Comment enquêter auprès des enfants ?

Nonna Mayer ouvre la 52e séance du séminaire Les sciences sociales en question en rappelant la situation de notre collègue, la chercheuse Fariba Adelkhah, prisonnière scientifique en Iran. Elle a bénéficié d’une libération conditionnelle temporaire au titre de mesures sanitaires, le 3 octobre. Au moment où le séminaire se tient, elle est assignée à résidence chez elle sous contrôle d’un bracelet électronique. La mobilisation continue pour demander la libération inconditionnelle de Fariba Adelkhah.

La séance du jour qui a pour invitée la sociologue Julie Pagis (IRIS, CNRS-EHESS)1 porte sur les enjeux méthodologiques qui entourent l’enquête auprès de la population enfantine. Après s’être intéressée aux trajectoires militantes des « soixante-huitard·es », Julie Pagis travaille depuis une dizaine d’années sur la socialisation politique des enfants, sujet sur lequel elle a notamment publié L’enfance de l’ordre. Comment les enfants perçoivent le monde social2 avec Wilfried Lignier, et la bande dessinée Prézizidentielle3, avec la dessinatrice Lisa Mandel. 

Elle a pour discutante Florence Haegel (CEE) qui a travaillé sur les processus de socialisation politique (Destins ordinaires. Identité singulière et mémoire partagée avec Marie-Claire Lavabre4) et l’usage scientifique des entretiens collectifs (L’enquête et ses méthodes : les entretiens collectifs avec Sophie Duchesne5).

 

Intervention de Julie Pagis

Julie Pagis se propose de revenir sur deux enquêtes sur la socialisation politique enfantine. Elle indique au préalable que la question théorique, méthodologique et épistémologique de l’enquête auprès des enfants est au cœur d’un numéro récent de la revue Bulletin de méthodologie sociologique qu’elle a coordonné avec Alice Simon6. Elle projette le sommaire du numéro à titre informatif avant d’entrer dans le vif de sa présentation qui se nourrit de sa propre expérience d’enquête de terrain auprès d’enfants. 

La socialisation politique enfantine dans les sciences sociales

Longtemps, l’étude des enfants a été laissée aux sciences de l’enfance et notamment à la psychologie – alors même que la famille en tant qu’objet a très tôt été étudiée en sociologie. Les enfants ont longtemps été considérés par les chercheur.e.s en sciences sociales comme des sujets immatures, en développement, peu fiables. L’enquête scientifique auprès d’eux nécessite donc un appareillage méthodologique spécifique que seuls les psychologues ont cherché à mettre en place.

Dans les années 1970 émergent aux Etats-Unis les premiers travaux sur la socialisation politique enfantine, notamment ceux de Greenstein, Dennis, Easton7. Ils font toutefois l’objet de nombreuses critiques en particulier à propos des méthodes adoptées qui seraient inadaptées au recueil de données auprès des enfants.

Annick Percheron occupe un rôle central dans la prise en compte de ce sujet dans la recherche francophone. Elle choisit d’importer ces travaux américains avec un oeil critique et de mener elle-même des enquêtes qui replacent les enfants au coeur de la réflexion. Elle s’écarte ainsi de la normativité qui marque les premiers travaux visant à prédire comment ces enfants voteront plus tard et cherche plutôt à comprendre comment se forment leurs univers politique8. Son décès précoce en 1992 met un terme au renouveau méthodologique et épistémologique de ces recherches.

Les childhood studies en sciences sociales se popularisent dans les années 1990, et elles sont importées en France et développées par le courant de la « sociologie de l’enfance ». Ces travaux cherchent à explorer la culture enfantine et notamment la capacité à agir (agency) des enfants. Cette approche se recentre sur les enfants de façon salutaire mais elle a ses limites : ces travaux tendent à essentialiser l’enfance et à négliger la diversité interne au monde des enfants. En outre, cette centralité donnée aux enfants a pu faire perdre de vue leur relation avec les adultes. 

On observe toutefois, ces dernières années, un réel renouveau des travaux de sciences sociales de l’enfance grâce à des recherches qui partent du point de vue des enfants tout en considérant l’enfance en lien avec le reste du monde social. Diverses méthodologies sont développées qui permettent d’accéder au point de vue des enfants sans les couper du reste du monde et qui invitent à être attentif aux spécificités du monde enfantin et à sa diversité. 

