Les régionalismes italiens à São Paulo
Lorsque, dans les années 1880, les Italiens commencèrent à émigrer en masse dans l'État de São Paulo, ce n’était pas un pays qu’ils quittaient définitivement ou temporairement, mais un village, une ville ou tout au plus une région. A cette époque où la toute jeune Italie est en proie à une extrême instabilité politique et économique, le sentiment d’italianité relève de l’utopie. Chaque région est encore fortement attachée à ses traditions, son histoire et sa langue et, si le pays a réussit son unité politique, le sentiment d’amour de la patrie italienne est loin d’être présent dans tous les cœurs.
C’est dans ce contexte qu’il s’agit de situer l’archétype de l’émigré italien du XIXe siècle qui, ayant toujours vécu dans un milieu rural et archaïque, s’est construit autour de la communauté de son village, de sa paroisse et de sa famille. Le plus souvent analphabète, il sait parler son dialecte mais pas l’italien et sa plus grande préoccupation est celle du lendemain… Jusqu’au jour où il entend dire qu’au Brésil, il pourrait facilement acquérir un lopin de terre et faire fortune. Fuyant la misère, il part donc, seul où avec sa famille, à Gênes, à Naples à Livourne ou à Catane prendre un bateau pour le port de Santos.
Comme nous l’avions mentionné dans l’Avant-propos, la première phase de l’immigration européenne à São Paulo est essentiellement rurale. Cloîtrés et exploités dans les fazendas de café, les immigrés n’ont pas le temps de s’organiser en communauté. Mais les choses changent lorsque, au tournant du siècle, une deuxième vague d’exode – à la fois interne à l'État de São Paulo et européenne – se dirige cette fois vers les villes. Émancipés du paternalisme fazendeiro, ouvriers, artisans ou petits commerçants « italiens» tissent alors de fortes toiles de solidarité et de sociabilité sur la base de leur origine commune. On assiste ainsi à l’apparition de centaine d’associations régionales, voire communales, qui ont assez de membres pour mener une vie active, en autarcie par rapport aux autres entités italiennes.
Toutefois, la période de l’entre deux guerres et l’infiltration de l’idéologie fasciste dans toutes les couches sociales des Italiens à São Paulo affaiblit considérablement les sentiments régionalistes. Parallèlement, la politique nationaliste de Getúlio Vargas et, en 1942, la déclaration de guerre du Brésil aux pays de l’Axe, achèvent de briser la vie associative italienne. Aussi, au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, le panorama de la vie collective italienne est désastreux et, miné par de profondes divisions politiques et sociales, il ne retrouvera jamais son prestige d’autrefois.
Un phénomène saute pourtant aux yeux dans l’histoire collective italienne à São Paulo. En effet, alors que le peu d’institutions ayant survécu aux années 1940 entament la même route de la décadence, réapparaissent dans les années 1970 des dizaines d’associations régionales italiennes. Pourquoi, à l’heure où le sentiment national italien s’est consolidé, à l’heure où les immigrés et descendants d’immigrés sont toujours plus assimilés à la société brésilienne, assiste-on à un foisonnement d’associations régionales ?
C’est cette surprenante tendance qui fera l’objet de cet article. Nous verrons dans un bref rappel historique que la collectivité italienne à São Paulo a toujours été extrêmement divisée, en raison de l’importance numérique des Italiens, de leurs diverses appartenances régionales, de leurs divergences socioéconomiques et politiques et enfin de l’immensité de la ville. Or, c’est justement cette trame de fond parcellée qui trouvera une nouvelle expression après 1970, lorsque les régions italiennes acquièrent une autonomie législative.
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L’ARRIVEE DES ITALIENS A SAO PAULO, ENTRE INTEGRATION ET DIVISIONS
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Une collectivité socialement divisée
Il est difficile de parler de « communauté italienne » à São Paulo lorsque que les Italiens se comptent par milliers et constituent, dès 1890, plus d’un tiers de la population de la ville(1) . Une telle présence empêche forcément la création d’une seule et unique collectivité qui reposerait sur des liens de solidarité nationale. Pour beaucoup d’immigrés issus de milieux ruraux il est même déconcertant de se retrouver entouré de tant d’Italiens venus de toute part de la Péninsule. Ainsi, il fondamental de comprendre que l’importance même du mouvement migratoire italien à São Paulo constitua, dès le début, un obstacle à la formation d’une communauté italienne. Par la suite, l’agrandissement de la ville ne fera que renforcer la dispersion des Italiens et entériner leurs dissensions.
