Les clubs sociaux issus des communautés immigrées et leur évolution après la fin du phénomène migratoire
S’installer aujourd’hui au cœur São Paulo n’est pas une mince affaire. La capitale économique du Brésil déborde d’activité et l’on se perd facilement dans ce dédale de gratte-ciels qui semble croitre à vue d’œil. Au début du XXe siècle, en plein essor industriel, on peut donc imaginer les difficultés des migrants qui terminent leur long et périlleux voyage sur cette terre étrangère dont ils ne connaissent rien – si ce n’est l’image de la propagande. Ils ne communiquent pas facilement avec l’autre coté de l’Atlantique, la plupart vivent dans des conditions précaires et l’adaptation à leur nouvel environnement s’avère difficile. Dans ce contexte se développe une forte activité associative : société de secours mutuels et de bienfaisance, clubs sociaux et récréatifs, groupes folkloriques…
Ce sont les clubs sociaux sur lesquels nous allons nous concentrer dans cet article. Ils constituent un objet d’étude intéressant car on les trouve dans les trois pays dans lesquels se déroule notre recherche. Cela nous permettra in fine de comparer l’information collectée. D’autre part, puisque leur activité est exclusivement récréative, ils sont avant tout basés sur le sentiment d’appartenance à une communauté : pourquoi fréquenter un club portugais, espagnol ou italien si ce n’est par attachement au pays ?
Or avec la fin du phénomène migratoire, on peut noter une forte diminution du cadre associatif. Les communautés tendent à s’intégrer et le sentiment d’appartenance se dissout. Les jeunes générations ne trouvent pas d’intérêt à fréquenter de telles institutions communautaires et les clubs traversent donc une crise aux multiples conséquences. Pourtant, les associations que nous avons étudiées fêtent leur 90, 100 voire 110e anniversaire.
Comment cette lutte contre le temps est-elle menée ? Dans quelle mesure la crise actuelle annonce-t-elle la fin des clubs sociaux issus de l’immigration européenne ?
Une première partie nous permettra de comprendre l’histoire de chacune des institutions et ses premières évolutions au fil du siècle. Cela nous amènera à présenter les différents aspects de la crise actuelle et les solutions adoptées par les communautés.
I. Le cheminement de trois clubs comparables à travers l’histoire
o La Société Hispano-brésilienne et ses 113 années d’histoire
1898 est une année de crise internationale pour l’Espagne qui perd Cuba, PuertoRico et les Philippines, trois de ses plus anciennes possessions. En réaction à ce coup porté à l’Espagne, la « génération 98 »naît afin de redonner ses lettres de noblesse à la culture espagnole. Ce mouvement traverse les frontières et arrive notamment au Brésil. C’est dans ce contexte qu’est créée la Société Hispano-Brésilienne de Secours Mutuels, d’Instruction et de Loisirs à São Paulo.
Dans un premier temps, son objectif est d’entretenir les liens solidaires entre les espagnols. Cela passe par une aide sanitaire, un appui dans les démarches juridiques, un soutien moral et une éducation minimum pour les populations qui arrivent. A ce titre, l’association joue un rôle important pendant la pandémie de grippe espagnole puis pendant guerre civile en Espagne.
L’idée initiale des fondateurs était de créer un hôpital mais le budget que nécessite le projet est impossible à rassembler : tous les fonds collectés à travers les mensualités des membres sont utilisés pour le secours des plus démunis. Des événements culturels permettent d’augmenter les recettes de la Société mais sans lui donner l’aisance financière nécessaire à l’entreprise d’ambitieux projets.
En 1940, grâce à des festivals et aux dons des associés,la Société acquiert le terrain sur lequel sera construit le bâtiment de l’hôpital. Il est situé Rua Ouvidor do Portugal, près du musée Ipiranga, à quelques pâtés de maison des quartiers Brás et Mooca, lieux de résidence privilégiés des immigrés. Cependant, la Seconde Guerre Mondiale éclate et les politiques de nationalisation des associations étrangères par le gouvernement brésilien viennent entraver le projet. Malgré la neutralité de l’Espagne dans la guerre, la Société hispano-brésilienne se voit obligée à élire dans son bureau des brésiliens exclusivement. Elle va aussi changer de nom (elle devient Société Brésilienne de Secours Mutuels) et adapter ses statuts aux nouvelles lois.C’est seulement en 1949 que la société redevient « hispano-brésilienne », afin d’attirer de nouveaux membres espagnols qui n’adhéraient pas à l’association faute d’en connaître l’origine.