Julie Pagis évoque plus précisément trois types de « problèmes » méthodologiques que l’on rencontre lorsqu’on interroge des enfants. D’abord, les problèmes de compétence : les enfants sont-ils compétents pour comprendre et répondre aux questions qu’on veut leur poser ? Cette interrogation remet en question la pertinence même d’enquêter auprès des enfants9. Le second problème est celui des soupçons sur la stabilité et la fiabilité des réponses des enfants (cf. Pauline Vaillancourt10). Les enfants sont perçus comme des êtres qui changent trop souvent d’avis, sans opinion fixe, mais Julie Pagis rappelle que ces jugements peuvent dans une certaine mesure également s’appliquer aux adultes. Le troisième problème est celui de la posture de la personne qui enquête et de l’asymétrie de la relation d’enquête entre adulte et enfant. Cet obstacle se décline en plusieurs volets. Il existe un risque d’imposition de la problématique et de l’« adultocentrisme », qui consiste à considérer l’enfant seulement comme un adulte en devenir, sans prendre en compte ses préoccupations spécifiques. Les enjeux éthiques sont également nombreux. En effet, la personne qui enquête doit à la fois garder le secret sur les propos recueillis tout en endossant sa responsabilité d’adulte en cas de confidence à propos par exemple d’une situation dangereuse dans laquelle se trouverait l’enfant. 

Après cette introduction Julie Pagis annonce les deux objectifs de sa présentation. 

1. Montrer qu’il est possible d’utiliser les méthodes qualitatives éprouvées dans les sciences sociales auprès d’adultes avec des enfants, même très jeunes. Il est possible d’interroger ces derniers sur leurs pratiques et leurs représentations si l’on veille à atténuer les obstacles propres à l’enquête auprès d’enfants à l’aide de méthodes adéquates.

2. Montrer qu’un retour réflexif sur les modalités effectives de ces techniques d’enquête est susceptible de révéler ce que sont les enfants en tant qu’êtres sociaux.

Les deux enquêtes

Sa présentation se fonde essentiellement sur les deux enquêtes qu’elle a conduites, dont elle présente les méthodes. 

L’enfance de l’ordre, avec Wilfried Lignier

L’enquête a été menée de 2010 à 2012 dans deux écoles primaires d’un même quartier parisien avec quatre volets distincts. 

→ Séances collectives de classement des métiers

→ Entretiens in situ par binômes. 54 binômes ont été constitués dans quatre classes : une classe de CP et une classe de CM1 au sein de chaque école. Le cœur du matériau du livre a été recueilli auprès des enfants de ces classes, soit 108 individus formant 54 binômes.

→ Questionnaires distribués à tous les enfants de l’école (N = 338, dont les 104 suivis)

→ Observations en cour de récréation

Prézizidentielle, avec Lisa Mandel

L’enquête a été conduite dans une école de Seine-Saint-Denis et deux classes ont été suivies : une de CE1 et une de CM2. Elle s’est déroulée en deux temps : Julie Pagis a d’abord travaillé seule avant que Lisa Mandel ne se joigne à elle lors de la deuxième année, l’amenant à quelques changements.

Octobre-décembre 2016 : enquête « classique » menée exclusivement par Julie Pagis

→ Questionnaires distribués à l’ensemble des élèves de l’école

→ Entretiens en binôme ou petit groupe avec les élèves des classes suivies

Février-mai 2017 : enquête avec la dessinatrice de BD Lisa Mandel

→ Discussions collectives de 45 minutes sur l’actualité avec des demi-classes, en l’absence des enseignant.e.s 

→ Usage de supports projectifs, en l’occurrence de photos des candidat.e.s à l’élection présidentielle de 2017, afin de recueillir les réactions des enfants

→ Jeux de classement des candidat.e.s 

→ Jeux de rôle proposés par la dessinatrice : les enfants devaient rejouer les débats présidentiels et se mettre à la place des candidat.e.s à l’aide de synthèses simplifiées de leurs programmes électoraux.

Au sujet de la dernière méthode, Julie Pagis note sa réticence initiale : en tant que sociologue, elle cherche généralement à éviter de biaiser la perception de ses enquêté.e.s en leur présentant des résumés de programmes qu’elle a elle-même dû mettre au point. Toutefois, elle a observé la richesse de cette forme d’expérimentation dans le contexte précis de cette enquête : c’est la comparaison des différentes manières de s’emparer des rôles qui apporte le plus à sa sociologie des enfants.

Les séances collectives de classement des métiers

Un matériau central a été fourni par les séances collectives de classement des métiers. Dans L’enfance de l’ordre, Julie Pagis et Wilfried Lignier ont travaillé sur la perception enfantine des hiérarchies des classes et des métiers, en reprenant la méthode de Bernard Zarca. Elle consiste à fournir des étiquettes comportant divers métiers et à demander aux enfants de les ordonner, depuis celle qui leur semble « aller tout en haut » à celle qui leur semble « aller tout en bas »11. Contrairement à Zarca qui considère qu’il vaut mieux que le classement se fasse individuellement afin de privilégier la spontanéité, Lignier et Pagis cherchent dès le départ à observer l’élaboration collective des classements afin de comprendre comment ceux-ci s’insèrent dans les relations sociales entre enfants. Des jeux de classements sont également mis en place lors de la deuxième enquête sauf qu’il est demandé aux enfants de classer des candidat.e.s à l’élection présidentielle et non des métiers.

