Marco Enriquez-Ominami: Un nouveau souffle politique pour le Chili?
Au delà de la victoire de Sebastián Piñera aux élections présidentielles chiliennes de 2009, qui marquent le retour de la droite au pouvoir 22 ans après la chute de Pinochet, ces élections ont révélé la poussée d'une nouvelle génération dans la politique chilienne à travers la présence du candidat indépendant de 36 ans : Marco Enriquez-Ominami. Malgré son score de 20% des suffrages (qui ne lui a pas permis d'accéder au second tour), il pourrait incarner par sa jeunesse et sa détermination un nouveau souffle pour la politique chilienne. Ce jeune cinéaste de formation assume son ambition de bouleverser l'échiquier politique chilien. Pour comprendre ce phénomène politico-médiatique qu'est Marco Enriquez-Ominami, il faut revenir à ses origines et observer son parcours plus en profondeur.
Des racines politiques profondément ancrées
Marco Enriquez-Ominami est né le 12 Juin 1973, 3 mois avant le coup d'Etat du général Pinochet marquant l'arrestation de sa mère : Maria Gumucio. Elle est arrêtée pour être mariée au père de Marco Enriquez Ominami : Miguel Enriquez, célèbre guérillero du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) assassiné en 1974. Grâce au soutien du militaire chargé de la surveiller, Maria Gumucio ainsi que son fils peuvent s'exiler en France. Un pays particulier pour Marco Enriquez-Ominami puisqu'il y a notamment appris le français au Lycée Victor Hugo. C'est durant cet exil que sa mère rencontre Carlos Ominami. Exilé lui aussi, ce socialiste chilien, ancien militant du MIR et grand personnage de la politique chilienne décide d'adopter son fils. Après leur mariage, Marco décidera plus tard d'ajouter le nom de son père adoptif afin de l'associer au nom de son père biologique et de devenir Marco Enriquez-Ominami. De retour au Chili à 13 ans, son père adoptif lui fait peu à peu découvrir le monde politique. Fils de guérillero, Marco Ominami continue de baigner dans un environnement marqué par la politique, ce qui pourrait contribuer à expliquer ses futures ambitions présidentielles.
Un futur animal médiatique
Après un retour difficile dans un pays profondément meurtri par la dictature, Marco décide de poursuivre des études de philosophie à Santiago avant de repartir pour Paris afin d'intégrer la FEMIS (École Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son). Attiré par le monde de l'image, il commence alors une carrière dans le cinéma. Guidé par son esprit politique, il réalise en 2002 un documentaire intitulé "Chile, los héroes están fatigados", pour lequel il reçoit de nombreux prix. Critiquant certains dirigeants de la Concertation (coalition de centre gauche au pouvoir depuis 1989) qu'il accuse de laxisme, il dit regretter que la gauche se pose en victime et renonce donc au débat d'idées. Par la suite, il se rapproche de plus en plus de l'univers médiatique en fondant ChileMedios (analysant les effets des medias sur l'opinion publique). Cette connaissance des medias lui servira plus tard en politique où il est aujourd'hui qualifié de véritable monstre médiatique et ce d'autant plus qu'il a épousé Karen Doggenweiler, célèbre présentatrice de télévision.
Une ascension fulgurante
Après avoir soutenu et dirigé différentes campagnes du Parti socialiste, le jeune cinéaste décide de se lancer en politique. En 2006, il se fait élire député de la région de son père : Valparaiso. Dès cette première campagne, Marco Enriquez-Ominami marque sa rupture profonde avec l'héritage constitutionnel de Pinochet dans le but de faire face à la crise des partis politiques. Des partis politiques chiliens ayant été créés pendant le referendum de 1988 et où l'ombre du dictateur plane encore. L'ascension du député est alors fulgurante puisque grâce à ses opinions en rupture avec la classe politique et ses interventions médiatiques, il devient peu à peu un élément important de la Concertation. Une réussite qui s'explique également par le fait qu'il constitue une alternative au sein d'une organisation en crise. Cette usure de la Concertation qui s'explique selon certains observateurs par son incapacité à mettre fin à de sérieuses inégalités mais aussi à réformer en profondeur un système politique hérité de Pinochet. Le symbole de cette désaffection est concrétisé par la défaite de la gauche dans la plupart des grandes villes aux élections municipales de 2006. Au Parlement, Marco Ominami soigne son image de rebelle et se montre actif par ses nombreuses propositions de lois et ses participations à diverses commissions. Cela se manifeste notamment par sa défense du droit à l'avortement et du droit des minorités sexuelles mais aussi par des interventions singulières telles que son soutien au gouvernement vénézuélien de Chavez. Au delà de ses opinions, dans un pays où huit jeunes sur dix ne votent pas, le nouveau député représente une véritable alternative pour une partie de la jeunesse. Au fur à mesure que sa popularité grandit, ses ambitions présidentielles se précisent.
