Social sciences and psychoanalysis

 
Scientific Coordination

François Bafoil and Paul Zawadzki

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Guerre, guerres civiles, et latences 

En décidant d’adopter pour thème du séminaire de cette année le phénomène de la guerre, nous poursuivons l’effort des années précédentes d’identifier les voies permettant de conjuguer les apports réciproques et croisés des approches politistes, socio-historiques et psychanalytiques.  Ce faisant, il ne s’agit ni d’analyser directement les configurations historiques guerrières, ni d’étudier les violences comme de simples effets de la pulsion de destruction considérée comme un invariant anthropologique mais bien davantage d’explorer ce que la prise en considération du champ des affects et des pulsions apporte à l’analyse des phénomènes de violence guerrière.  

L’interrogation porte ainsi sur les catégories en usage dans ces différentes disciplines : la répétition et la re-présentation, l’oubli et le refoulement, la négation ou le déni, la haine, l’amour et la barbarie, la jouissance et l’indifférence, l’imaginaire, le fantasme et la surréalité, la latence et la mémoire et de manière ultime, sur la pertinence de la catégorie de pulsion de mort. 

Si les sciences sociales – celles du moins qui restent soucieuses de prendre en compte la subjectivité des acteurs sociaux -  et la psychanalyse ont en partage l’analyse des phénomènes individuels pour fonder leurs interprétations, elles ne s’adossent pas aux mêmes épistémologies. On pense notamment aux partisans d’une connaissance singularisante, qui se méfient fréquemment de l’usage des concepts, là où la psychanalyse fait fond sur un corpus conceptuel élaboré de longue date.

D’où le défi et la difficulté qui restent inscrits au cœur de la démarche de ce séminaire : comment est-il possible d’articuler ces différents plans, en évitant autant leur juxtaposition que leur hybridation incontrôlée.

Aux historiens, on est ainsi en droit de demander si, et comment, dans leur analyse des violences guerrières, haineuses ou génocidaires, ils prennent appui sur les théories universalisantes du type de celle qui travaillent les concepts d’inconscient, de répétition, du refoulement, de latence dans l’histoire. Comment traitent-ils des délires meurtriers ? Plus largement, aux spécialistes des sciences sociales, l’on voudrait demander comment traitent-ils de la part « insue » de leur objet d’analyse ? En effet, fréquemment leurs analyses font intervenir des fonctions ou des processus agissants à l’insu des acteurs sociaux. Quel rapport, cet « insu » entretient-il à l’inconscient, étant entendu que l’inconscient dynamique ne se réduit pas au non conscient. 

Prolongeant cette réflexion on peut s’interroger sur la place à conférer aux dimensions émotionnelles et/ou pulsionnelles qui semblent consubstantielles aux phénomènes de la guerre et de la haine de l’autre. Au-delà de Pierre Bourdieu qui assigne au sociologue la tâche d’assurer « le retour contrôlé du refoulé », comment est intégrée la dimension psychique du refoulement dans les analyses du déclenchement de la brutalité guerrière ? Si les paradigmes tels celui de la « frustration agression » sont sollicités dans l’explication, quelle est la part des frustrations, du déplaisir et des tensions insatisfaites dans le déclenchement des violences ? En particulier, que vaut aux yeux des historiens et des sociologues, la thèse freudienne exposée dans Malaise dans la culture et reprise par Elias, selon laquelle la croissance du progrès de la civilisation se paie du sacrifice du plaisir individuel, le tout pour des gains très relatifs, et au risque de l’approfondissement des inégalités sociales et in fine, de l’explosion générale dans la révolution et dans la guerre ?

 Partant, on est en droit de demander aux psychanalystes, d’éclairer la place qu’ils confèrent à la singularité des configurations sociales dans la mise en intelligibilité proposée. Comment pensent-ils la dimension collective de la dynamique de destruction ? Qu’est-ce qu’ils considèrent comme originaire ? Quelle statut acquiert « l’autre » – la famille, la communauté, le social, le politique - dans les résistances que la pulsion rencontre et auquel elle s’affronte? Plus largement, quelle articulation proposent-ils entre leur théorie du psychisme et l’institutionnel, en particulier les formes inédites de celui-ci qu’ils s’agisse du totalitarisme ou de la démocratie ? 

Au-delà, comment les psychanalystes enracinent leur « mythologie » (celle des pulsions selon les mots de Freud) dans la singularité politique des expériences qu’ils abordent, et dans ce type de réflexion, à quelles conditions la notion de pulsion de mort pourrait être opératoire ?  Comment les psychanalystes appréhendent-ils la dimension de l’État saisi comme une autorité en surplomb des pulsions individuelles, parfois les attisant et parfois les réprimant, pour la production d’un ordre où la satisfaction collective peut n’avoir rien ou très peu à voir avec le plaisir individuel.

