Les nouveaux visages de la gauche brésilienne
Maria do Rosário, 41 ans. Luciana Genro, 36 ans. Toutes deux sont originaires du Rio Grande do Sul, Etat le plus méridional du Brésil, dont la capitale – Porto Alegre – a longtemps été la vitrine du Parti des Travailleurs (parti de l’actuel Président de la République Luis Inácio Lula da Silva) et le coeur de l’altermondialisme.Toutes deux ont d’ailleurs participé aux diverses éditions du Forum Social Mondial, et incarnent une autre manière de faire et penser la politique.
Mais dans un des pays les plus inégalitaires du monde, elles ont choisi la participation à la compétition électorale pour faire résonner les voix des plus démunis. Depuis 2002, Maria do Rosário et Luciana Genro portent les espoirs de leurs électeurs au plus haut niveau de la représentation législative. Elles se retrouvent trois jours par semaine à Brasília, sur les bancs de l’Assemblée, dont elles occupent deux des 513 sièges. Elles sont Députées Fédérales. Lors des élections d’octobre 2006, toutes deux ont été confortablement réélues, et entretiennent un nouveau souffle sur la vie politique brésilienne. Mais c’est une autre figure politique féminine du Rio Grande do Sul qui fait sensation : la jeune communiste Manuela d’Avila. A 25 ans, Manuela briguait pour la première fois un siège de Députée Fédérale. Avec 271.939 votes, elle obtient le troisième meilleur résultat de l’histoire électorale du Rio Grande do Sul pour ce poste. Elle est également la femme la mieux élue de l’histoire de son Etat, et la femme recueillant le plus grand nombre de voix dans tout le Brésil pour cette élection.
Femmes en politique : le retard brésilien.
Souriante, chaleureuse et dynamique, Manuela est la nouvelle benjamine de la Chambre des Députés. Pour ses proches comme pour ses détracteurs, elle est le nouveau « phénomène politique » du Brésil. Elle symbolise la lente mutation d’une compétition politique encore largement dominée par les hommes. Ces dix dernières années, le présence des femmes à la Chambre des Députés a connu une augmentation globale inférieure à 1%... Ce qui place le Brésil bien en deçà de la moyenne mondiale établie en mars 2007 par l’Union Interparlementaire. Entre 1995 et 2006, le nombre moyen de femmes dans les Parlements mondiaux a en effet augmenté de 50%. En 2006, les femmes représentaient en moyenne 16,7% des élus dans les chambres des 51 pays où ont eu lieu des élections. Elles ne sont que 8,77% dans l’actuelle Chambre des Députés du Brésil : 45 « heureuses » élues (elles étaient 46 lors de la législature précédente). Pour la sociologue Almira Rodrigues, ces résultats donnent même le sentiment que « l’élection de femmes est chaque fois plus difficile au Brésil ». A contre-courant de la tendance mondiale. Le retard brésilien en ce qui concerne la place des femmes en politique est présent à tous les niveaux de pouvoir et touche l’ensemble des partis politiques. Au Sénat, avec 14,8% des sièges (12 sur 81), les femmes sont sensiblement mieux représentées qu’à la Chambre des Députés. Mais leur place reste faible par rapport à la moyenne mondiale. Par ailleurs, on ne retrouve des femmes qu’à la tête de trois des vingt-sept Etats (11%), et de 8,1% des municipalités de la Fédération. « Il est très difficile pour une femme de se faire une place en politique au Brésil », confirme Luciana Genro. Moins en raison des préjugés déclarés de la population que de par les nombreuses activités quotidiennes qui leur incombent, difficilement compatibles avec le caractère « extrêmement compétitif et absorbant » de l’activité politique.
