Un rythme ancestral détrôné ?
Nous avions précédemment évoqué la Champeta, un genre musical aux traits africains dont l’existence semble témoigner d’une recherche identitaire. Nous avions alors affaire à une réappropriation d’un genre musical africain qui n’avait pas été transmis par l’arrivée des esclaves mais qui était plutôt issu de la recherche d’une musique « qui leur ressemble ». Or, de nos jours la Champeta prend toujours plus d’importance, au détriment d’un autre genre musical : le Bullerengue.Le Bullerengue est une musique développée au Palenque de San Basilio (ou San Basilio del Palenque). Le mot « palenque » signifie une palissade. Il désigne aussi plus précisément un refuge d’esclaves à quelques kilomètres au sud de Cartagena qui fut le premier à avoir été déclaré libre et le seul à perdurer. Depuis sa fondation au XVIIè siècle par Benkos Bioho, un esclave libérateur mythique représenté par une statue sur la place principale du Palenque, il a évolué de façon particulière, presque autarcique, en préservant une culture très ancienne que l’on dit être héritée directement des premiers esclaves arrivés en Colombie. Cet héritage qui relève presque exclusivement de la transmission orale s’est perpétué et reste, de nos jours, vif au sein de la communauté. Cependant sa place a été reformulée, c’est ce qu’illustre une de ses genres musicaux : le Bullerengue.
Nous aborderons donc ce qu’est le Bullerengue puis nous tenterons de comprendre pourquoi la Champeta semble progressivement prendre sa place.
Une musique ancienne perpétuée par le bouche-à-oreille
Le Bullerengue relève d’un héritage ancestral qui, jusqu’à récemment, était transmis de façon exclusivement orale. On y trouve un chant, généralement entonné par une chanteuse et des chœurs récurrents accompagnés par une importante percussion formée des tambours alegre, llamador et le guache (photo). Ce schéma de dialogue est typique de la musique africaine et aurait également inspiré le modèle question/réponse rendu célèbre en Occident par le Jazz étatsunien. En Colombie, c’est dans le Bullerengue qu’il parait dévoiler son essence presque inchangée. Ce n’est donc pas un hasard si en 2005, San Basilio a été nommé Patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Cette organisation sociale si unique qui constitue un héritage direct de la culture de ces ancêtres esclaves a été ainsi rendue mondialement célèbre.
Il serait intéressant de repérer dans le Bullerengue un cas-témoin, afin de mieux comprendre l’évolution de la musique dans la société colombienne contemporaine. En effet, le Palenque est longtemps resté à la marge de toute influence, faisant du Bullerengue l’illustration d’une identité qui est propre à ses habitants ; une musique dynamique qui évoluait uniquement au rythme de la communauté.
Il est par ailleurs pertinent de mentionner le palenquero, terme désignant la langue dans laquelle étaient chantés la plupart des Bullerengues. C’est une langue très ancienne à la syntaxe espagnole et la grammaire bantoue. On estime qu’elle est aujourd’hui parlée par la moitié de la population du San Basilio del Palenque, soit environ 1 500 individus. Compréhensible à l’autre moitié mais incompréhensible aux autres colombiens, cette langue date probablement du XVIIème siècle et est très étroitement liée au Bullerengue. Les deux sont restés fidèles à cette tradition ancestrale et conservent un important rôle identitaire au sein de cette communauté.
L’identité palenquera
Si le langage palenquero sert à faire vivre l’identité de San Basilio del Palenque, le Bullerengue semble avoir un rôle identitaire encore plus important. En effet, dans une interview, Benjamin Diaz du groupe Palmeras de Uraba, dit que « le Bullerengue est passé de génération en génération, au rythme du Bullerengue se racontaient les bonnes et les mauvaises nouvelles, se narraient les événements et les moissons ». Comme le souligne Benitez (2000), la mémoire collective de ces populations arrivées d’Afrique est constituée de transmission orale, de danse et d’icônes. Or dans ce cas précis, la transmission orale se fait surtout par le biais du Bullerengue, qui s’avère être un support identitaire dynamique. En effet, il sert autant à faire revivre des récits d’un passé lointain qu’à être employé, quoique plus rarement, pour garder trace des événements plus contemporains
Nous ne pouvons certes pas parler de musique nationale, mais d’une musique à un rôle identitaire très important qui est restée à la marge de toute influence pendant longtemps. C’est pourquoi le Bullerengue avait pu, jusqu’à récemment, garder cette dynamique vocation identitaire presque intacte. Cependant, avec la lente ouverture du Palenque au voisinage, au tourisme, à l’extérieur, la langue comme la musique ont évolué.
