Changement climatique au coeur du V sommet UE-Amérique latine

Écrit par Marie-Esther Lacuisse   

Le V sommet Amérique latine/ Union européenne s'est déroulé à Lima du 13 au 17 mai 2008. Le sommet a lieu tous les deux ans. Il a pour objectif de consolider la coopération politique, économique et sociale entre les deux aires régionales. L'enjeu du V sommet Union européenne -Amérique latine est le changement climatique bien que le thème ait été ajouté à la question de la pauvreté et de l'exclusion sociale, initialement inscrite comme axe de coopération primordiale. Le changement du climatique et la lutte contre la pauvreté sont deux politiques qui ne peuvent pas être dissociées en Amérique latine, et en particulier au Pérou, tant les ravages écologiques conditionnent les conditions de vie des populations rurales.

 

Le Pérou au cœur de l'agenda du V sommet Amérique latine et Union européenne : changement climatique et lutte contre la pauvreté.

Article écrit par Marie-Esther Lacuisse, Arthur Laurent et Adriana Urrutia

L'Union européenne est le premier investisseur et coopérant au Pérou. Elle reste néanmoins le deuxième partenaire commercial, après les Etats-Unis. L'enjeu du V sommet est le changement climatique bien que le thème ait été ajouté à la question de la pauvreté et de l'exclusion sociale, initialement inscrite comme axe de coopération primordiale. Au regard de la conjoncture actuelle, la crise alimentaire, l'enjeu de la production agricole céréalière sur les bio combustibles devrait être ajouté à l'agenda. Les présidents devraient ratifier la déclaration de Lima durant le sommet. L'enjeu du changement du climatique et la lutte contre la pauvreté sont deux axes d'action publique sur lesquels le Pérou a aligné son agenda ces derniers mois. La position du Pérou entre production alimentaire et énergétique reste ambivalente, ce qui a provoqué au niveau national certaines distorsions ces derniers mois.

Si la question environnementale est dorénavant une priorité pour les pays industrialisés, elle reste secondaire dans les pays émergents et en voie de développement. Dans le cadre des pays en voie de développement, groupe auquel appartiennent les pays andins, l'enjeu de l'élaboration d'une politique environnementale est avant tout préventif, car ces pays ne sont pas les principaux pollueurs. Ils subissent en revanche le revers du changement climatique à plus fort degré que d'autres pays, pour des raisons géographiques accentuées par manque d'aménagements d'infrastructures préventives. L'enjeu devient de fait une priorité sociale dans ces pays, car les populations les plus vulnérables vivent quasi-exclusivement de revenus agricoles. Les récoltes sont mises en danger par l'amplification des variations et de l'intensité des phénomènes climatiques. Par ailleurs, les déforestations massives que subissent certains pays comme le Pérou ont également des conséquences importantes sur le développement. Dans la partie amazonienne où les sols sont peu fertiles, la déforestation engendre l'effondrement de sols et l'isolement de certains villages durant la saison des pluies. Ce ne sont que des exemples parmi d'autres, face auxquels le Pérou est donné comme l'un des pays les plus exposés après le Bangladesh et le Honduras.

En se repositionnant dans une perspective d'analyse qui inclut tant les pays d'Amérique latine que les pays européens, la question du changement climatique englobe différents enjeux communs. Tout d'abord, il faut bien considérer que, bien que les pays « développés » ou industrialisés restent les plus polluants, les pays émergents sont régulièrement montrés du doigt. En effet, le type de développement industriel qui les caractérise est particulièrement nocif en termes environnementaux et leur contribution au réchauffement climatique est régulièrement dénoncée. Une dénonciation qui est cependant valable actuellement que pour certains pays car les pays en voie de développement ne sont actuellement que relativement peu polluants face aux pays industrialisés. Les pays visés sont la Chine, l'Inde mais aussi les Etats-Unis. En ce qui concerne les pays en voie de développement, il s'agit de mettre en place une politique préventive. Ainsi, engager d'ores et déjà ces pays dans la lutte contre le changement climatique - un phénomène d'impact planétaire - c'est contrecarrer les mauvaises anticipations quant à l'évolution de leur niveau d'émission de gaz à effet de serre (GES). Ensuite, face à une forte progression du thème de la responsabilité sociale d'entreprise, les entreprises qui ont des activités délocalisées trouvent dans la réduction d'émissions de CO2 dans le pays d'accueil un moyen d'améliorer leur image institutionnelle. Elles cherchent à éviter les accusations de délocalisation d'usines dans des pays où les contraintes environnementales sont moins importantes.