En 1958, la première pierre de l’hôpital est posée. Néanmoins, dans les années 1960, la politique et les objectifs de la société connaissent un tournant : dans le but de récolter des fonds, on installe une piscine, on organise plus de rassemblements culturels… La Société n’est plus seulement une institution de bienfaisance. Ce mouvement s’accompagne d’une volonté de raviver l’hispanité de l’association. Pour ce faire, elle se rapproche des autres institutions espagnoles. En 1967 c’est un des plus grands centres récréatifs de São Paulo avec 3000 membres et l’idée de fusionner toutes les institutions espagnoles émerge.
Cette intégration des associations a lieu entre 1976 et 1977. La Casa de España, le Centro Gallego, el Centro Español et le Centro DemocráticoEspañol survivent difficilement seuls et se joignent donc à la Société Hispano-Brésilienne de Secours Mutuels. Cela provoque un renouveau brutal de l’hispanité qui sera plus ou moins bien reçu par les membres, selon leurs liens avec l’Espagne. Une nouvelle ère est entamée dans l’histoire de la Société puisque ses directeurs sont de nouveau espagnols et son objectif principal est culturel. En effet, avec le temps la composante solidaire perd de son sens puisque les nouveaux arrivants sont beaucoup moins démunis que ceux qui débarquaient au début du siècle.
A l’heure actuelle, la SHB (Société Hispano-Brésilienne) se trouve toujours sur le terrain de la Rua Ouvidor do Portugal mais son activité a beaucoup évolué. La partie médicale est dérisoire d’autant qu’une autre institution de bienfaisance espagnole existe à São Paulo. Il s’agit maintenant d’une institution sociale et de loisir dans laquelle s’organisent des célébrations régionales tout au long de l’année, des cours de langues espagnoles (incluant des dialectes régionaux) et des événements culturels. Le complexe de la SHB se constitue d’une piscine, d’un restaurant, d’une salle de jeux et de plusieurs salles de fêtes où s’organisent les célébrations de la SHB mais qui sont aussi louées pour des événements extérieurs.
o Le centenaire du Circolo Italiano
Comme nous l’avons souligné dans un article précédent sur les régionalismes italiens, la communauté italienne à São Paulo est divisée horizontalement par les différences sociales et verticalement par les appartenances régionales. Au début du XXe siècle, l’on fréquente volontiers le club de sa région voire de sa ville sans avoir de contact avec les autres institutions italiennes. Un groupe d’immigrés entreprend donc en avril 1911 de surpasser les clivages régionaux de la communauté en créant le Circolo Italiano afin de réunir les familles italiennes éparpillées dans la capitale. L’idée est un succès et la croissance du club est exponentielle. Très vite, il déménagedans un nouveau siège plus grand, plus élégant, plus élitiste.
En 1951, l’activité reprend et le siège, libéré par les autorités, redevientun lieu de rencontre des italiens et italo-brésiliens. Le problème de l’espace revient à l’ordre du jour et en 1954 le contrat pour la construction de l’EdificioItalia est conclu. En attendant la fin des travaux, le Circolo occupe l’actuel bâtiment de l’Institut Italien de Culture. Cette période est la plus dynamique de son existence : les initiatives se multiplient dans les domaines culturel et social : entre célébrations artistiques, patriotes et actes de bienfaisance l’activité du cercle bouillonne. Les samedis sont même consacrés aux fêtes des jeunes.
