Dix ans après UNGASS Drug: ouverture du cycle d'évaluation (2008-2009)
Écrit par Marie-Esther Lacuisse
Les Nations Unies avait dédié la décennie des années 90 à la lutte contre l'abus des drogues, cependant cet acte symbolique n'a pas enrayé le trafic, ni la consommation. La situation s'est dégradée. Depuis 1998, la fabrication de cocaïne a augmenté de 19% (Nations Unies). Quant à l'héroïne, et malgré la croissance de production de l'opium en Afghanistan, le trafic de la substance s'est stabilisé sans se réduire. La réduction importante des cultures de pavot à opium opérée en Asie du Sud Est n'a pas compensé la forte augmentation en Afghanistan.
Cette augmentation du trafic est la preuve d'un échec dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques depuis 1998, année décisive en matière de lutte contre les stupéfiants avec la tenue à New York d'une Session Spéciale de l'Assemblée Générale des Nations Unies (UNGASS) qui a débouché sur la ratification d'une déclaration politique et d'un plan d'action. Le principe de coresponsabilité entre pays industrialisés et pays producteurs avait pourtant été déclaré lors de cette Assemblée et le développement alternatif défini. Ces énoncés ont rapidement trouvé leur limite. Le rapport 2005 de l'Organe International de Contrôle des Stupéfiants (INCB) remettait en question le principe d'approche équilibrée entre réduction de l'offre et de la demande sans programmation intégrée. L'Organisme de Lutte contre les stupéfiants des Nations unies (ONUDC) a justement planifié un processus d'évaluation du plan d'action 2003-2008. Lors de la 51ème session de la Commission de lutte contre les stupéfiants (CND,) qui se tient actuellement à Vienne du 11 au 14 mars, les représentants devront formuler un premier bilan évaluatif tant sur les lignes daction internationale que sur l'adoption des conventions internationales dans les législations nationales ainsi que sur la mise en œuvre des programmes. Le réajustement des instruments est programmé pour la session de 2009.
Les pays andins sur l'agenda du processus d'évaluation
Face à l'augmentation du trafic de cocaïne, et bien que la superficie des champs de coca ait diminué avec la politique d'éradication mise en place au travers des programmes de développement alternatif (Etats-Unis), les pays producteurs de coca vont se retrouver au coeur du débat. L'élection de l'ex leader cocaleros, Evo Morales, à la présidence de la République bolivienne en 2005, a d'ailleurs ravivé les tensions sur les controverses de la coca. En effet, le plan national 2006-2010 dessiné par la Bolivie s'oppose aux principes internationaux, projetant l'exportation de produits industrialisés à base de coca, interdite par les conventions internationales, pour relancer l'économie bolivienne.
A la veille de l'ouverture de la CND, la publication du rapport 2007 de l'INCB a déjà provoqué quelques réactions controversées par rapport au statut de la coca. L'équilibre voulu entre politique de réduction de la demande, fortement soutenue par l'Union européenne et les pays producteurs, et réduction de l'offre semble être démenti par ce dernier rapport, qui face à l'augmentation du trafic met en cause tout particulièrement les pays producteurs, la Bolivie et le Pérou, dont les législations nationales reconnaissent une partie de la production de feuilles de coca licite pour les usages coutumiers (12.000 hectares). L'INCB est l'organe de contrôle de l'ONUDC dont la fonction est d'évaluer la mise en œuvre des Conventions internationales par les gouvernements nationaux.
En effet, les usages traditionnels de la coca en Bolivie et au Pérou font qu'une partie de la production est légalisée tandis que la Convention Unique de 1961 prévoît une éradication totale des cocaïers (article 49). Lors de l'élaboration de la Convention de 1988, le Pérou et la Bolivie s'étaient engagés à ratifier la Convention sous réserve de l'ajout d'un alinéa pour la consommation traditionnelle de la coca. Il est stipulé dans le paragraphe 2 de l'article 14 que « Chaque Partie prend des mesures appropriées pour empêcher sur son territoire la culture illicite de plantes contenant des stupéfiants ou des substances psychotropes comme le pavot à opium, le cocaïer et la plante de cannabis, et pour détruire celles qui y seraient illicitement cultivées. Les mesures adoptées doivent respecter les droits fondamentaux de l'homme et tenir dûment compte des utilisations licites traditionnelles -- lorsque de telles utilisations sont attestées par l'histoire -- ainsi que de la protection de l'environnement ». L'exception accordée à ces deux pays andins, seuls à reconnaître la consommation traditionnelle de la coca, provoque une ambiguïté quant au statut légal de la feuille de coca, inscrite en 1961 sur la liste des stupéfiants les plus dangereux au même titre que la cocaïne. Une controverse que relate très précisément le Transnational Institut (TNI) sur son site dédié au cycle d'évaluation de l'UNGASS.
Dès 1994, l'INCB avait soulevé l'ambiguïté juridique du statut de la feuille de coca dans le Supplément au Rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour 1994. Le rapport recommandait une expertise de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) afin de déterminer les effets réels de la feuille de coca sur l'organisme humain. En revanche le rapport 2007 qui vient de paraître pour la 51ème session de la CND, fustige violemment les pratiques traditionnelles. Selon le rapport, la Convention de 1998 requière que les gouvernements nationaux mettent en place une loi punitive contre tout usage de la coca et cela malgré l'alinéa du paragraphe 2, qui n'aurait aucune valeur compte tenu que la Convention de 1988 stipule un alignement sur les prévisions de la Convention de 1961. De fait tout usage de la feuille de coca, même dans le cadre d'une activité personnelle, devrait être puni.
Cette radicalisation de l'INCB face à la Commission du Lutte contre les stupéfiants (CND), en charge de l'élaboration de la politique et des programmes d'assistance, s'opère au moment de l'ouverture du cycle d'évaluation des politiques mises en place pour lutter contre les drogues. Alors que certains représentants cherchent à renforcer la politique de réduction de la demande, les conclusions du rapport de l'INCB semble encourager un durcissement de la réduction de l'offre.
Durant deux ans, cet espace permettra d'analyser les conclusions et observations apportées par la CND jusqu'à la redéfinition de nouveaux instruments lors de la session de 2009.
- Agenda de la 51ème Session de la CND
- Agenda de la 52ème Session et Résolutions.
- Controverses sur la feuille de coca : TNI - 10 years review.