 Le lien principal qui lie les deux régions en terme de lutte contre le changement climatique provient du fonctionnement du marché du CO2 en lui même. En effet, les pays qui se sont engagés à réduire leurs émissions de GES dans le cadre du protocole de Kyoto ont invariablement reporté la contrainte sur les industries les plus polluantes qui doivent respecter un quota d'émissions. Outre la possibilité de modifier son processus de production et celle de racheter des bons d'émissions, une entreprise peut, dans le cadre par exemple du Mécanisme de Développement Propre (MDP), financer des projets qui génèrent des certificats de réduction d'émissions qui pourront être comptabilisés sur son propre quota. Une entreprise sujette à un quota peut ainsi générer des bons de réduction d'émission de CO2 à un coût plus bas que celui d'achat sur le marché (et éventuellement que celui de modification de son mode de production...). Cet instrument décrié par certains acteurs sera d'ailleurs l'un des thèmes du contre sommet qui se déroule parallèlement à Lima. L'incitation économique ainsi créée par le marché chapeauté par l'ONU (en l'occurrence l' United Nations Framework Convention on Climate Change) est justifiée par cette dernière dans une logique de transfert de technologie. Ainsi des projets de génération d'énergie hydraulique, éolienne ou issue de la biomasse sont aujourd'hui nombreux. Ce sont cependant les pays émergents comme le Mexique, la Chine, l'Inde et le Brésil qui captent la majorité des investissements liés à ce mécanisme avec des projets dont la qualité est parfois critiquée. Le Pérou, quant à lui, comptait 9 projets de MDP acceptés en décembre 2007 dont 7 centrales hydroélectriques alors qu'il y en a plus d'une centaine au seul Brésil. Le Pérou compte un ensemble de 104 projets viablse ou en cours d'approbation sur plusieurs secteurs d'activités.

C'est dorénavant un véritable défi pour les pays en développement que d'attirer les investissements dans ce type de projet. Ce que le Fond national de l'Environnement (FONAM) au Pérou a bien compris en suscitant la proposition de nombreuses initiatives rassemblées dans un portefeuille de projet. Un accord a ainsi été passé avec la coopération japonaise (JICA) pour former les différents acteurs nationaux au montage de projets MDP et il est complété par un accord de collaboration avec ENDESA, une grande entreprise espagnole d'achat-vente de crédits. Ainsi, le Pérou occupe déjà la 7ème position en termes d'attractivité de ce type d'investissement MDP.

 La maîtrise des émissions de CO2 n'est plus un thème réservé qu'aux entreprises. Il s'étend maintenant à de nombreuses activités et projets et fait partie intégrante des programmes de coopération de champs d'action divers. Par exemple, il rentre jusque dans les normes des programmes de développement alternatif, sans pour autant encore représenter une valeur marchande, consacrés en partie au renouvellement de la production agricole dans les zones de production de feuille de coca, où les champs de semences se divisent entre production agricole et plantations forestières. Au Pérou, le narcotrafic a une incidence notable sur l'environnement, car la production de coca a engendré une forte déforestation dans la partie de la selva baja. L'INRENA, agence décentralisée sous l'autorité du ministère de l'agriculture pour la protection des zones forestières et de l'environnement, n'a cependant jamais entrepris de programmes dans les zones de production de coca. Mais les émissions de GES peuvent être réduites par des actions autres que la reforestation, et au travers de programmes qui contribuerait directement à l'amélioration des conditions de vie des populations. En effet les projets de diffusion de foyers améliorés ou d'électrification rurale décentralisée ont par exemple un potentiel d'amélioration des conditions de vie donné supérieur par certains acteurs à celui de projets de reforestation ou de couverture de décharges. Ce type de programme commence à se développer fortement au Pérou, principalement au travers d'ONG et de la coopération internationale mais également de l'état. L'Union européenne questionne d'ailleurs le lien établit entre ces deux enjeux, politique environnementale et lutte contre la pauvreté, par le gouvernement péruvien. En effet, les deux questions semblent suivre des agendas parallèles où la variable économique semble prédominer.

 Au niveau de la préservation de l'environnement, le Pérou compte d'une agence décentralisée, l'Inrena, d'un fond national, le FONAM et du Conseil national pour l'environnement (CONAM). Les trois entités ont en charge la conservation et la promotion des ressources naturelles. Le FONAM soutient également le Plan national de gestion intégrale des résidus solides. L'Etat péruvien considère que la question du changement climatique est un des thèmes où il est possible d'avoir un agenda commun avec l'Union Européenne. Mais comme il a déjà été mentionné, ont peut se demander, à l'instar de Antonio Cardoso Mota, chef de la délégation de la commission Européenne au Pérou s'il l'envisage également comme un moyen de lutte contre la pauvreté. Pour Mercedes Araoz, ministre du commerce extérieur au Pérou, le thème des politiques climatiques est crucial au Pérou, car le pays cherche à "avoir une croissance durable". L'action gouvernementale pour le contrôle environnemental et l'aménagement d'infrastructures reste cependant limitée. Les standards péruviens sont loin de respecter les standards internationaux et les coûts environnementaux atteignent presque 4% du PIB, désormais. Il devient urgent d'agir. La société civile a ainsi remis en cause à plusieurs reprises les capacités de l'Etat à œuvrer pour la préservation de l'environnement.