En 1964, le Cirocolos’installe dans le bâtiment que l’on connaît aujourd’hui. Il occupe les deux premiers étages d’une tour qui en compte 47 et tire sa renommée de la vue imprenable qu’elle offre sur São Paulo. Dans la partie réservée au Circolo, on trouve les mêmes infrastructures que dans la Société Hispano-Brésilienne à l’exception de la piscine. L’association organise 4 fêtes au long de l’année : une pour l’élection du nouveau bureau, celle de la République Italienne en juin, la fête du printemps en septembre et le Réveillon. Cependant se sont majoritairement des événements extérieurs qui occupent la salle de fête.
o Club Portugais, 91 ans plus tard
Le club portugais a une histoire assez similaire à celle du Circolo Italiano. Il est l’initiative conjuguée de plusieurs immigrés portugais dont le principal est Ricardo Severo da Fonseca e Costa, un architecte et entrepreneur, exilé au Brésil depuis 1891. L’homme a déjà à son actif un engagement fort dans le centre républicain et sa participation à la création de la chambre de commerce quand il se lance dans la création d’un club qui serait le lieu de rencontre de la communauté.
Dès ses premières années d’existence, le club attire une certaine élite sociale. Les actuels membres se refusent à le dire mais c’est un fait avéré. Cet élégant centre organise des événements mondains, intellectuels et artistiques. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les politiques nationalistes de Vargas touchent aussi le Club Portugais qui deviendra pendant quelques années le ClubePortugália avant de revenir à son nom antérieur.
Néanmoins, l’association rebondit. Elle possède un bâtiment avec une salle de sport, deux piscines découvertes, plusieurs salles de fête et une bibliothèque bien fournie. La direction décide donc d’exploiter ce capital afin de faire survivre le club quelques années encore. Cependant l’association où se rencontraient autrefois les jeunes portugais voit son activité réduite à deux fêtes par années : l’anniversaire de l’institution le 14 juillet et le dîner de Noël.
o Trois clubs comparables malgré leurs différences
Après avoir étudié l’origine de ces trois associations, on peut voir qu’elles ont leur différences : la SHB a commencé comme institution d’assistance sociale alors que les deux autres ont toujours eu une visée récréative. D’autre part, si la SHB est relativement élitiste depuis les années 1960, elle n’a pas toujours eu ce caractère comme pouvaient l’avoir le Circolo Italiano et le Club Portugais.
La comparaisonreste cependantpertinente. En effet, aujourd’hui les trois associations poursuivent le même genre d’objectifs et sont dotées d’infrastructures similaires pour faire face à des crises qui se ressemblent. Les différences se font donc dans la manière d’aborder les problèmes et dans les décisions prises pour les affronter.
Par ailleurs, les trois institutions ont joué un rôle comparable dans la vie sociale de leurs communautés respectives. Elles sont toutes les trois l’institution de référence à laquelle il faisait bon d’appartenir lors de l’âge d’or de l’immigration.
Ces associations sont aussi reconnues au niveau de la ville et par les personnalités en visite à São Paulo qui ne manquent pas de venir saluer les directeurs de ces clubs comme associations représentatives de la culture d’origine dans le pays d’accueil.
Enfin, il est important de souligner que les trois institutions choisies pour cet article sont des rares qui surpassent les régionalismes. De fait, beaucoup d’associations se limitent à une région ou une ville et n’ont pas cette vocation fédératrice.
II. Une crise aux multiples facettes et les solutions adoptées
o Une crise de fond : le premier des dominos
Le premier problème qui se pose de nos jours pour ces associations issues de l’immigration européenne est un problème de fond : ces clubs sont par essence non-viables.
Normalement, les associations de migrants sont créées lorsque les intérêts des populations qui arrivent sont différents de ceux qu’apporte le pays d’accueil. Par conséquent, les clubs ne peuvent pas s’appuyer sur des liens de fraternité entre les deux pays pour assurer leur pérennité.
Néanmoins, ils ne peuvent pas non plus s’appuyer sur une différence culturelle. En effet, les descendants s’intègrent et ne se reconnaissent plus dans la culture portugaise, espagnole ou italienne. Seuls les nouveaux contingents d’immigrants pourraient légitimement formerdes associations mais le phénomène migratoire est aujourd’hui dérisoire. Par ailleurs, les conditions d’arrivée ne sont plus ce qu’elles étaient et l’organisation en associations n’est plus un besoin.