Le dispositif des séances collectives permet d’atténuer l’asymétrie entre les enquêteur.ice.s et les enfants qui sont moins impressionnés en groupe. Le collectif permet également d’observer les relations d’alliance, de mimétisme ou de conflit entre les enfants. 

Au cours de l’enquête menée de 2016 à 2017, Pagis et Mandel observent que les enfants modifient leur classement au cours de la discussion collective en fonction de celui effectué par d‘autres enfants. Elles prennent donc la décision au bout de quelques séances de demander aux enfants de classer les étiquettes de métiers individuellement. Le comportement des enfants illustre ce que la sociologie politique nous apprend sur la formation de l’opinion. Julie Pagis mentionne les trois modalités de réponses possibles : l’idéal de l’opinion éclairée, la délégation (la personne s’en remet à d’autres) observée notamment chez les enfants au cours de l’enquête et l’opinion formée selon des critères de jugement non explicitement politiques, comme le physique ou un critère moral. En outre, organiser le classement dans un cadre collectif, où les enfants interagissent, permet de mettre en lumière le rôle des affects qui n’est pas saillant lors des seuls entretiens individuels.

Ces jeux de classement qui se déroulent en groupe permettent de mettre en lumière les formes collectives de pression et de jugement. La chercheuse mentionne une situation où un enfant a élevé le ton contre un autre en remarquant que Marine le Pen figurait en haut de son classement des candidat.e.s. Les débats pouvaient être très animés entre les enfants notamment au sujet de l’élection présidentielle car les thèmes évoqués étaient parfois sensibles pour eux. Cette animosité entre enfants soulève la question de l’intervention de l’adulte dans le conflit : ces tensions sont intéressantes et constituent un matériau important pour l’enquête mais la responsabilité de l’adulte le pousse à interrompre le conflit avant que les très jeunes enquêté.e.s n’en viennent aux mains.

Soirées électorales en famille

Les soirées électorales sont des moments centraux dans la transmission familiale des goûts et des dégoûts politiques. À défaut de pouvoir faire une ethnographie des interactions langagières, de la place et des réactions des enfants lors des soirées électorales, Julie Pagis a notamment systématiquement interrogé les enfants sur leur expérience du débat télévisé de l’entre deux tours opposant les deux candidats restés en lice. 

Au cours de l’enquête menée avec Lisa Mandel, celle-ci demandait aux enfants de décrire les réactions qu’ils et elles avaient pu avoir ou observer à l’annonce des résultats et de mimer ces moments. L’expérience est concluante, elle fait remonter à la surface des informations essentielles.

Julie Pagis note que la grande majorité des enfants ont regardé la soirée électorale au moins dans les premières minutes suivant l’annonce des résultats. Certains parents saisissent le moment de la soirée électorale pour en faire une expérience pédagogique d’explicitation de leurs préférences politiques et une transmission explicite de leurs préférences. Toutefois, il s’agit d’un type de transmission minoritaire qui est surtout observé dans les classes moyennes et supérieures et qui est plus fréquent dans les familles de gauche où l’on parle plus de politique que dans celles de droite. L’intervenante rappelle qu’il existe d’autres formes de transmission des préférences politiques comme les réactions affectives, verbales ou non. Elle donne ainsi l’exemple d’enfants qui expliquent avoir observé leurs parents sauter de joie, injurier un.e candidat.e ou pleurer à l’annonce des résultats : à partir des indices que renferment ces réactions, les enfants infèrent les préférences de leurs parents. Ces modes de transmission politiques ne peuvent être saisis qu’à l’aide de certains outils méthodologiques, comme les séances de dessins, l’usage de supports projectifs ou les mimes. Sans faire cet effort, on pourrait conclure à tort à une absence de politisation dans les familles populaires où les interactions langagières ne sont pas le vecteur principal de cette socialisation.

Les séances collectives ne sont toutefois pas toujours appropriées au recueil de certaines informations comme la trajectoire ou la profession des parents, plus faciles à aborder lors des entretiens en binômes.

Des entretiens in situ, par binômes d’enfants

Lors de l’enquête réalisée avec Wilfried Lignier, Julie Pagis a mené des entretiens avec des binômes d’enfants. Cela permettait notamment de neutraliser les effets de censure liés à la situation d’enquête, les enfants étant moins impressionnés que dans le cadre d’un entretien individuel. De plus, les entretiens in situ étaient conduits dans un cadre protecteur puisque les enfants formaient eux-mêmes leurs binômes, choisissant quelqu’un de proche. De ce fait, même les moins disposé.e.s à prendre la parole pouvaient puiser dans la présence de l’autre la force de s’exprimer. Ces conditions d’entretien contribuent à rendre apparent le caractère relationnel, interactif des propos recueillis, y compris dans les discours individuels des enfants, et elles donnent à voir l’environnement micro-environnemental dans lequel les enfants évoluent au quotidien et dans lequel ils et elles co-produisent des classements et des jugements.