Traversant ces différentes questions se pose pour chaque discipline la question de la « fictionalisation », partant, celle du langage : en fictionnant l’autre en ennemi absolu, l’hostilité radicale passe souvent par sa « déréalisation » (négationniste ou « inventionniste »). Aussi imaginaires ou délirantes qu’elles soient, ces représentations produisent des effets réels.  Plus largement, la violence s’introduit souvent sur les décombres des représentations partagées du réel. Rappelons que pour Hannah Arendt, « le sujet idéal du règne totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction (i.e. la réalité de l’expérience) et la distinction entre le vrai et le faux (i ;e ; les normes de la pensée) n’existent plus. »

Lire la présentation du séminaire ICI

Photo : Lev Radin, Washington, DC-January 6, 2021: Rioters clash with police trying to enter Capitol building through the front doors, Shutterstock

Agenda

Cycle de séminaires 2024 -2025
CERI, 28 rue des Saints-Pères, Paris 7e
Salle Pierre Hassner (1er étage)
18h-20h  

Processus de violence et Pulsions de destruction. 
Guerres et guerres civiles

9 septembre 2024
Freud, Actuelles sur la guerre et la mort. Leçons pour aujourd’hui
François Bafoil

23 septembre 2024
L'historien, les sciences sociales et la violence religieuse contemporaine
Jean-Marie Le Gall, professeur d’histoire, Université Paris 1- Panthéon Sorbonne
Spécialiste du XVIe siècle, et du temps des guerres de religion, l'historien qui vit au temps des attentats, des pogroms et des fondamentalismes
contemporains ne peut qu'être traversé à la fois par une étrange familiarité avec ce qui se passe et par une étrange étrangeté par rapport
aux explications avancées par les sciences sociales actuelles pour comprendre les ressorts de cette violence.
La conférence fera d'abord l'inventaire des explications des sciences sociales devant cette violence et rappellera aussi ce qu'est
sociologiquement et philosophiquement le religieux, devenu incompréhensible pour nos sociétés exculturées de ce cadre. Puis, le propos décrira ce qu'a été l'anthropologie de la violence au XVIe siècle avant de se poser la question de ce qu'il est possible ou souhaitable de faire.

18 novembre 2024
La Cruauté.  Jouissance ou indifférence ?


Contrairement aux classiques qui l’associaient à l’exercice de la tyrannie, ou tout simplement à la personne du tyran, ce « souverain qui ne connaît de lois que son caprice » (Voltaire), les sciences sociales évitent la notion de cruauté. Est-ce parce qu'il est impossible de la construite en concept axiologiquement neutre?  Ou bien encore qu'elle semble dépourvue de raisons, comme le relève Hobbes, et qu’elle apparait comme un supplément gratuit à la violence  ? On se propose d’introduire un dilemme interprétatif : la cruauté gagne-t-elle à être pensée comme joie, jouissance de la souffrance infligée à autrui ? Ou bien plutôt comme indifférence, incommisération et froideur ?

Intervenant : Paul Zawadzki
Discutant : François Bafoil

9 décembre 2024
Christelle Taraud, Féminicides : la plus longue guerre de l'humanité

Féminicides, le mot résonne de manière tragique dans notre monde contemporain. Lorsque l’on évoque aujourd’hui la question des féminicides, on parle le plus souvent de l’exécution d’une femme par son (ex-)conjoint : nom après nom, date après date, cas après cas, nous connaissons bien cette litanie mortifère… Cependant, loin d’être associé à cette seule dimension conjugale, qui nourrit régulièrement les gros titres des médias en France et ailleurs, le crime de féminicide est lié à un continuum de violences faites aux femmes qui touche tous les domaines de la vie et les impacte souvent de la naissance – et parfois avant dans les cas de fœticides et d'infanticides féminins de masse – à la mort. L’objectif de cette conférence est précisément d’analyser et d’exemplifier ce continuum féminicidaire sur le temps long et à partir d’une perspective mondiale. Profondeur historique et densité géographique permettent dès lors d’acter l’urgence politique à agir contre ce qui a associé, depuis des temps très anciens comme nous le verrons, inégalités patriarcales systémiques et violences sexistes et sexuelles contre les femmes.
Discutant : Emmanuel Niddam

13 janvier 2025
Cédric Michon, professeur d’histoire moderne, Université de Rennes II
Dernier ouvrage : Henry VIII. La démesure du pouvoir, 2022, Perrin, Prix de la biographie historique de l'Académie française

Henri VIII. Du Prince idéal au prince paranoïaque

L’histoire d’Henri VIII (1491-1547) est celle de la transformation d’un prince idéal de la Renaissance en un tyran sanguinaire. Fidèle à l’héritage médiéval de l’Angleterre, mais audacieux dans son élan, il s’engage au cours de ses 38 ans de règne dans des territoires au sein desquels aucun de ses prédécesseurs n’a jamais osé s’aventurer. Par l’ampleur et la radicalité de son action, il laisse à la postérité une Angleterre très différente de celle dont il a hérité : prince schismatique, créateur d’une Église nationale, tyran gouvernant avec le Parlement, il est à sa manière le fondateur de l’Angleterre moderne, au-delà de l’image (juste au demeurant) du bourreau de ses épouses et de ses plus proches conseillers. Plus que ses contemporains François I er , Charles Quint ou Soliman le Magnifique, sa personnalité intrigue.

