La mémoire des militaires argentins : les cas du Circulo Militar et du CEMINDA
La question de la mémoire a aussi intéressé les militaires qui ont construit leur propre mémoire. Deux groupes de militaires seront étudiés car il serait abusif d'étudier l'armée argentine comme un groupe homogène. Notre propos portera d'une part sur les militaires du Circulo Militar de Buenos Aires et d'autre part sur les militaires du CEMIDA, Centro de Militares Para la Democracia Argentina. Comment ces deux entités bien distinctes ont constitué leur mémoire ? Autour de quel thème fondateur ? Quels sont leurs arguments et quel public touchent-ils respectivement ? Enfin, nous étudierons le pendant des associations des familles de disparus mais du point de vue des « familles de militaires mort durant la guerre contre la subversion ».
Le circulo militar, apologiste de la guerra contra la subversion
Le Cercle Militaire est une association d'officiers de l'Armée crée en 1880 dans le but de resserrer les liens entre les officiers. Encore aujourd'hui le Circulo Militar soutient l'action de l'armée dans les années 1970. Ainsi, lorsqu'un visiteur se rend au Circulo Militar, face à la Plaza San Martin à Buenos Aires, il pourra observer dans le hall d'entrée l'exposition permanente consacrée aux guerres menées par l'Armée argentine depuis la création de l'Etat moderne, parmi lesquelles figure la guerre contre la subversion. Et plus loin, dans les jardins, une plaque commémorative rend hommage aux militaires morts lors de cette guerre. Le plus intéressant reste les publications du Circulo. En effet les militaires argentins sont les rares militaires d'Amérique Latine à aborder les guerres sales des années 1970 et à en revendiquer la légitimité. Il faut signaler que les publications sont assez récentes, la dernière datant de l'année 2001. Enfin, ces publications, à « but didactique », prétendent rétablir la vérité historique sur ces années. Nous proposons ici de donner quelques extraits de ces publications qui illustreront par eux-mêmes la philosophie qui règne encore aujourd'hui au Circulo.
Prenons l'exemple de l'ouvrage Los 70, Violencia en la Argentina. Dès l'introduction, l'auteur dénonce la formation d'une sorte de « vérité officielle » sur les évènements des années 1970, « qui ne correspond pas avec la vérité des évènements ». Il montre ensuite que le cas argentin est une exception dans le Cône Sud puisque les armées brésiliennes et chiliennes ne connaissent pas les mêmes condamnations nationales. Il conclut en affirmant que « nous ne pouvons pas permettre que dans la mémoire argentine reste seulement gravée des images contraires à la réalité ». Les bases sont posées et à partir de là, l'auteur propose de revenir sur l'agression communiste en Argentine et dans le monde, remontant jusqu'à la Révolution russe. Puis il centre son propos sur l'agression subie en Argentine de 1969 à 1979. Les bornes chronologiques sont intéressantes puisque l'auteur a choisi de montrer que la guerre contre la subversion prend fin en 1979, alors que le gouvernement militaire fut en place jusqu'en 1983. Tout au long de l'ouvrage, l'auteur insiste sur la légitimité de l'action des militaires, légitimité qu'ils tiendraient du dernier gouvernement constitutionnel d'Isabel Perón. En effet, celle-ci, par le décret N°261 du 5 février 1975, ordonna aux Forces Armées « d'éliminer la subversion en Argentine ». Dès lors l'armée n'aurait fait que « continuer la mission qui leur avait été confié par un gouvernement constitutionnel (...) il était donc légal de continuer la guerre avec l'installation d'un gouvernement de fait ». L'auteur réaffirme régulièrement que l'armée argentine a livré une « guerre qu'ils n'ont pas provoqué, encore moins désiré ». L'ouvrage est écrit dans un style simple et répétitif accessible à tous, l'objectif didactique est visible puisque les phrases clés sont écrites en gras, enfin l'ouvrage comprend de nombreux statistiques. Il se termine sur la réflexion suivante : « Si les organisations marxistes-léninistes des années 1970 avaient triomphé comme ce fut le cas à Cuba et au Nicaragua, les fondements politiques, économiques, sociaux et culturels, qui nous correspondent fondamentalement, seraient-ils les mêmes. Sincèrement nous en doutons. »
Parmi les autres publications du Circulo Militar, nous citerons rapidement les trois imposants tomes d'In Memorian, qui sont une sorte de pendant du Nunca Mas, au sens où ils comptabilisent les victimes civiles et militaires de la guerre contre la subversion de 1960 à 1989.
Le CEMIDA : défenseur de la légalité constitutionnelle et de la démocratie en Argentine.