Déscolariser la relation d’enquête : le travail de l’ethnographe

La réduction de la distance sociale entre enquêteur et enquêté.es prend des formes spécifiques lorsque l’on est devant des enfants. Il est notamment important de ne pas être perçu.e comme un.e enseignant.e, de leur assurer qu’il n’y a pas de bonne réponse, qu’ils ont le droit de dire des gros mots, de toujours se mettre à leur hauteur en s’asseyant par terre par exemple et de porter vêtements décontractés. Des références culturelles communes permettent de mettre à l’aise les enfants qui identifient leur interlocuteur ou leur interlocutrice comme une personne à même de comprendre ce qu’ils vont dire. Wilfried Lignier connaissait par exemple les programmes télévisés que les enfants regardaient.

 

Discussion par Florence Haegel 

Florence Haegel indique que ses questions se concentreront sur l’ouvrage L’enfance de l’ordre rédigé au terme de l’enquête réalisée avec Wilfried Lignier. Elle salue d’abord la richesse de contenu et des méthodes de l’enquête et note l’utilité d’avoir recours à de longs extraits d’entretiens qui permettent de bien saisir le processus même de fabrication des classements chez les enfants. Elle apprécie aussi la grande réflexivité dont ont fait preuve les sociologues qu’elle considère comme une qualité méthodologique centrale de l’enquête, et notamment leurs efforts de contournement du cadrage scolaire imposé par les lieux d’entretien. Florence Haegel regroupe ses questions en trois blocs.

Choix du terrain et conséquences

Elle rappelle que l’enquête se concentre sur deux écoles publiques d’un même quartier parisien socialement mixte : l’une adopte des pédagogies alternatives et attire donc des enfants de catégories sociales favorisées tandis que l’autre est une école aux méthodes d’enseignements classiques où les élèves appartiennent à des classes sociales plus populaires. Sachant que de nombreux travaux ont montré que les formes de politisation varient selon le degré de mixité de leur environnement et que l’entre soi est un élément déterminant dans la fabrication des rapports au politique, Florence Haegel souhaite savoir pourquoi Julie Pagis et Wilfried Lignier n’ont pas choisi de comparer une école socialement mixte à une école où l’entre-soi social était plus important.

Elle a noté que dans l’ouvrage, les classes moyennes et supérieures sont systématiquement regroupées et opposées aux classes populaires, elle s’interroge sur ce choix de regroupement et regrette que les différences éventuelles entre classes moyennes et classes supérieures n’aient pas pu être davantage analysées. Enfin, elle rappelle que les deux écoles étudiées sont situées dans un même quartier et se demande s’il n’aurait pas été intéressant d’engager une analyse encore plus localisée qui aurait permis, par exemple, de travailler sur la réputation des deux écoles, leur insertion dans le quartier et le regard croisé que chacune porte sur l’autre. La discutante souhaite également que Julie Pagis nous parle davantage de son accès au terrain. 

Processus de classement

Dans le deuxième chapitre de l’ouvrage intitulé Métiers d’en haut, métiers d’en bas, les auteur.e.s s’interrogent sur la méconnaissance du métier d’ouvrier par les enfants mais n’est-ce pas lié au fait que ce terme renvoie plus à une catégorie socio-professionnelle qu’à un métier facile à identifier comme celui de fleuriste ou d’infirmière ? 

Florence Haegel aborde ensuite le sujet des classements politiques qui ont pu parfois ennuyer les enfants dans la première enquête et demande à Julie Pagis pourquoi elle n’a pas utilisé des jeux comme elle l’a fait lors de son enquête avec Lisa Mandel. Au sujet de ces classements, elle relève l’un des résultats mentionnés dans L’enfance de l’ordre par rapport aux enfants les plus jeunes : ces enquêté.e.s ont tendance à associer la gauche et la droite à la latéralisation de l’écriture et au fait d’être droitier.ère ou gaucher.ère. Or Florence Haegel relève que la manière dont la question a été formulée a pu biaiser ce résultat. En effet, en demandant « pourrais-tu m’écrire ce que c’est pour toi la gauche ? », Julie Pagis et Wilfried Lignier placent le verbe « écrire » au centre de la question.