La première grande division qui désolidarisa les Italiens jusque dans les années 1970 est celle des différences de classes. Malgré le mythe de l’immigrant faisant fortune, les chances de réussite étaient faibles et n’ont souri qu’à un petit pourcentage d’Italiens qui, le plus souvent, étaient arrivés au Brésil avec un capital de départ. Pendant au moins trente cinq ans, l’immigration italienne représenta donc la grande masse prolétaire de São Paulo. Subissant des conditions de vie d’une grande précarité, les ouvriers italiens restaient généralement confinés dans leur propre quartier où ils se retrouvaient dans les différents clubs sociaux qu’ils avaient crées. Inversement, la petite bourgeoisie italienne se gardait bien de se mélanger avec la plèbe et ne fréquentait ainsi que des cercles sociaux plus ou moins élitistes. Le Circolo Italiano (1911) – qui reste aujourd’hui une des plus grandes institutions italiennes de São Paulo – devint ainsi le club social de la grande élite italienne et son nombre de membres était extrêmement restreint. De même, le Collegio Dante Alighieri, fondé en 1911 et officiellement reconnu par le Ministère des Affaires Etrangères, n’était réservé qu’aux fils des Italiens les plus renommés.
Les différences sociales étaient donc une source de division et d’intolérance qui prévalait largement sur la notion de provenance commune, qu’elle soit perçue comme nationale ou régionale.
- La création de quartiers régionaux
Le deuxième grand obstacle empêchant une « union italienne » à São Paulo résidait dans un phénomène de « bairrismo(2) » particulièrement tenace qui rattachait davantage les Italiens à leur quartier qu’à leur pays d’origine. Dans la première partie du XXe siècle, des quartiers ouvriers entiers étaient en effet occupés par des Italiens provenant généralement d’une même région. Aussi, le quartier de Brás était connu pour être le lieu d’habitation des Apuliens, Bexiga celui des Calabrais et Bom Retiro celui des Vénitiens(3) . Il existait ainsi des microsociétés régionales relativement fermées qui, possédant un territoire précis, divisaient dès lors la classe populaire italienne de São Paulo en différents groupes sociaux. Il convient également de rappeler que la diversité des dialectes parlés joua un rôle central dans la formation de ces communautés régionales car, à la fin du XIXe siècle, rares étaient ceux qui parlaient italien.
Cette division régionale se répercuta évidemment dans la vie associative. Le début du XXe siècle marque ainsi une période de grande effervescence institutionnelle italienne et compte plusieurs centaines d’associations régionales sociales, culturelles, sportives ou éducatives. Certaines, essoufflées par un manque de moyens ou par des divisions internes, ne duraient pas longtemps. D’autres au contraire – telles I Calabresi riuniti, la Veneta San Marco ou la Lega Lombarda – développèrent une très grande activité et gagnèrent rapidement en puissance et renommée.
Tel est donc le panorama de la vie collective italienne à São Paulo jusque dans la première moitié des années 1920 : une communauté divisée socialement et régionalement qui est bien loin de constituer un tout. Les Italiens, tout en coexistant pacifiquement, ne connaissaient pas ce sentiment chauviniste qui aurait pu les pousser à rester entre eux. Au contraire, ils furent ceux qui s’intégrèrent le plus rapidement à la société brésilienne, adoptant immédiatement les mœurs et la langue de leur pays d’accueil, y transmettant même quelques coutumes de leur patrie d’origine. Toutefois, la montée en puissance de Mussolini et le ralliement presque unanime des Italiens de São Paulo au régime fasciste modifia profondément le visage de la communauté italienne.