Le CEMIDA, Centro de Militares Para la Democracia Argentina, fut crée en 1984. Le CEMIDA a notamment pour objectif de montrer à l'opinion publique mais aussi aux officiers militaires qu'il existe un courant profondément constitutionnel au sein des Forces Armées. Ses membres s'opposèrent aux méthodes du gouvernement dictatorial durant ces mêmes années. Ainsi son président, Horacio Ballester, m'a expliqué qu'il avait été detenido-desaparecido durant plusieurs années. Victimes de menaces et d'attentats, cet ancien compagnon d'armes de Videla, de Viola ou encore de Massera défend son engagement en disant : « un moment nous n'étions plus d'accord, ça allait trop loin, il fallait réagir ». Aujourd'hui, le CEMIDA, collabore activement avec les organismes des droits de l'Homme, participe en temps que témoins à des procès dans les provinces de Santa Fe, Bahia Blanca, mais aussi au Nicaragua, Guatemala et Espagne. Ils sont aussi engagés dans des actions sociales, et participent à cet égard à des colloques sur le développent des Pays en Voie de Développement en Amérique Latine et en Europe. Car, selon eux, la démocratie ne s'affirmera qu'avec l'autonomie économique de l'Amérique Latine, par rapport aux Etats-Unis notamment.
L'Asociación de Familiares y Amigos de los Presos Políticos de la Argentina: relai de la cause des militaires impliqués dans la répression.
L'AFyAPPA se définie comme une « association civile, à but non lucratif, apolitique, qui regroupe des proches et partisans des Forces Armées, de sécurité, policiers argentins, qui sont injustement détenus et/ou jugés, pour avoir accompli leur sainte mission de défense de la Patrie durant la guerre contre le Terrorisme des années 1970 ». La présidente de cette association, Cecilia Pando, est particulièrement connue pour ses déclarations et ses réactions violentes. Ainsi lors d'un procès, qui jugeait quatre anciens répresseurs, dans la province de Corrientes, elle a menacé de mort le secrétaire d'Etat au droit de l'Homme Eduardo Luis
Duhalde. L'association dispose d'une revue, B1 (Vitamina para la memoria de la guerra de los 70), qui rend compte des procès, rend des hommages, ou adresse des lettres ouvertes telle la Carta abierta al Secretario de Derechos Humanos Eduardo Luis Duhalde par Augustin Laje Arrigoni :
De mi mayor consideración:
Me dirijo a usted, Sr. Eduardo Luis Duhalde, o "Damián"(1), tal su nombre de guerra cuando usted militaba en la subversión terrorista...vamos Sr. Duhalde, no se haga el tonto y el desentendido, por que todavía quedan argentinos que saben muy bien que usted estuvo vinculado con las filas del Ejército Revolucionario del Pueblo (ERP), y que hoy se resguarda de manera hipócrita tras una función que no tiene aptitudes morales para cumplir.
Tampoco trate de ocultar su profunda admiración y simpatía para con el Comandante terrorista erpiano, Mario Roberto Santucho, de quien usted fuera abogado en la causa número 305, por el secuestro, tortura y asesinato del Dr. Oberdán Sallustro.(2)
Me gustaría preguntarle, Sr. Duhalde, ¿Quién se ocupa de los derechos humanos del Dr. Sallustro? ¿Usted? Pues no lo creo. Usted se ocupó de negárselos. Tal como se los niega hoy en día a las miles de víctimas del terrorismo con el cual usted se vinculó.
Tenga presente que también quedan argentinos que saben que usted fue director junto a Rodolfo Ortega Peña de la revista Militancia, desde donde justificaba, apoyaba y alentaba a las masas terroristas que sucumbían nuestro país. (3)
¡Usted sí que sabe tomarnos el pelo Sr. Duhalde!
A veces me pregunto, sin encontrar una respuesta tranquilizadora, ¿No les da vergüenza a los argentinos tener (y pagar su sueldo) a un terrorista ocupando funciones como secretario nada más y nada menos que de Derechos Humanos?
Mi deseo no es herir sus sentimientos Sr. Duhalde, pero a mi me da mucha vergüenza.
Dicen que todos somos responsables de nuestros propios actos...y usted es responsable de los suyos también.
Usted viajó a Nicaragua, Sr. Duhalde, para reunirse con su camarada y jefe de armas, el asesino Enrique Gorriarán Merlo, y fundar un nuevo grupo terrorista, con elementos residuales del PRT-ERP. Me refiero al Movimiento Todos por la Patria (MTP) (4), ¿recuerda?
Por si no lo recuerda, ustedes planearon desde el exterior el ataque contra un gobierno constitucional Sr. Duhalde.