Elle peut se résumer par une incroyable immaturité psychologique, un narcissisme pathologique, un orgueil démesuré, une soif inextinguible d’être aimé et de convaincre et enfin, une paranoïa croissante à la fin de son règne qui conduit à l’assassinat de nombre de ses courtisans et à une ultime guerre contre la France qui ruine le royaume.

Discutants : François Bafoil /Paul Zawadzki

Mémoire et latence
Configurations nationales

3 février 2025
Laurence Kahn, psychanalyste, membre et ancienne présidente de l'Association psychanalytique de France
L’avenir d’un silence. Déréalisation, refoulement, amnésie des masses (PUF, 2024)

Comment comprendre le silence qui s’est abattu sur l’histoire allemande entre 1945 et 1985 ? Quelles formes prit-il ? Comment qualifier ce mécanisme qui s’apparentait à l’amnésie ? Clivage ? Refoulement ? S’agissait-il d’un oubli vital pour ce peuple qui, emporté par une utopie meurtrière, s’éveillait soudain dans le monde qu’il avait dévasté ? De la création d’une néo-réalité à la psychose collective, l’opération psychique est complexe, grâce à laquelle des individus rassemblés en masse tout à la fois accomplissent et déréalisent leurs exploits et leurs crimes. Par quel processus sortent-ils du mutisme ?

Freud a parfois dit sa réticence à transporter les concepts analytiques de la sphère individuelle à la sphère collective. Pourtant, des Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort jusqu’à L’Homme Moïse en passant par Le Malaise dans la culture et L’Avenir d’une illusion, il n’a cessé d’envisager le rôle des identifications collectives tout à la fois dans les fondements culturels et les capacités auto-destructrices des sociétés. Est-ce à cette charnière que s’exerça la puissance du pacte aryen, qui parvint à satisfaire le voeu d’une auto-conservation collective inaltérable en puisant sa force dans l’angoisse auto-conservatrice individuelle ? Le regard rétrospectif sur ce pan d’histoire permet peut-être d’élucider certains aspects d’une question fort actuelle.

Discutants : François Bafoil / Paul Zawadzki

10 février 2025
Benoît Pelopidas, Guerre atomique le déni

10 mars 2025
Paul-Laurent Assoun, Psychanalyse de la guerre intestine : en,jeux historiques et inconscient

7 avril 2025
Ariuel Colonomos, Force et retenuie

12 mai 2025
Paul Luciani, La crèche désire-t-elle des enfants morts ? Destins ordinaires de la haine et circulation de la violence en institution d'accueil du jeune enfant
Discutant : Gilbert Diatkine

2 juin 2025
Daniel Sabbagh, Les lynchages

Fin juin 2025
Annette Becker, Arménie, mémoire, déni, latence

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Works

I Un dialogue suspendu ?
Sujet de l'inconscient et envers du lien social : le moment freudien et son avenir
19/10/2021

Paul-Laurent Assoun, (Paris 7), philosophe et psychanalyste
Sujet de l'inconscient et envers du lien social : le moment freudien et son avenir

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II Relire Freud
Misère psychologique de la masse". Penser le phénomène de la masse aujourd'hui avec Freud

16/11/2021

François Bafoil (CNRS/CERI), "Misère psychologique de la masse". Penser le phénomène de la masse aujourd'hui avec Freud
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Questions sur l'Oedipe. La psychanalyse est-elle soluble dans l'anthropologie ?
14/12/2021
Andrzej Leder (IFfiS-PAN)
Questions sur le déni. En quoi le concept de perversion nous éclaire sur certains problèmes contemporains ?
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Paul Luciani (IDEMEC Aix-Marseille)
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Questions sur le déni. Questions sur l'Oedipe. de CERI SciencesPo CNRS sur Vimeo.

14 février 2022
Mémoire, répétition traumatisme
Annette Becker (Paris 10)
Françoise Davoine (EHESS)
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Images traumatiques, entre histoire et psychanalyse from CERI SciencesPo CNRS on Vimeo.


07 mars 2022
Erich Fromm, “Escape from freedom” (1941) - Lectures critiques et actualité du texte
Claudine Haroche (CNRS) et Paul Zawadzki (Paris 1/GSRL)
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14 mars 2022
Marcel Gauchet (EHESS), La psychanalyse et l'avènement de la démocratie : un itinéraire de recherche
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11 avril 2022
Hamit Bozarslan (EHESS) - Un spectre : Anti-démocratie, Nationalisme, et religions
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9 mai 2022
La religion au miroir de la psychanalyse. Denis Pelletier, Directeur d’études à l’EPHE, Psychanalyse et religion, le cas du Président Schreiber
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4 mars 2024
« Les pirates de métier ont la parole »

 

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