Si l’idée de voir des femmes faire de la politique n’est plus choquante dans la société brésilienne, leur participation effective à la vie institutionnelle génère encore de nombreuses idées reçues... « Mon entrée à la Chambre des Députés a été dure politiquement, parce que la presse y joue un rôle énorme, et tente de faire de moi la petite mignonne du Congrès », confesse Manuela D’Avila. « Beaucoup de parlementaires, au lieu de t’appeler « Députée », t’appellent « beauté ». Tu dois imposer un certain respect, pour t’assurer d’être traitée d’égal à égal avec les autres députés, résume Luciana Genro. Une femme doit d’abord démontrer qu’elle n’est pas idiote. Un homme non. Il est respecté dès le début, jusqu’à ce qu’il prouve le contraire ». Cette complaisance familière peut se transformer en une réelle réticence lorsque se conjuguent plusieurs formes de préjugés. Manuela doit ainsi faire face à un triple handicap : « être femme, jeune et communiste, dans notre système politique, c’est très lourd à porter ! J’ai dû répondre cinquante mille fois que j’étais vraiment communiste, que ce n’était pas une blague. J’ai pourtant dix ans de militantisme derrière moi ». Dans le cas de Luciana, un autre facteur est venu compliquer sa première expérience élective : la parenté. « La première réaction de ceux qui ne connaissaient pas ma trajectoire – et la majorité des députés ne la connaissaient pas – fut de dire que j’étais une jolie fille qui avait obtenu son mandat parce qu’elle était la fille d’un homme politique connu » (elle est la fille de Tarso Genro, actuellement Ministre de la justice, et à l’époque maire de Porto Alegre). « Ca n’a pas duré longtemps, parce que j’ai rapidement pu faire mes preuves. Mais j’ai dû me battre ».
Trois options politiques de gauche.
Dans le Rio Grande do Sul, 286 candidats – parmi lesquels 31 femmes – étaient en compétition en 2006 pour 55 sièges de Députés Fédéraux. Maria do Rosário, Luciana Genro et Manuela d’Avila sont les seules femmes à avoir été élues. Au-delà de leur origine géographique et de leurs fonctions actuelles, elles ont en commun une entrée en politique précoce et une ascension électorale rapide. Mais elles représentent trois forces politiques différentes de la gauche brésilienne. Trois voix politiques distinctes : le Parti des Travailleurs (PT, formellement né en février 1980, pendant la transition vers la démocratie), le Parti Socialisme et Liberté (PSOL, fondé en 2005 par des députés exclus du PT pour avoir contesté les lignes d’action du gouvernement Lula), et le Parti Communiste du Brésil (PCdoB, dissidence d’inspiration maoïste du Parti Communiste Brésilien, formée en 1922).
Entrée en 1985 au PCdoB, parti très lié au syndicalisme étudiant, Maria do Rosário est diplômée en pédagogie à l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS) et s’est spécialisée en études sur la violence domestique au Laboratoire d’Etudes de l’Enfance de l’Université de São Paulo. Elle est professeure dans l’enseignement public. En 1992, alors étudiante, elle est élue Députée Municipale de Porto Alegre, à l’âge de 26 ans. Deux ans plus tard, à la moitié de son premier mandat, elle rejoint le PT, parti pour lequel elle sera réélue députée municipale en 1996. Le mandat de député appartenant à l’époque aux candidats et non aux partis, le changement d’appartenance partisane n’entraînait pas la perte du mandat en cours, comme c’est le cas depuis 2007. Maria do Rosário se présente en 1998 au poste de Députée de l’Etat du Rio Grande do Sul. Avec 76.657 voix, elle est de loin la candidate la mieux votée de son parti (parmi les 11 autres candidats élus du PT le mieux voté totalisait 44.049 voix). En 2002, Maria poursuit son ascension politique, et est élue Députée Fédérale, une fois de plus avec le meilleur score parmi les candidats du PT (143.901 voix). Aux élections d’octobre 2006, Elle subit comme beaucoup de candidats du PT les effets des différents scandales ayant ébranlé son parti depuis 2003 au niveau national (notamment les affaires de corruption comme le mensalão). Bien que non impliquée directement dans les affaires, elle perd près de 30.000 votes par rapport à l’élection précédente, mais est confortablement élue pour un deuxième mandat. Luciana Genro a elle aussi vécu un changement de parti politique. Elle entre au Parti des Travailleurs en 1985, à l’âge de 14 ans. Formée en anglais dans les prestigieuses universités de Michigan et de Cambridge, elle est également enseignante. Lorsqu’en 1994 elle est élue Députée du Rio Grande do Sul (dès sa première candidature), elle dispose déjà d’une solide expérience militante et partisane. Elle est réélue en 1998 et double son nombre de voix (36.665 contre 17.256 en 1994). En 2002, elle devient Députée Fédérale. Exclue du PT l’année suivante pour avoir refusé de voter la loi de réforme des retraites proposée par le gouvernement Lula, elle participe à la fondation du PSOL, parti pour lequel elle sera réélue en 2006. En plus de ses activités parlementaires, elle occupe actuellement la vice-présidence nationale du PSOL. Manuela D’Avila, est également diplômée de l’université. Elle a été formée en journalisme et communication au sein de l’université pontificale du Rio Grande do Sul (PUC-RS, considérée comme la meilleure université de la région dans ce domaine), et est actuellement inscrite en sciences sociales à l’UFRGS. Sa trajectoire politique est spectaculaire : entrée au PCdoB en 2001, elle cumule activités partisanes et syndicales. Entre 2001 et 2004, elle fut notamment coordinatrice du Centre des Etudiants de Sciences Sociales de son université, puis dirigeante de l’Union Nationale des Etudiants pour le Rio Grande do Sul. Elue Députée Municipale (vereadora) de Porto Alegre en 2004, à l’âge de 23 ans, elle devient, deux ans plus tard, la Députée Fédérale la mieux élue de l’histoire du PCdoB. Depuis 2005, elle est également membre de la direction étatique et du Comité central du PCdoB, parti qui bénéficie grandement de sa popularité, et dont elle est rapidement devenue une figure incontournable.
Les trajectoires des trois actuelles députées gaúchas sont assez similaires. Leurs parcours politiques et professionnels sont comparables. En 2008, leurs chemins devraient s’entrecroiser pour la première fois lors d’une confrontation électorale directe. Toutes trois ont en effet annoncé leur candidature à la mairie de Porto Alegre, pour les échéances municipales d’octobre prochain. Si les candidatures de Luciana Genro et Manuela D’Avila ont été acceptées par leurs partis respectifs, Maria do Rosário devra passer par une élection primaire au sein du PT. Elle affrontera lors de cette compétition interne Miguel Rossetto, ancien Vice-gouverneur du Rio Grande do Sul et ancien Ministre de la réforme agraire du gouvernement Lula. En remportant ces primaires (prévues en mars 2008), elle deviendrait la première femme candidate pour le PT à Porto Alegre (alors qu’à São Paulo, deux femmes ont déjà été élues maires sous les couleurs du PT : l’actuelle Députée Fédérale Luiza Erundina en 1988 et la Ministre du Tourisme Marta Suplicy en 2000).
Les candidates affronteront notamment le maire sortant José Fogaça. Ce dernier avait été élu en 2004 sous les couleurs du Parti Populaire Socialiste (PPS, ancien Parti Communiste Brésilien), mais avec l’appui d’une coalition très hétérogène composée de 11 formations politiques. Il avait mis fin à 16 ans de règne du PT sur la ville. Âgé de 61 ans, cet universitaire et homme de lettres occupe des postes électifs depuis 1978… Face aux nouveaux visages de la vie politique brésilienne, José Fogaça fêtera donc lors des élections municipales de 2008 ses 30 ans de carrière politique. Ayant stratégiquement changé de parti un jour avant la clôture légale des « transferts », c’est sous les couleurs du PMDB qu’il cherchera à se faire réélire. Malgré un bilan très critiquable, il pourrait profiter de son profil paradoxalement singulier pour emporter à nouveau la mairie de Porto Alegre.