Dejaron decenas de muertos, decenas de mutilados, y decenas de familias destruidas al copar el regimiento de La Tablada.
¿Y con que autoridad moral usted vela (y cobra por ello) por los Derechos Humanos de los argentinos que no supo respetar en antaño?
Usted colaboró en la destrucción de seres humanos Sr. Duhalde. Y eso, todavía quedan argentinos que lo saben.
Hace poco, en la edición del 14/02/07 del diario español "El País", se le preguntó sobre su relación con las organizaciones terroristas argentinas en los 70, a lo que usted contestó "No respondo a las acusaciones de los sectores contrarios a la política de derechos humanos"(5).
Lisa y llanamente, ¿Quiso decir que la política de Derechos Humanos sólo se preocupa por algunos humanos? Entonces no está cumpliendo con sus funciones Sr. Eduardo Luis Duhalde. Usted debería saber mejor que yo, que todos los hombres gozamos de esos derechos.
Se hizo el distraído frente a la pregunta de "El País". Le pido que conmigo, no se haga el desentendido. Existen documentos Sr. Duhalde, y sin ir más lejos, se puede ver a usted acompañado por dos terroristas y una bandera con las leyendas "Montoneros" y "ERP" y algunas que otras estrellas rojas en una fotografía que tengo en mi ordenador.
Usted no solo apoyó y contribuyó en muertes, secuestros, torturas y los más diversos atentados perpetrados por las organizaciones terroristas de los 70. Sino que también, atentó contra la democracia y sus instituciones, de las cuales vive hoy día.
En una entrevista a su camarada Luis Mattini, le preguntaron: - "¿Qué habría pasado si el ERP hubiera triunfado? ¿Hubiera prevalecido la idea de establecer la democracia o de adoptar una dictadura del proletariado?"
A lo que el terrorista erpiano contestó: - "No nos chupemos el dedo... La historia es la historia y hay que hacerla con la verdad. Pero la verdad es que nosotros nunca pensamos en la democracia". (6)
Diga usted también la verdad.
Sr. Luis Duhalde, yo no me chupo el dedo. Usted no cree en la democracia, y mucho menos, en Derechos Humanos.
Fuentes:
(1): "Nadie Fue" - Juan B. Yofre
(2): "Yo Asumo" - Norberto Cozzani
(3): "Nadie Fue" - Juan B. Yofre
(4): "La Mentira Oficial" - Nicolás Márquez
(5): Diario "El País" - edición del 14/02/07
(5): "Nadie Fue" - Juan B. Yofre
Les militaires qui défendent encore aujourd'hui la guerre contre la subversion restent violents dans leurs actes et leur propos, ce qui laisse à penser qu'ils réitèreraient certainement si l'occasion se présentait. Le style de Cecilia Pando vise avant tout à provoquer mais il montre qu'une partie de la société civile, certes mince, justifie toujours l'action du gouvernement militaire durant la dictature. Ce sont donc, encore aujourd'hui, deux camp qui s'affrontent, les partisans de la dernière dictature et ceux qui s'y opposent, tel les militaires du CEMIDA, à la différence que les répresseurs sont aujourd'hui jugés par les oppressés d'autrefois.
L'analyse n'a porté que sur un échantillon restreint de l'Armée et une association de soutien. Il est en effet difficile de savoir où se situe les militaires argentins d'aujourd'hui qui n'appartiennent ni au Circulo Militar ni au CEMIDA. Sont-ils attachés à la démocratie ? Quel point de vue ont-ils sur la guerre qu'ont menée leurs ainés dans les années 1970 ?
Les photos et graphiques qui illustrent cet article proviennent d'une part de l'ouvrage Los 70, Violencia en la Argentina et d'autre part du blog de l'AFyAPPA.
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http://www.circulomilitar.org/web2/otrosv.htm
Chapitre 2, El Accionar subversivo durante una década (1969-1979), page 86.
Entretien de l'auteur avec Horacio Ballester tenu à Buenos Aires le 4 mars 2009.
Voir le lien suivant : http://afyappa.blogspot.com/
Elle a déclaré « je vais te tuer de mes propres mains » en passant son doigt le long de sa gorge, montrant qu'elle allait l'égorger.
Pour des articles rendant compte des faits voir : « De la tragedia a la comedia » Pagina/12, 7 août 2008, Buenos Aires.
Voir aussi les liens suivants : http://www.youtube.com/watch?v=MWfToyG2yno et http://www.youtube.com/watch?v=28BdTLRcgCo&feature=related
Publiée dans l'Historia Paralela, http://www.lahistoriaparalela.com.ar/2007/10/12/carta-abierta-al-secretario-de-derechos-humanos-eduardo-luis-duhalde/#more-4815