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LA RUPTURE DU FASCISME, DU GOUVERNEMENT VARGAS ET DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE
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Le fascisme et l’exploitation du sentiment l’italianité
Le fascisme remporta rapidement à São Paulo une forte adhésion de la classe moyenne et de l’élite italienne, orgueilleuses de se revendiquer originaire d’un pays s’affirmant de plus en plus fermement sur la scène internationale. Le prolétariat, enroulé dans la lutte quotidienne pour la survie, suivit également le mouvement, mais de façon plus superficielle. On assiste ainsi, dans la période de l’entre deux guerres, à une convergence politique des Italiens qui saura, selon le désir fasciste, étouffer (partiellement) les divisions.
Les sympathisants fascistes de São Paulo regardent en effet d’un mauvais œil les fortes rivalités opposant les différentes associations italiennes et l’assimilation croissante des Italiens à la société paulista. A une époque où le mythe de l’italianité est fortement cultivé, le nombre fait la force. Il devient dès lors essentiel de souder la communauté italienne autour de son amour pour le Duce. Aussi de fortes campagnes sont-elles lancées pour rappeler aux Italiens qu’il est de leur devoir de placer leurs enfants dans des écoles italiennes, afin de défendre les valeurs de l’italianité et d’assurer la continuité de leur culture. Piero Parini, secrétaire général des Fasci Italiens à l'Étranger, déclare ainsi « Jamais comme aujourd’hui, dans le prestige conquit par l’Italie de Mussolini, il ne fut autant nécessaire que les Italiens d’Amérique défendent, avec un amour serein et tenace, leur culture et leur langue. […] Jamais comme aujourd’hui, il ne fut autant utile qu’ils trouvent dans leurs associations patriotiques et culturelles cette force que l’Amérique ne fournira jamais aux hommes qui sont et se sentent seuls.»(4)
Le succès grandissant du régime aboutit peu à peu à une confusion entre les notions d’italianité et de fascisme. Toute personne soutenant la politique mussolinienne se devait de glorifier ses racines. La vie collective italienne de São Paulo se caractérise alors par d’interminables défilés patriotiques, par l’ostentation des chemises noires et des hymnes fascistes. Enfin, au même titre qu’en Italie, apparaissent des organisations Fasci, des Operq Nazione Dopolavoro (OND) ainsi que des colonies de vacances, chargées d’encadrer la population italienne et de cultiver le consensus fasciste.
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La politique nationaliste de Getúlio Vargas et la Seconde Guerre Mondiale
Cependant, malgré les fortes campagnes fascistes et l’alignement du Collegio Dante Alighieri au régime, la vie associative de la communauté diminue et le nombre d’écoles italiennes dans l’Etat de São Paulo passent de 56 en 1930 à 25 en 1935(5) .
En 1930, la montée au pouvoir de Getúlio Vargas et le lancement d’une politique ouvertement centralisatrice changent en effet la donne. Aussi, même si l’opinion publique brésilienne démontrait à cette époque une certaine sympathie envers l’Italie mussolinienne, les manifestations fascistes « snobant » les autorités locales ne manquent pas de susciter des tensions. De nombreuses mesures sont dès lors mises en place pour renforcer le sentiment nationaliste brésilien et unifier la société : l’enseignement de l’italien pour les enfants de moins de dix ans est supprimé tandis que l’enseignement de la langue portugaise et de l’histoire du Brésil sont rendu obligatoires dans toutes les écoles. Le coup le plus rude est porté par les lois de 1938 et de 1941 de l’Estado Novo qui contraignent les associations à choisir entre un statut juridique brésilien ou étranger et interdisent la publication de journaux en langue étrangère. En dix ans, plus de la moitié des associations italiennes sont dissoutes ou deviennent brésiliennes pour sauver leur capital.
En août 1942, le Brésil déclare la guerre aux pays de l’Axe et la situation pour les Italiens à São Paulo ne fait qu’empirer. A cette heure d’isolement, les associations italiennes continuent de fermer une à une et de nombreuses coutumes sont perdues. En 1943, alors que les Italiens assistent à la chute du mythe fasciste et à la montée du nationalisme brésilien, une nouvelle loi leur interdit de parler leur langue dans les lieux publics.