Rapport entretenu avec la psychologie 

Le livre insiste sur l’importance des adultes et des institutions sociales dans l’apprentissage de l’ordre politique par les enfants, ce qui semble être différent de certains résultats issus de travaux de psychologie. Florence Haegel relève que les auteurs confirment que l’âge est la variable déterminante pour expliquer la disposition des enfants à répondre aux questions politiques du questionnaire. Or Julie Pagis et Wilfried Lignier insistent surtout sur l’origine sociale et le genre. Elle souhaite savoir si les auteur.e.s ont été amené.e.s à prendre en compte les travaux de psychologie du développement enfantin pour mieux comprendre le rôle du facteur de l’âge. Plus largement, elle interroge l’intervenante sur son rapport aux différents courants de la psychologie et elle souhaite savoir si elle a pu engager un dialogue interdisciplinaire avec les recherches de cette discipline depuis la publication de L’enfance de l’ordre

 

Réponses de Julie Pagis

Julie Pagis indique qu’elle a choisi son terrain pour un projet antérieur à l’enquête du livre. Initialement, l’objectif était de travailler sur les effets de la pédagogie alternative, d’où le choix de deux écoles du même quartier. Au fil de l’enquête, son intention a changé car elle a observé qu’il était impossible d’isoler la variable de la pédagogie, les pédagogies alternatives attirant les classes moyennes et supérieures tandis qu’elles font fuir une partie des classes populaires. Ainsi, les différences observées seraient plus à attribuer aux effets de classe qu’à ceux de la pédagogie. 

Elle note par ailleurs que les enfants parviennent facilement à identifier les critères selon lesquels on va les classer, même ceux de l’école aux pédagogies alternatives où ils ne sont pas notés : ces pédagogies n’effacent pas la violence symbolique du cadre scolaire. À titre d’exemple, elle explique que dans les deux écoles, les enfants interrogés justifiaient leurs inimitiés envers certains de leurs camarades en se fondant sur leurs performances scolaires, selon un processus de recyclage symbolique. Un enfant peut être perçu comme mauvais élève par ses camarades parce qu’il participe peu en classe par exemple. 

Julie Pagis justifie le regroupement des classes moyennes et supérieures dans le cadre de cette enquête par la petite taille de l’échantillon suivi. Elle ajoute qu’elle est impliquée dans l’enquête ELFE qui suit 18 000 enfants de la naissance à 18 ans et qu’elle a pu y inclure des questions sur les classements de métiers12. Du fait de ce large échantillon, l’enquête permettra de mieux explorer les différences de classement selon la classe à laquelle on appartient. 

Elle explique ensuite que la représentativité ni l’exhaustivité ne constituaient pas les objectifs de l’enquête menée avec Wilfried Lignier, celle-ci était un travail ethnographique qui cherchait à identifier des variations au sein d’un échantillon réduit. Ces variations ont permis d’observer que le recyclage symbolique semble au coeur des processus de socialisation politique. L’enquête vise à poser une première pierre afin que ses conclusions soient mises à l’épreuve sur d’autres terrains.

Julie Pagis évoque ensuite le jeu de classement mis en place et ajoute une précision : l’étiquette comportait l’inscription « ouvrier sur un chantier ». Elle concède qu’elle et Wilfried Lignier auraient pu choisir un intitulé plus précis mais elle mentionne toutefois qu’en 1968 la catégorie « ouvrier » était parlante pour les enfants. Ainsi, la conclusion d’un affaiblissement de la catégorie « ouvrier » demeure pertinente.

Julie Pagis explique les différences méthodologiques entre L’enfance de l’ordre et Prézizidentielle par les progrès de son appareillage méthodologique réalisés au fil des années. 

Elle revient sur sa relation avec la psychologie et précise qu’elle lit les travaux de cette discipline et ne se place pas dans une position de rejet non documenté. Elle mentionne cependant qu’il peut être parfois compliqué de créer des dialogues interdisciplinaires du fait d’épistémologies sous-jacentes orthogonales et d’une attention portée à des variables et des facteurs radicalement différents. Julie Pagis précise qu’elle ne nie pas l’effet de l’âge sur la propension des enfants à répondre aux questions posées mais qu’elle cherche à proposer une épistémologie « variationniste ». Contrairement à la conception des épidémiologistes qui raisonnent à partir des moyennes caractérisant tout ce qui s’en écarte de pathologique, Julie Pagis invite à considérer d’autres facteurs pour faire apparaître les nuances. Dans la même optique, elle rappelle qu’il existe des observations contrefactuelles quant au rôle de l’âge : certains enfants très jeunes ont plus de capacité d’abstraction que leurs aînés de CM2.

 

Débat avec la salle 

Anaëlle Vergonjeanne (CERI) s’interroge sur les difficultés d’entrée sur le terrain et interroge Julie Pagis sur les contraintes légales qui encadrent l’accès aux personnes mineures.