D’autre part, les réseaux sociaux sont en crise de manière générale. D’abord, les infrastructures proposées (piscine et salle de sport notamment) par les clubs se retrouvent dans la plupart des résidences. Pourquoi donc prendre la peine d’aller jusque dans la Société Hispano-Brésilienne, par exemple, qui n’offre rien de plus et n’est même pas reliée par le métro ?
Ensuite, les jeunes générations tissent des liens sociaux de manière différente et désertent donc les événements des institutions sociales dans lesquels se sont rencontrés leurs parents ou grands-parents. Mario de Fiori, le directeur culturel du Circolo Italiano, témoigne aussi des réactions de sa fille « mais papa, pourquoi irai-je à une fête où je ne vois que des cheveux blancs… quand je vois des cheveux ! ». La présidente de la SHB se rallie à cette position en expliquant que si certaines fêtes de flamenco ou certaines paëllas géantes attirent des jeunes, la génération des 20-30 ans reste la grande absente de la vie du club.Dans le Club Portugais, le désintérêt des jeunes et le corrélatif vieillissement des membres se fait aussi sentir, surtout au sein du bureau. Il manque le dynamisme jeune qui fera rebondir l’institution après la crise qu’il a connue dans les années 1980.
Tous les facteurs précédemment cités conduisent à une baisse de la fréquentation des clubs. Des 3000 membres à la SHB et 1000 au Circolo, il en reste respectivement 600 et 384. Cela conduit immanquablement à une crise financière, d’autant que la plupart des membres ne payent plus de cotisation mensuelle car ils ont acheté un titre à vie. A la SHB par exemple, sur les 700 membres actuels, seuls 200 cotisent tous les mois. Cet argent ne suffit pas à entretenir le bâtiment. En plus, une loi protège l’endroit car il s’agit du quartier historique d’Ipiranga : impossible de vendre le siège pour déménager dans un immeuble plus petit. Le Club Portugais quant à lui a traversé une crise financière si grande qu’il avait arrêté toute activité culturelle pendant des années.
Enfin, on peut citer une dernière difficulté à laquelle se confrontent les 3 associations que nous étudions : les divisions régionales. On trouve une centained’associations d’origine italienne dans la capitale qui ne cherchent pas à élaborer une coopération solide. Nous ne nous étendrons pas sur ce cas qui a fait l’objet d’un précédent article. Toutefois, il est important de noter que cette tendance apparaît aussi dans l’organisation de la communauté portugaise. On trouve 70 associations portugaises dans l’Etat de São Paulo et l’on peut citer entre autres exemples dans la Capitale la Casa do Portugal, la Casa dos Açores, le Centro Cultural 25 de Abril et la Casa dos Poveiros (rassemblant les habitants de la commune de Povoa de Varzim dans le nord du Portugal).Cette situation a de quoi étonner puisque de toutes ces associations, nombreuses sont celles qui ne rassemblent qu’une vingtaine de membres, avec une activité réduite, un siège modeste et peu de perspectives d’avenir. Par ailleurs, les membres de ces associations participent volontiers aux événements des plus grandes institutions. Pourquoi alors ne pas se joindre à elles ? D’après personnes interviewées, cette fusion est surtout empêchée par des conflits de personnes et des volontés politiques divergentes.