La Champeta et l’identité costeña
De nos jours, le Bullerengue n’est plus un cas-témoin et il évolue de façon singulière. D’une part, il est partiellement réapproprié par des groupes de jeunes (comme ici). D’autre part il parait être perçu différemment car il est largement associé aux personnes âgées, aux réunions familiales, aux festivals folkloriques, qu’au quotidien de tous les habitants. Mais, malgré le travail de jeunes, limité à un cadre folklorique, le Bullerengue ne semble pas à même de faire face aux musiques plus récentes et populaires, fortement diffusées par les picós et la radio. Le Bullerengue devient ainsi une « musique de musée ». Selon Benitez, c’est une conséquence naturelle de l’effort investi dans la préservation de la musique folklorique colombienne. La Champeta pour sa part s’est répandue sur la côte. Selon ce schéma, le Bullerengue, symbole de l’identité palenquera, se voit détrôné par la Champeta. L’identité palenquera deviendrait-elle également « de musée » ? La place qu’acquiert la Champeta serait-elle un signe que le Palenque commence à se reconnaitre dans l’identité costeña ?S’affirmant comme multiculturelle, la Colombie aurait-elle ouvert les portes aux régionalismes ? On parle du Rap de Medellin, de la Champeta de Cartagena. Inversement, le Bambuco considéré comme national n’a pas l’attention qu’il avait avant et le Bullerengue, symbole palenquero, devient une « musique de musée ». Une chose parait claire, la musique dans laquelle peut circuler l’essentiel d’une identité, comme nous le montra le Bullerengue, croise rapidement les frontières imaginaires ou réelles. A peine ouvert à l’extérieur, le Palenque semble s’associer à une identité plus globale, celle de la côte – représentant un groupe beaucoup plus vaste que la communauté palenquera.
Première partie du documentaire sur le Festival del Bullerengue
http://www.youtube.com/watch?v=1G8w3Q51VaI&feature=related
Petrona Martinez
http://www.youtube.com/watch?v=_Wp7jNPLOcQ
Bibliographie et Webographie :
http://www.nytimes.com/2007/10/18/world/americas/18colombia.html?_r=1 consulté le 04/11/10 à 17h23
http://www.colombiaaprende.edu.co/html/etnias/1604/articles-83211_archivo.pdf consulté le 04/11/10 à 18h54
FRIEDEMANN, Nina, ROSELLI, Carlos, Lengua y Sociedad en el palenque de San Basilio, Instituto Caro y Cuervo, 1983
BENITEZ, Edgar, “Huellas de africania en el Bullerengue: la música como resistencia”, Actas del III congreso latinoamericano de la Asociación Internacional para el Estudio de la Música Popular, 2000, Bogotá, disponible sur http://www.hist.puc.cl/historia/iaspm/pdf/Benitez.pdf
Palenque de San Basilio est le nom le plus connus mais les palenqueros revendiquent le nom San Basilio del Palenque (évitant délibérément une soumission du palenque à un saint).
http://palenquedesanbasilio.masterimpresores.com/secciones/quienes_somos.htm à 03:54
http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00311&cp=CO consulté le 04/11/10 à 04:12
http://palenquedesanbasilio.masterimpresores.com/secciones/lengua.htm consulté le 04/11/10 à 04:16
http://www.nytimes.com/2007/10/18/world/americas/18colombia.html?_r=4
Un type de haut-parleurs (cf. article précédent)