Julie Pagis explique qu’elle a dû passer par l’inspection d’académie, et parfois remonter jusqu’au directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN) pour obtenir des autorisations. Elle recommande d’aller directement voir ces personnes pour leur présenter la recherche que l’on souhaite mener et indique que l’accès à ce type de terrain est voué à devenir de plus en plus difficile. Il faut veiller à avoir l’accord des directeurs ou directrices d’école et à présenter son projet devant toute l’équipe enseignante lors de conseils des maîtres. Ensuite se pose la question de l’accord parental qui renvoie à de nombreux enjeux éthiques. Ainsi, la Convention des droits des enfants suggère que c’est l’enfant qui doit donner son accord dès qu’il est en mesure de donner son avis mais dans les faits, il faut toujours prévenir les parents. Lors de la première enquête menée avec Wilfried Lignier, Julie Pagis a rencontré des difficultés avec un parent d’élève qui s’est inquiété en apprenant que son enfant avait parlé de politique et de religion aux sociologues. Finalement, le conflit a été résolu par l’engagement de Julie Pagis à ne pas utiliser les entretiens réalisés avec cet enfant dans le livre. Lors de la deuxième année, on a demandé la signature et l’accord explicite des parents. Certains d’entre eux ont refusé que leur enfant participe, parfois parce qu’ils ne pouvaient pas lire le mot rédigé en français: Malheureusement, cela écartait de l’enquête les enfants issus de catégories souvent peu représentées. Par ailleurs, c’était également dommageable pour les enfants qui aimaient faire partie de l’enquête, puisque la venue des enquêtrices leur permettait de sortir de classe, de participer aux jeux, de dire des gros mots, etc.

Fatoumata Diallo (CERI) interroge Julie Pagis au sujet de la perception qu’avaient les enfants des enquêteurs et des enquêtrices dans chacune des enquêtes, et plus largement de leur compréhension du métier de chercheur.se. Elle souhaite également savoir si les enfants interrogés ont pu avoir un retour sur chacune de ces enquêtes après la publication des ouvrages. 

Julie Pagis explique qu’elle se présentait aux enfants en tant que chercheuse en sachant que ce terme n’était pas forcément clair pour eux. Elle précisait ensuite qu’elle voulait écrire un livre sur la façon dont les enfants voient le monde, sur ce qu’ils pensent des professions et des politiques, ce qu’ils apprécient chez leurs camarades. Les jeunes enquêté.e.s comprenaient ainsi que sans leurs paroles, le livre ne pourrait pas être écrit. 

L’enfance de l’ordre a été publié en 2017 alors que l’enquête s’est déroulée de 2010 à 2011 : les enfants n’étaient plus en primaire, un retour sur le livre n’a pas pu être organisé. La situation était différente pour les enfants interrogés dans le cadre de la deuxième enquête. D’abord, Lisa Mandel publiait des illustrations d’une semaine sur l’autre sur un blog hébergé par Le Monde et certains enfants les commentaient lors de leur rencontre suivante avec la dessinatrice. Chacun a ensuite pu recevoir un exemplaire de la BD Prézizidentielle lors d’une restitution qui a été organisée à la fin de l’année scolaire durant laquelle l’enquête a eu lieu.

Jeanne Bouyat (CERI) s’intéresse à la méthodologie employée dans la première enquête : elle souhaite savoir si les entretiens en binômes ont été réalisés avant ou après les entretiens collectifs.

Julie Pagis conseille de faire d’abord passer les questionnaires pour éviter que les effets de l’enquête plus approfondie auprès des enfants ne se répercutent dans leurs réponses. Ensuite, il faut mener des séances collectives suivies d’entretiens avec les binômes à plusieurs reprises pour chacune des années scolaires.

Florence Faucher (CEE) revient sur l’accès au terrain et sur la chaîne hiérarchique à remonter pour obtenir les autorisations d’enquêter. Elle se demande s’il y a eu des contraintes légales particulières aux enquêtes et mentionne le contexte du Royaume-Uni où ce type d’enquête serait inenvisageable.

Julie Pagis abonde dans son sens et note que les contraintes légales sont vouées à devenir de plus en plus contraignantes et à se rapprocher des normes éthiques (les ERB/Ethical Review Boards) en vigueur dans les pays anglo-saxons. Au niveau éthique, l’anonymisation des enfants a été scrupuleusement appliquée dans ses enquêtes. Elle mentionne son expérience avec le projet ELFE pour lequel la CNIL a notamment exclu certaines questions au sujet de la politique ou de la religion qui ont été jugées trop sensibles.

Nonna Mayer (CEE) rappelle qu’Annick Percheron a eu beaucoup de mal à réaliser ses premières enquêtes auprès d’écoliers. Les questionnaires de ses enquêtes ont même été parfois brûlés dans la cour de récréation. L’expérience partagée par Julie Pagis semble indiquer que les temps ont changé. Nonna Mayer demande à l’intervenante d’indiquer le facteur qui lui semble le plus déterminant au niveau des réponses et des façons de répondre des enfants. Elle l’interroge également sur les retombées de l’enquête sur les enfants qui y ont participé et sur leurs enseignants. Enfin, elle souhaite savoir si Julie Pagis a pu réinterroger certains enfants et si les enseignants ont réutilisé les travaux de la sociologue en classe.