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Les années d’après-guerre
Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, la vie associative italienne à São Paulo est donc très mal en point. Ces années de l’après-guerre sont également celles d’un dernier grand mouvement migratoire italien vers le Brésil. On pourrait alors penser que l’arrivée de « nouveaux compatriotes » à São Paulo redonne un nouvel élan communautaire et aide certaines institutions à renaître de leurs cendres.
Cependant, la présence de nouveaux Italiens soulève au contraire de fortes animosités et envenime les rancœurs provoquées par la guerre. Ainsi, les anciens dirigeants fascistes qui ont fuit la République Sociale Italienne se heurtent aux antifascistes tandis que les Italiens récemment arrivés et porteurs de nouvelles valeurs sont très mal acceptés par les anciennes générations de migrants. Ce climat d’hostilité rend particulièrement improductifs les efforts destinés à recréer les structures et les instruments de la vie collective italienne qui avaient caractérisé les soixante-dix années précédentes. Malgré une bonne volonté, certaines associations du passé ne furent jamais refondées et celles qui parvinrent à débuter une deuxième vie ne retrouvèrent jamais leur vigueur d’autrefois.
Cette époque est importante car, pour comprendre la vie communautaire actuelle des descendants italiens à São Paulo et la résurgence des associations régionales dans les années 1970, il est essentiel de prendre en compte les échecs et les frustrations engendrées par les antagonismes de l’après-guerre.
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LES ANNEES 1970-1980 : LA NOUVELLE IMPULSION DES ASSOCIATIONS REGIONALES
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Un déclencheur externe : la loi sur l’autonomie des régions italiennes
Nous avons vu à travers ce rappel historique que la collectivité italienne à São Paulo a toujours été composée d’innombrables identités qui ont été à l’origine de biens des divisions. C’est sans doute cette hétérogénéité qui constitue sa caractéristique principale : elle a été conçue ainsi, a été acceptée ainsi et a évolué ainsi au cours du XXème siècle.
Une fois saisie cette trame de fond, l’apparition dans les années 1970 des centaines d’associations régionales ou communales ne surprend plus. Mais ce phénomène reste particulier dans la mesure où il n’est pas le fruit d’initiatives locales, ni d’un sursaut de conscience appelant à préserver les traditions régionales. Il s’agit davantage d’une tendance venue de l’Italie même avec, en 1970, une loi constitutionnelle accordant aux « régions ordinaires »(6) une autonomie législative. Les régions italiennes commencèrent alors à prendre contact avec les descendants à l’étranger et encouragèrent la formation d’institutions régionales.
A São Paulo, cette innovation déclenche une nouvelle impulsion au sein de la collectivité et, en l’espace de quinze ans, des dizaines d’associations portant le nom de communes, de provinces ou de régions italiennes font leur apparition. Le plus souvent, elles sont l’œuvre des immigrés issus de la dernière vague d’exode qui ont réalisé méticuleusement tout un travail de recherche des descendants provenant d’une même région. On peut ainsi noter l’existence d’une Associazione dei Lucchesi nel Mondo, du nom des habitant de Lucques - une ville de Toscane - une Associazione Amici di Casalbuono, petit village de la province de Salerne, ou encore plus étonnant, une Associazione Femminile della Campania (la Campanie est la région de Naples). De même, dix associations représentent des villes de Vénétie et sont regroupées, depuis 1991, dans la Federazione Veneta.
La liste serait bien trop longue à détailler mais deux points sont cependant essentiels à retenir. Il faut savoir tout d’abord que, si l’étincelle est venue de l’extérieur, elle n’a le plus souvent fait que raviver un héritage qui avait été perdu. Beaucoup d’associations régionales avaient déjà existé par la passé, d’autres existaient même encore, mais sous un autre nom. La nouvelle autonomie des régions qui rendait possible une plus ample coopération avec l’Italie a alors encouragé la résurgence de ces institutions mais en aucun cas elle ne s’est portée créatrice d’une nouvelle tendance. Enfin, c’est également l’importance numérique des descendants d’une province ou d’une région qui a permis la création de ces associations et leur respective reconnaissance juridique en Italie. L’exemple qui est souvent cité est celui de l’Associazione Amici di Casalbuono dont les membres sont plus nombreux que les propres habitants de la ville !