 L'Etat péruvien a aligné ces derniers mois son agenda sur les thématiques impulsées par le sommet avec l'Union européenne. En décembre dernier, Alan Garcia a appelé à la création d'un ministère de l'environnement. Il devrait d'ailleurs promulguer une loi environnementale et nommer un fonctionnaire au rang de ministre de l'environnement dans les prochains jours. Cette initiative répond cependant à un ensemble d'engagements internationaux qui ne tient pas seulement au sommet. Tout d'abord, la création de cette nouvelle institution répond aux exigences du traité de libre échange avec les Etats-Unis. L'Etat péruvien répond également aux conditions exigées par la BID suite à un prêt de 800 millions de dollars pour le développement du projet de gaz « Camisea II ». Par ailleurs, la defensoria del pueblo avec quelques organisations de la société civile, a insisté sur le besoin de créer une entité autonome. Leur mobilisation avait conclu sur la nécessité de la mise en œuvre d' « une haute autorité politique, de façon à pouvoir assumer des fonctions de fiscalisation, prévention d'impacts et de contrôle sur les activités des différents secteurs productifs » en plus de la nécessité de respecter un certain nombre de règles de bonne gouvernance comme la décentralisation et la participation citoyenne. Ces derniers jours, le Congrès péruvien a fortement critiqué l'absence de consultation parlementaire pour la création du ministère de l'environnement, décidé exclusivement par le pouvoir exécutif.

 Du point de vu de l'agenda social, dès octobre 2007, l'Etat péruvien a choisit comme fil conducteur de la politique nationale la « lutte contre la pauvreté et les inégalités ». De plus, l'Etat recherche le dialogue international pour alimenter une nouvelle formulation de ses politiques sociales comme en témoigne la création d'un réseau bi-régional de dialogue social. Ce réseau qui, sur le plan international cherche le transfert des expériences et des pactes sociaux, aurait pour but de créer « des instances nationales de débat qui contribuent à la définition des axes prioritaires de dépense sociale et à l'articulation de l'offre de programmes qui bénéficient aux peuples. ». En février 2008, la participation citoyenne a été intégrée dans la définition des programmes sociaux et fait donc partie intégrante de l'agenda politique, comme preuve d'une volonté de création d'une interface de dialogue entre l'Etat et les organisations sociales. Le Pérou semble avoir aligné l'agenda national sur l'exigence des rencontres et accords internationaux qui marquent l'année 2008. Les nouveaux instruments mis en place permettront-ils de dépasser une action symbolique qui aura un réel impact au niveau de l'amélioration des conditions de vie ? De même, le président de la république du Pérou, Alan Garcia, tient un discours ambivalent sur la question des productions agricoles. Il critique l'expansion des cultures pour la fabrication de bio carburant contre la production agricole alimentaire, cependant au Pérou il encourage les investissements pour la production de bio combustibles.

 La politique environnementale que devrait engager le Pérou s'intègre dans une perspective internationale de lutte contre les impacts négatifs du changement climatique. Un rapport alarmant vient d'être publié par la Communauté andine concernant l'impact du changement climatique sur les pays andins. Le rapport produit par la faculté d'économie de l'Université Pacifique « El cambio climático no tiene fronteras : impacto del cambio climático en la comunidad andina » met l'accent en particulier sur le risque qu'encourent les économies locales agricoles de ces pays. Cette année, les pluies abondantes dans certaines régions de la Bolivie, de l'Equateur et du Pérou ont réduit les récoltes. Dans le sud des Andes péruviennes, la baisse des températures a déjà provoqué la mort de plus d'une dizaine d'enfants en quelques semaines.

 Le V sommet a également pour objectif de consolider la coopération avec les pays de la région andine. Le siège de la Communauté Andine des Nations à Lima avait d'ailleurs organisé du 6 au 8 février dernier un séminaire « Décentralisation et inclusion sociale dans le cadre des processus d'intégration régionale ». C'est également le traité de libre échange avec l'Union européenne qui continuera d'être discuté, bien que le Pérou ait déjà fait savoir il y a quelques temps sa volonté de signer un traité bilatéral, volonté à laquelle l'Union européenne ne semble pas répondre.

 

Arthur Laurent, étudiant en master de recherche à Sciences Po travaille sur les politiques de lutte contre le changement climatique au Pérou où il a cofondé une association qui valorise des projets de réduction d'émissions de CO2 ( arthur.laurent@associationmicrosol.com ).

Adriana Urrutia est étudiante à Sciences Po Poitiers et assistante scientifique de la rubrique Politiques Publiques Opalc.

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