L’intervenante mentionne une enquête en cours qui porte notamment sur la perception des Gilets jaunes par les enfants. C’est dans ce cadre qu’elle a pu retourner dans l’école de Saint-Denis où elle a enquêté avec Lisa Mandel et ainsi revoir certains de ses enquêté.e.s qui étaient à l’époque en CE1 et qui sont à présent en CM1. 

Elle note que dans la littérature, on établit une corrélation positive entre l’intérêt pour la politique et la classe sociale. Or, concernant les Gilets jaunes, Julie Pagis observe l’inverse : plus les enfants sont d’origine sociale populaire, ou plus ils et elles se déclarent mauvais élèves et plus ils et elles s’identifient aux Gilets jaunes. Elle note également le rôle du genre puisque les jeunes garçons apprécient particulièrement les Gilets jaunes. Elle explique que les youtubers et les clips vidéos sont importants pour comprendre la socialisation politique des enfants, plus sensibles à ces vidéos dans lesquelles l’on s’exprime dans leur propre langage. Ainsi, dans l’école, les enfants chantaient régulièrement la chanson Gilets Jaunes de Kopp Johnson qui scande « Macron, démission »13. La même enquête dans le 16e arrondissement de Paris produirait sans doute des résultats différents. Julie Pagis indique que ses jeunes enquêté.e.s s’identifient à une forme de révolte qui fait écho à leur quotidien, notamment en ce qui concerne les revendications liées au pouvoir d’achat.

Julie Pagis identifie deux facteurs déterminants au niveau des réponses et des façons de répondre des enfants. Tout d’abord, le genre qui est central dans les amitiés et les inimitiés : les groupes d’amis sont ségrégués sur le plan du genre parmi les enfants de CP. Elle fait référence aux travaux d’Eleanor Maccoby et mentionne que les cultures de sexe différentes qui influent sur les réponses des enfants notamment dans le classement des métiers, beaucoup moins sur d’autres questions14. Le deuxième facteur est celui de la classe sociale. Julie Pagis indique qu’il est difficile d’isoler les effets de l’origine ethnique des enfants sur un terrain parisien car celle-ci recoupe les origines sociales.

Au sujet des effets de l’enquête sur les enfants et du rôle joué par les enseignants, elle rappelle qu’elle a dû consciemment se refuser à sympathiser avec les enseignants afin de ne pas être identifiée comme l’une d’entre eux par les enfants, ce qui aurait biaisé son terrain. Elle note toutefois que certains enseignants ont utilisé la BD en classe. Elle indique que les effets de l’enquête sur les enfants ne doivent pas être surestimés. Elle utilise toutefois un exemple pour présenter un effet possible. Elle avait habitude d’interroger les enfants sur le métier qu’exercent leurs parents, or certains n’en avaient aucune idée. Elle explique que cela est lié au type d’interactions langagières au sein du foyer. On sait que la socialisation langagière et la manière dont on s’adresse aux enfants dans les familles sont très liées à la classe sociale. Ces enfants interrogeaient donc parfois leurs parents sur leur métier afin d’en parler ensuite à Julie mais ça n’était pas systématique et cela ne modifiait pas pour autant les interactions langagières dans le foyer.

Florence Haegel (CEE) interroge Julie Pagis au sujet de la première enquête, menée dans deux écoles parisiennes d’un même quartier : elle veut savoir pourquoi les enquêteur.ices n’ont pas interrogé les enfants sur leur quartier ou sur l’autre école enquêtée.

Julie Pagis explique que même si les deux établissements étaient proches, les enfants ne connaissaient vraiment bien que leur propre école. Elle ajoute toutefois que les jeunes enquêté.e.s ont été amené.e.s à parler de leur quartier lorsqu’on les interrogeait sur le déroulement de leurs journées.

Jeanne Bouyat (CERI) souhaite en savoir plus sur les jeux de rôle mis en place en classe à Saint-Denis pendant la deuxième enquête et s’enquiert de la réaction des parents à ces improvisations. 