Dans la communauté espagnole, le problème se pose en termes légèrement différents. D’abord, la plupart des institutions ont en effet fusionné en 1977, il n’y a donc quecinq associations espagnoles dans la Capitale. Celles qui conservent leur indépendance le font par régionalisme plus que par conflit de personne. Enfin, de nouvelles divisions régionales sont en train d’apparaître car les régions autonomes espagnoles proposent effectivement des fonds pour entretenir des institutions régionales à conditions que celles-ci soient indépendantes et non dans le siège de la SHB. Cela risque d’affaiblir une communauté déjà en déclin,ce qui n’est pas sans inquiéter l’actuelle présidente de la Société Hispano-Brésilienne : « j’ai toujours prêché que nous avons un premier drapeau, le drapeau espagnol (…) en dehors du pays on devrait se réunir, divisés, nous ne sommes rien » .
o L’adaptation aux nouvelles conditions
Depuis la fin du phénomène migratoire, le cadre dans lequel se développent les associations issues des migrants a évolué. Dans le paragraphe suivant nous allons donc voir les différentes politiques mises en œuvre par les clubs pour répondre aux nouvelles demandes de l’actuelle São Paulo. Tout d’abord, le premier objectif et d’acquérir une stabilité financière. De fait, aucun de ses clubs n’est subventionné par le gouvernement brésilien, ils doivent donc chercher des fonds ailleurs. Autrefois, les entrées d’argent du club provenaient principalement des mensualités des membres. Avec la baisse de fréquentation des institutions, il a fallu trouver une autre source de fond. Les trois clubs se sont tournés vers la location de leurs infrastructures c’est-à-dire salles de fête et restaurant. La SHB loue aussi une partie de ses locaux à une entreprise qui y a installé une salle de gym mais sa survie financière dépend en grande partie de l’aide qu’envoient lesrégion autonomes espagnoles (Asturies et Galice). Le Circolo quant à lui complète ses revenus avec les loyers des biens immobiliers dont il est propriétaire au sein de l’EdificioItalia.
Une fois la stabilité financière assurée, chacun des clubs a adapté son activité au nouveau contexte dans lequel il lui était donné d’évoluer. La présidente de la SHB a conscience des difficultés qui se posent pour le futur : « Je pense que la société va s’arrêter avec notre génération. J’aimerais bien qu’elle ne meure pas, mais je sais que cela va être difficile » .Néanmoins, les Espagnols avaient réagi à la diminution de la communauté en se regroupant. Encore maintenant, s’il reste plusieurs associations d’origine espagnole, la SHB s’impose comme l’institution de référence et il existe une certaine coopération entre elles : les Basques utilisent les salles de fête de la SHB et quelques événements sont organisés ensemble. D’autre part, la présidente de la Société garde en tête des perspectives d’avenir. Sa politique est de développer la culture et le sport qui sont deux axes fertiles, selon elle, car ils pourront toujours intéresser les populations, qu’elles soient brésiliennes ou espagnoles. A voir maintenant si ces projets seront supportés financièrement et humainement.
Au Club portugais, l’activité sociale a perdu de son prestige mais maintenant que la stabilité financière est rétablie, le directeur de la culture a de quoi mettre en place de nouveaux projets. Tout d’abord créer un amphithéâtre dans le bâtiment du club qui ne soit pas loué pour d’autres fête. Ensuite,une quinzaine de projets sont prévus cette année : réalisation d’un CD, de conférences, de projections cinématographiques, d’expositions… tous mettent en valeur des éléments culturels communs entre le Brésil et le Portugal. Pour le directeur, c’est cette idée qu’il faut exploiter pour intéresser de nouvelles personnes tant brésiliennes que portugaises. Néanmoins, lui-même a conscience du fait qu’il n’arrivera pas à bout de tous les projets dont il a émis l’idée.
Pour Mario de Fiori, ex président et actuel directeur culturel du Circolo, cette institution doit faire un tout autre pari. Le Circolo ne peut pas miser sur le sport dans l’EdificioItalia : il n’y a pas assez de place et l’on trouve déjà ces infrastructures dans une antenne de l’association localisé à l’extérieur de la ville. La culture est en effet un axe de continuité intéressant mais selon Mario de Fiori, il n’est pas principal. L’association doit compter sur le nombrede personnes qui fréquentent le bâtiment plus que sur le nombre de membres. Elle n’est plus le siège de réunion d’une communauté. Il faut donc organiser plus d’événements et louer plus la salle de fête tout en faisant un effort de communication pour faire mieux connaître les activités du club.Dans l’absolu, on parlera de moins en moins italien et de plus en plus portugais au sein de l’association, les membres du bureau seront un jours tous brésiliens et le nombre de membres va diminuer avec le temps. Mais plutôt que de voir dans ce futur la mort de l’institution, il faut y voir une transformation de son activité : le Circolo est sans doute voué à devenir une association socio-culturelle responsable de l’organisation d’événements. La difficulté sera de toujours rester fidèle le premier article du règlement : « respecter et honorer les normes et la culture italienne » .
