans des généralités, là où certains candidats moins bien partis ont pu, tout au contraire, apparaître comme plus crédibles. Ce sont sans doute Vargas et Pétro qui ont le mieux tiré parti de ces débats en faisant des propositions concrètes qui ont sans doute contribué à leur position dans les résultats de ce premier tour.
La Colombie a su vivre, au cours de cette campagne présidentielle qui aurait pu être tendue et même violente, des moments intenses et passionnants. Un vrai débat a eu lieu et la présence de plusieurs candidats sérieux et dont les propositions sont intéressantes devrait inspirer le futur gouvernement, quel qu'il soit.