La présidentielle de 2009 : un véritable tournant
Début 2009, il annonce sur le site communautaire Facebook, sa candidature à l'élection présidentielle de 2009. De nombreux partisans demandent aux instances de la Concertation, l'organisation de primaires afin de désigner un candidat officiel. La direction du PS refuse la participation du jeune député et affirme qu'Eduardo Frei sera le candidat du parti. De l'autre coté, le multimillionnaire Sebastián Piñera sera le candidat de la Coalición por el Cambio (droite). Aussitôt, Marco Enriquez-Ominami démissionne du parti, ce qui lui vaut le surnom de el díscolo (l'indocile) dans les médias mettant en avant son nouveau statut de dissident. A la suite d'une vaste campagne médiatique, il parvient à réunir les 36 000 signatures nécessaires pour se présenter. Il est alors soutenu par la Nueva Mayoría para Chile (composée du parti humaniste et du parti écologiste) mais aussi par des personnalités du PS grâce à l'influence de son père. Si le jeune candidat parvient à se distinguer aussi rapidement c'est parce qu'il est le seul à incarner un renouvellement de la classe politique. En effet, Eduardo Frei est un ex-président de 67 ans, Sebastián Piñera est candidat pour la deuxième fois après avoir été battu par Michelle Bachelet en 2006 et Jorge Arrate (candidat communiste démissionnaire de la concertation) est un ancien ministre âgé de 68 ans.
Marco Enriquez-Ominami décide d'axer sa campagne sur un programme globalement progressiste en souhaitant instaurer plusieurs réformes qu'il juge essentielles. Premièrement, une réforme du système politique qu'il dit être hérité de la dictature de Pinochet. Il souhaite réformer les institutions afin de rendre le régime moins présidentiel en donnant plus de pouvoir au premier ministre. Il préconise ensuite une réforme de l'éducation pour qu'elle devienne plus égalitaire de façon à ce que la « subvention que reçoit un collège municipal ne soit pas dix fois supérieur à ce qu'il dépense pour l'éducation de son fils ». De plus, il prévoit la mise en place d'une nouvelle politique économique basée sur une fiscalité plus égalitaire et la privatisation de certaines entreprises (Codelco : la compagnie publique de cuivre). Enfin, il se pose en défenseur de l'environnement, du droit à l'avortement et favorable au mariage homosexuel. Les medias le présentent de plus en plus comme le Obama chilien notamment par son recours à Internet et par sa popularité auprès des jeunes. Lui même affirmant que « Comme Monsieur Obama, je représente un changement de génération ». Au fur à mesure que la campagne avance, de nombreux observateurs politiques le perçoivent de plus en plus comme un outsider. Une impression confirmée par le sondage Cep d'Octobre 2009 qui le voit en cas de deuxième tour en ballotage avec Sebastian Pinera. Au terme de cette longue campagne et d'un débat télévisé qui lui permet de progresser dans les sondages, Marco Enriquez-Ominami arrive 3 eme avec 20,13% des voix au premier tour, ce qui constitue un record pour un candidat indépendant.
Ce score relativement élevé s'explique par la diversité de son électorat. Au delà d'avoir séduit les jeunes (les 18-34 ans constituant la base de ses électeurs), il est également parvenu à attirer le vote des classes moyennes. Son électorat est en grande partie composé de citadins et majoritairement de femmes (notamment attiré par ses projets sur l'avortement). Refusant dans un premier temps de soutenir l'un des candidats pendant l'entre deux tours, il finit par soutenir Eduardo Frei en affirmant que les idées de Sebastián Piñera sont beaucoup trop éloignées des siennes. Estimant qu'il a rompu son indépendance, ce soutient au candidat socialiste lui sera reproché par un nombre important de ses partisans.
L'après 2009
Malgré l'élection de Sebastián Piñera avec 51,61 %, il se félicite de l'élan démocratique de la part des Chiliens. Cependant, il se désole de l'organisation de la Concertation qu'il désigne comme un projet dépassé. De plus, il affirme sa volonté de se maintenir indépendant et souhaite continuer à défendre les idées proposées durant sa campagne électorale. Enfin, dans son discours du 28 janvier, il reconnait que sa non-participation au second tour a été décisive et il appelle donc à l'élaboration d'un nouveau parti. Un parti qu'il souhaite plus démocratique et en rupture avec la Concertation qu'il estime trop autoritaire. En souhaitant créer une nouvelle assise politique, il démontre une fois de plus son ambition de changer la donne politique chilienne... dans le but d'accéder au Palacio de la Moneda en 2014?