Julie Pagis indique qu’elle n’a pas eu de retour de parents au sujet de ces jeux. Elle explique avoir mis au point des affichettes résumant les programmes des candidat.e.s à la présidentielle de 2017 et organisé un tirage au sort. Les enfants semblaient souvent embarrassé.e.s de tomber sur Marine Le Pen, ou encore sur Mélenchon : leur réaction face au candidat ou à la candidate qu’ils avaient à interpréter constituait en soi un matériau intéressant. Un second tirage au sort permettait de désigner les deux enfants qui devaient dialoguer et imiter le débat de l’entre-deux-tours. Les enfants parvenaient parfois à rester dans le rôle attribué mais ils finissaient par en sortir lorsque les thèmes abordés étaient trop proches de leur quotidien. Ces jeux étaient suivis d’un débriefing collectif. Ces séances permettaient également d’observer les différences de compétences langagières entre les enfants : pour certains, le jeu semblait très facile tandis que d’autres avaient des difficultés à incarner leur personnage et se contentaient de lire son programme. 

Nonna Mayer (CEE) pose une dernière question sur la place de Marine Le Pen dans l’approche de la politique par les enfants, évoquant le rôle de repère politique négatif joué par Jean-Marie Le Pen dans les quartiers défavorisés. 

Julie Pagis explique que la perception du racisme et de son intensité constitue le premier degré de politisation observé lors de son enquête menée en 2017. Ainsi, les enfants identifient Marine Le Pen comme la « grande raciste » et placent les autres candidat.e.s sur une échelle par rapport à sa position : certains seraient « un peu racistes » et d’autres « moyen racistes ». Elle note notamment que les enfants ne se contentaient pas de répéter ce que leurs parents disaient car certaines mesures les touchaient personnellement. La candidate proposait par exemple d’ôter la nationalité française aux enfants nés en France de parents étrangers, une situation qui était celle de certains jeunes enquêté.e.s qui aveint donc des intérêts, au sens bourdieusien du terme, dans son programme. Lors des séances de dessin, les enfants dessinaient souvent Marine Le Pen, bien plus que les autres candidat.e.s. Pendant qu’ils et elles dessinaient, Julie Pagis les écoutait discuter entre eux et ainsi dévoiler certains pans de leurs imaginaires politiques. Elle précise qu’elle revient sur l’enquête de 2017 dans un article intitulé L’expérience sensible de la politique chez les enfants : Retour sur la Prézizidentielle de 201715.

  • 1. Compte rendu rédigé par Fatoumata Diallo, approuvé par les intervenantes.
  • 2. Wilfried Lignier et Julie Pagis, L’enfance de l’ordre. Comment les enfants perçoivent le monde social, Paris, Seuil, Liber, 2017.
  • 3. Julie Pagis et Lisa Mandel, Prézizidentielle, Paris, Casterman, 2017.
  • 4. Florence Haegel et Marie-Claire Lavabre, Destins ordinaires. Identité singulière et mémoire partagée, Paris, Presses de Sciences Po, 2010.
  • 5. Sophie Duchesne et Florence Haegel, L’entretien collectif, Paris, Nathan, 128 Sociologie Série l’enquête et ses méthodes, 2004.
  • 6. Voir Julie Pagis et Alice Simon, « Introduction: Du point de vue des enfants », in Bulletin of Sociological Methodology/Bulletin de méthodologie sociologique, n° 1, Vol. 146, 1er avril 2020, pp. 7-15.
  • 7. Fred Greenstein, Children and politics, Revised edition, New Haven-London, Yale University Press, « Yale studies in political science », 1969 ; Jack Dennis, David Easton, and Sylvia Easton, Children in the Political System, New York: McGraw-Hill, 1969.
  • 8. Voir Annick Percheron, Le vocabulaire politique des enfants : connaissance et formation d’opinion, Paris, CEVIPOF, 1969 ; Annick Percheron, Les 10-16 ans & la politique, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1978 ; Annick Percheron, La formation du civisme chez les enfants : rapport intermédiaire, Paris, CEVIPOF Association des conseils municipaux d’enfants, 1989.
  • 9. Pour un traitement plus approfondi de cette question, voir notamment Pagis Julie et Simon Alice, « Introduction : Du point de vue des enfants », in Bulletin of Sociological Methodology/Bulletin de méthodologie sociologique, n° 1, Vol. 146, 1er avril 2020, pp. 7-15.
  • 10. Vaillancourt P. M. (1973) Stability of Children’s Survey Responses. Public Opinion Quarterly, 37(3): pp. 373-387.
  • 11. Bernard Zarca, « Le sens social des enfants », Sociétés contemporaines, 36, 1999.
  • 12. Voir Étude longitudinale française depuis l’enfance, consultée le 9 octobre 2020.
  • 13. Voir Kopp Johnson, Kopp Johnson-Gilet jaune (clip officiel), s.l., s.n., 2018. ; D. Ace Officiel, D. Ace-Tensions sociales (Freestyle gilet jaune), s.l., s.n., 2018.
  • 14. Eleanor Maccoby, The Development of Sex Differences, London, Tavistock Publications, Stanford Studies in Psychology, 1967.
  • 15. Publié dans la revue La chair du politique. Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales, 2020, pp.94-105.
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