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Des associations culturelles
Les activités des associations régionales consistent toutes dans la programmation d’évènements culturels tels l’organisation d’expositions, de séminaires, de concerts, d’excursions, de cours d’italien ou simplement de dîners visant à rassembler les membres. En 2010, l’Associazione dei Piemontesi nel Mondo avait ainsi réussi à faire venir le fameux groupe turinois « Gli Otto Violoncelli di Torino » et leurs concerts avaient remporté un grand succès à São Paulo.
Cependant, les associations régionales sont de moins en moins actives et tous les présidents que nous avons pu interroger parlent d’une décadence de la vie collective italienne. Depuis les années 2000, les régions d’Italie ont effectivement de moins en moins de fonds consacrés à la culture, les démarches bureaucratiques se sont alourdies et peu de projets obtiennent désormais des subventions. Les associations régionales de São Paulo qui, pour fonctionner, ne peuvent obliger leurs membres à payer une cotisation, se retrouvent à court d’argent et donc très limitées dans leurs actions. Claudio Pieroni, président de l’Associazione dei Lucchesi nel Mondo, raconte qu’il y a encore dix ans, il pouvait organiser un dîner par mois et de très nombreuses excursions qui réunissaient tous les descendants lucchesi de l'État de São Paulo. Aujourd’hui, ces réunions sont trop onéreuses pour être entièrement aux coûts de l’association.
Le manque d’intérêt des nouvelles générations est aussi un problème récurrent que nous avions déjà pu analyser à Valparaíso. « Les jeunes sont peu intéressés…ils ont leur études, leur travail, leur famille…où est-ce qu’ils trouvent le temps pour aider l’association ? Et à São Paulo les distances sont si grandes qu’il est difficile de se retrouver. Il y a quelques années, la région Piémont avait organisé des cours d’italiens à Turin pendant deux mois ; mais seuls trois ou quatre ont pu y aller car beaucoup travaillent ! » explique Giovanni Manassero, président de l’Associazione dei Piemontesi nel Mondo. Un certain opportunisme est également un argument qui est souvent avancé : les nouvelles générations ne rentreraient dans une association régionale que pour bénéficier des voyages programmés par les régions italiennes, puis s’en désintéresseraient (seuls ceux qui peuvent prouver leurs ascendances régionales ont le droit de bénéficier des voyages offerts par les régions). Il existe tout de même quelques organisations régionales dirigées par des jeunes, dont GIOVEB (Giovani e Oriundi Veneti del Brasile) qui est particulièrement active à São Paulo.
Néanmoins, même si certaines entités sont nettement plus vives que d’autres, toutes reposent sur les épaules d’une ou deux personnalités profondément dévouées à préserver leurs traditions régionales et à assurer la continuité de leur organisme. La plupart des présidents d’association occupent ainsi le même poste depuis des dizaines d’années car personne ne se présente pour les remplacer. Une lassitude se perçoit dès lors dans leurs explications et parfois même une claire démotivation, révélatrice d’une grande fragilité.
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La messe italienne et les associations régionales
L’affaiblissement des institutions italiennes et le désintérêt des nouvelles générations de descendants ont éliminé toute trace de tension au sein de la communauté italienne. Bien qu’il n’existe aucune fédération les regroupant, les antagonismes et rivalités ont laissé place à une certaine solidarité. Toutes les associations se retrouvent ainsi les grands jours de célébration, à Noël, à Pâques et le 2 juin, jour de fête nationale italienne. Un évènement particulièrement important pour la collectivité est également celui de la messe italienne, organisée tous les premiers dimanches du mois dans l’église italienne Nossa Senhora da Paz. A chaque association régionale est attribuée une messe de l’année ; elle se charge donc d’animer la cérémonie par des chants traditionnels, la lecture des textes et tient ensuite un buffet destiné à rassembler la communauté. Comme l’explique Bruna Spinelli, présidente de la Federazione Veneta, « notre présence est surtout symbolique. Mais elle est importante pour nous car elle permet de montrer à collectivité italienne que nous existons, que nous sommes bel et bien présents ».
