A mi denme un bambuco
« También el bambuco fue
Música de la victoria
Y aunque lo olvide la historia
Yo se lo recordaré
El a Córdoba marcó
El paso de vencedores
Y de los libertadores
"El Bambuco" de Rafael Pombo
Le bambuco est parmi les musiques traditionnelles les plus connues et les plus anciennes de Colombie. Développé notamment dans la région andine, il restera longtemps associé à la guerre; joué par les fanfares militaires, dansé par tous y compris Bolivar[2]. C'est un des premiers styles musicaux (qui s'interprète d'ailleurs à l'aide du tiple, instrument national) à s'être, d'une façon durable, imposé comme création et tradition colombienne. Or, cette tradition s'est affirmée à une époque où l'idée d'une nation, ou de plusieurs nations, était à l'ordre du jour. Ainsi, il serait intéressant d'étudier le bambuco dans ce contexte afin de découvrir ce qui l'a rendu « national ».
José Ignacio Perdomo Escobar parle, dans Historia de la Música en Colombia, d'une « conscience collective » de la « fusion raciale », et dit du bambuco qu'il « appartient au peuple ». Ainsi, il articule l'existence du bambuco avec l'identité colombienne, et ce depuis l'époque coloniale. Joaquin Piñeros Corpas, en 1811, estime que c'est « un auténtico producto de la raza mestiza con un ritmo gozoso a la española y una melodía de nostálgicos acentos muy propios del temperamento indígena"[3]. Aujourd'hui c'est une parfaite mosaïque des origines du folklore colombien, mais à l'époque qu'était-ce ?
Le bambuco marqua l'indépendance, et puis il eut la Grande Colombie, la République de Nouvelle Grenade, la Confédération Grenadine ; plusieurs formations d'États qui visaient à se calquer sur l'unité nationale, si on retient la définition de Ernest Gellner[4]. En 1886, le République de Colombie verra le jour, séparée de ses États voisins par des frontières auparavant inexistantes.
A vrai dire, il est certainement difficile de parler avec sureté d'une nation à cette époque ; on y observe cependant des étapes qui tendent vers la cristallisation d'une union nationale. Ainsi résulte un scénario quelque peu curieux. La musique traditionnelle, développée depuis l'époque coloniale, sera rattachée dans certains cas à la nation colombienne, à l'instar du bambuco, alors qu'à l'origine cette musique ne connaissait guère les frontières colombiennes, à peine des montagnes qui s'étendaient de Putumayo à Mérida. Pour certains, cela s'explique assez logiquement. Perdomo dira justement que Bolivar voyait dans la musique traditionnelle l'expression spontanée de la liberté : des influences apportées de toutes parts qui évoluèrent en une synthèse dynamique et vivante et surtout, indépendante. Avant de parler de nation colombienne, l'idée de nation signifiait avant tout la liberté. D'abord par rapport aux espagnols, et puis par rapport à ceux qui au long du XIXème siècle seront écartés par des frontières.
Après l'indépendance, comment le bambuco resta-t-il donc une musique nationale ? Cette musique traditionnelle et folklorique fera l'objet d'un intéressant usage politique et social. D'une part elle sera interprétée et instrumentalisée par les militaires comme une musique nationale, qui les accompagnera lors du coup d'État de 1854 [5]. D'autre part elle sera rappropriée par le reste des colombiens pendant longtemps. Après y avoir associé la guerre pour l'indépendance, la guerre civile, on y rattachera le souvenir de la guerre. Ainsi des bambucos populaires chanteront plus tard « Tu vas a la guerra Juan / De la guerra pocos vuelven / y a la guerra muchos van »[6]. Or, le souvenir de la guerre est aussi une composante de la nation, selon Renan par exemple, qui disait « La nation, comme l'individu, est l'aboutissant d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements »[7]
Le bambuco paraît faire ainsi preuve d'évolution et d'adaptation, à la nation d'une part, car aujourd'hui encore l'État traite de « mantener vivo el bambuco como expresión tradicional del folclor colombiano. »[8]. D'autre part, le bambuco s'adaptera aux différentes régions de la Colombie : à Cundinamarca on y rajoutera le chucho (instrument de percussion), à la région llanera, les maracas, qui illustrent les apports indigènes, puis au littoral le calabazo de manija. Ainsi, une musique traditionnelle qui date depuis avant la création de l'État colombien aura le mérite de s'être, en plus de ses nombreuses origines (calquées sur la formation de l'État colombien), adaptée aux pratiques instrumentales des différentes régions de Colombie.
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[1] POMBO Rafael, El Bambuco. En la Américas, Bogotá, año I 1873, p. 26
[2] ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963, p.120
[3] Traduction approximative : « un produit authentique de la race métisse avec un rythme agréable à la façon espagnole et une mélodie d'accents nostalgiques très propre du tempérament indigène ».
PIÑEROS CORPAS J., Introducción al cancionero noble de Colombia (Bogotá, edición especial de la Universidad de los Andes, 1962)
[4] GELLNER Ernest, Naciones y Nacionalismo. Madrid: Alianza Editorial, 1988
[5] ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963, p.120
[6] Traduction approximative: « Tu vas à la guerre, Juan / De la guerre peu en reviennent / Et à la guerre beaucoup vont »
Bambuco populaire cité dans :
ESCOBAR, José Ignacio Perdomo, Historia de la Música de Colombia, Bogotá, Editorial ABC, 1963
[7] Discours de Ernest Renan, prononcé à la Sorbonne le 11 mars 1882, http://www.rutebeuf.com/textes/renan01.html consulté le 18/08/10 à 18:06
[8] Traduction approximative: «Garder en vie le bambuco comme expression traditionnelle du folklore colombien »
Citation extraite de http://www.mincultura.gov.co/index.php?idcategoria=38225 consulté le 16/08/10 à 20:12