En ce qui concerne la fréquentation des jeunes, Mario de Fiori a beaucoup travaillé sur le problème pendant ses mandats de président. Après plusieurs discussions et tentatives d’intégration des jeunes, la conclusion fût que le Circolo n’est pas un endroit pour eux. Quand on organise une soirée pour les 18 – 25 ans, les autres s’offusquent du volume de la musique ou de l’indécence de la jeunesse. Lors des événements organisés par les membres du club, les jeunes ne sont simplement pas intéressés. Plutôt que de lutter pour faire venir une relève, il faut adapter l’activité de l’association à cette donnée.
Dans la Société Hispano-Brésilienne, plusieurs activités ont été spécifiquement organisées pour attirer la classe d’âge des 20 – 30 ans. L’association avait obtenu une subvention pour mettre en place un cours de cuisine espagnole. L’activité avait été un succès mais personne n’avait ensuite adhéré à la SHB. Le même phénomène s’est produit avec les cours de langue ou avec les soirées flamenco. Le problème de la relève risque donc de se poser dans peu de temps et personne n’a encore imaginé de solution viable.
En somme, nous avons vu que les clubs ont jusqu’à présent réussi à faire évoluer leur activité en fonction de la demande de la communauté. Les enjeux de la crise actuelle sont beaucoup plus important puisqu’il s’agit avant tout d’un changement fondamental : la communauté est en train de disparaître. Pour répondre à la question posée dans l’introduction : dans quelle mesure la crise actuelle annonce-t-elle la fin des clubs sociaux issus de l’immigration européenne ? On peut considérer que cela dépendrades changementsqu’ils seront prêts à opérer.S’ils se refusent à évoluer fondamentalement, alors ils sont voués à disparaître puisque ce genre d’associations n’est pas viable sans flux migratoire important. En revanche, on voit quele Circolo a les moyens et l’énergie pour faire évoluer son activité et la SHB possède encore quelques ressources humaines et financières pour survivre et s’adapter. Quant au club portugais, il avait mis du temps à réagir à une première crise et l’on voit qu’il s’essouffle de nouveau face aux défis pour l’avenir. Il est impossible de conclure si oui ou non les clubs fêteront leur 150e anniversaire cependant, en lisant leur histoire, l’on peut avoir confiance dans leur capacité à rebondir.
Bibliographie :
Livres :
- O Clube Português, 90 anos, São Paulo, 2010, 137p.
- La sociedadhispano-brasileña de SocorrosMutuos, São Paulo, 1985,72p.
- Sous la direction de DE FIORI, Mario, Il Circolo italiano, São Paulo, 2011, 140p.
Interviews :
- Histoire et fonctionnement de la SociedadeHispano-Brasileira, (18/01/11) PABLO, ex administrateur de la société.
- Le Circolo Italiano et ses perspectives d’avenir, (20/01/11) Mario De Fiori, ex président et actuel directeur culturel du Circolo Italiano.
- Objectifs futurs de la SHB, (08/02/11) Maria Fe VARELA VAZQUEZ, présidente de la SHB
- Quel avenir pour le Clube Portugues ? (14/02/11) João FEREIRA DA COSTA, directeur culturel du Club Portugais.
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Extrait de l’interview de Mario de Fiori, 20/01/11 : « Minha filha me dizia : pai, não posso ir nas festas onde só vejo cabelo branco quando vejo cabelo”
Extrait de l’interview de Maria Fe Varela Vazquez, le 8/02/11 : « eu sempre prego que nos temos uma primeira bandeira, a bandeira espanhola (…) fora do pais nos temos que reunir, divididos, não somos nada»