La messe est célébrée par le Père Giorgio, un prêtre italien appartenant à la Congrégation des Missionnaires de Saint Charles. Ce choix est très emblématique car cette Congrégation, fondée en 1887 par Jean-Baptiste Scalabrini - évêque de Plaisance, a pour principale mission d’assurer un service pastoral et éducatif auprès des migrants. Scalabrini, surnommé le « Père des migrants » est en effet connu pour avoir compris, avant son temps, l’importance politique, sociale et religieuse du phénomène migratoire. Déplorant le manque d’initiatives de l'État et des groupes privés, il s’est battu jusqu’à sa mort pour que les migrants italiens soient assistés socialement et religieusement dans leurs nouveaux pays d’accueil.
L’ampleur du mouvement migratoire italien à São Paulo a par essence rendu impossible la constitution d’une seule et unique collectivité. Les diversités régionales, les rivalités sociales et politiques n’ont ensuite fait qu’attiser ces antagonismes, et ce jusqu’à la période suivant la Deuxième Guerre Mondiale. Pourtant, alors que les institutions étaient entrées dans un net déclin, c’est paradoxalement ce passé de division qui a su retrouver une nouvelle expression dans l’autonomie donnée aux régions italiennes et redonner par là même une nouvelle impulsion à la collectivité.
Comme partout ailleurs, les associations régionales traversent une période difficile qui les expose à un inévitable revers de la médaille. Car, si pour les originaires d’une région il est plus aisé de se rattacher à un cercle identitaire réduit, le contraire advient en revanche pour les nouvelles générations : comment demander aux petits-fils ou arrières petits-fils d’Italiens de ressentir une attache régionale d’un pays qui, pour la plupart, ne représente qu’une vague évocation du passé de leurs ancêtres ?
BIBLIOGRAPHIE
Livres :
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FAUSTO, Boris, História concisa do Brasil, Edusp, 2ème éd., São Paulo, 2006
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TRENTO, Angelo, Do outro lado do Atlântico, um século de imigração italiana no Brasil, Nobel, São Paulo, 1989
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TOMASI Silvano, ROSOLI, Gianfausto, Scalabrini e as Migrações Modernas, Escritos e correspondências, Edições Loyola, Brasilia, 2010
Entretiens :
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BLASIOLI COSTA Rita, Coordinatrice du Patronat ACLI et Présidente du COMITES
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CAIRO Emilia, Présidente du Circolo Sociale Calabrese di San Paolo
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DEI FIORI Mario, Directeur de la Culture du Circolo Italiano
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D’AGOSTINO Claudio, Directeur adjoint de L’Istituto Italiano di Cultura
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MANASSERO Giovanni, Président de l’Associazione Piemontese nel Mondo
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MANEGHETTO Camila, Présidente de la GIOVEB (Giovani e Oriundi Veneti del Brasile)
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PACIFICO Rosa, Présidente de l’Associazione Femminile della Campania
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PERELLA CURIATI, Angela Maria, Présidente de l’Associazione Culturale Italiani del Molise nel Brasile
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PIERONI Claudio, Président de l’Associazione Lucchesi nel mondo
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SACCARDO SPINELLI, Bruna, Présidente de la Federazione Veneta
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SCAPPINI Ester, Présidente de l’Associazione Polesani nel Mondo Rovigo
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TRENTO Angelo, Historien et auteur de Do outro lado do Atlântico um século de imigração italiana no Brasil, Nobel, São Paulo, 1989
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TRISTÃO Laercio, Président de l’Associazione Amici di Casalbuono
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PADRE GIORGIO, prêtre de la communauté italienne
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(1) HUTTER MAFFEI, Lucy, Imigração Italiana em São Paulo, Instituto de Estudos Brasileiros da Universidade de São Paulo, São Paulo, 1972
(2) En portugais, “bairro” signifie “quartier”.
(5) TRENTO, Angelo, Do outro lado do Atlântico, um século de imigração italiana no Brasil, Nobel, São Paulo, 1989
(6) Parmi les vingt régions italiennes, cinq sont à statut spécial. En 1970, les 15 autres sont instituées comme régions ordinaires.