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20.04.2021
L'art de décrypter : Le Discours d'un Roi, l’élan oratoire d’un homme aux portes de son destin
La rhétorique repose sur des ressorts théoriques et méthodiques mais surtout l’éloquence révèle l’être intime de celui qui s’exprime… Voici toute la complexité à laquelle fait face un Duc bègue et introverti, contraint de devenir roi d’Angleterre. Le Discours d’un Roi relate l’émotion d’un rendez-vous : un homme convoqué par l’Histoire collective et la prise en main d’un destin personnel.
Ce qui vaut pour un roi bègue vaut-il pour tout dirigeant confronté à des enjeux majeurs ?
L’art oratoire est-il un incontournable ? Cela s’apprend-il ? Les réponses de Stephen Bensimon, normalien, philosophe et professeur affilié à Sciences Po Executive Education, tourné vers dirigeants et managers.
Prendre la mesure des enjeux
Prince et officier de marine, le duc d’York, deuxième fils du roi George V, s’épanouit dans l’ombre. L’abdication de son frère le contraint à devenir roi en pleine lumière. Et il devra prononcer, malgré lui, un discours historique, un discours d’anthologie pour mobiliser son pays à l’aube de la seconde guerre mondiale. Face à lui, un orateur démagogue qui galvanise les foules : Adolf Hitler.
Devant un tel enjeu, George V semble perdre ses moyens car “toute prise de parole réunit le sens de la responsabilité, la conscience du risque et le temps réel qui ne permet aucun recul” nous explique Stephen Bensimon.
Et le film le confirme : dans l’intimité, le futur roi n’a aucun problème de diction, preuve que ses difficultés à prendre la parole ne viennent pas d’un dysfonctionnement technique ou corporel. Pour Stephen Bensimon, “L’expression orale illustre une concordance entre soi-même et les autres : ce sont les hésitations mentales qui entraînent une incertitude dans l’élocution”. A l’image du nouveau Roi d’Angleterre, tout orateur est sûr de son discours, mais doute parfois de soi, de son autorité, de sa légitimité.
S’effacer devant la force du message
Confronté à un « grand oral », le secret de la réussite reste le même quel que soit l'enjeu – royal ou non : connaître la juste distance entre soi-même et les autres, apprendre à ne pas se regarder parler et surtout, surtout, s'enquérir de l’intérêt que l’autre va avoir à nous écouter. Pour Stephen Bensimon, la force d’un discours repose donc sur l’oubli de notre propre personne au profit de la puissance du message : “Dès lors que ce qui nous anime est plus fort que nous-mêmes, nous puisons en nous des ressources ignorées et des compétences sous-exploitées pour transmettre nos idées et nous occuper de l’approbation de notre interlocuteur”. L’orateur et son auditoire, ensemble, se retrouvent alors autour d’une cause, d’une vision, d’un projet partagé.
Peu importent notre passé, fonction ou milieu. Maîtriser un discours est à la portée de quiconque se sent investi d'une responsabilité et d'un message à diffuser. “Ces points sont essentiels pour faire adhérer au discours : sans engagement ni responsabilité, l’émotion ne passe pas”. Cependant si cette éloquence est théâtralisée, si l’orateur ne s’efface pas derrière ce qui l’anime, derrière son message, derrière le nom de sa société, l’alchimie de la persuasion et de l’adhésion ne sera pas au rendez-vous.
Convaincre ou persuader ?
Un discours est avant tout un dialogue, une diagonale invisible, une main tendue entre soi et son public. Comment, alors, remporter l’adhésion de son public ? Faut-il convaincre ou persuader ?
“Convaincre, c’est vaincre et donc adopter une position de domination alors que persuader, c’est d’abord considérer l’autre, ses préoccupations, comprendre son langage”. L’essayiste Joseph Joubert (XIXe siècle) le résume ainsi : “On peut convaincre les autres par ses propres raisons mais on ne les persuade que par les leurs”.
Une chose est sûre, l’orateur doit gagner la confiance de son auditoire afin qu’elle devienne une source de fiabilité : “Contrairement à la conviction qui est ponctuelle, on cherche à persuader dans la durée, puisqu’on s’adresse régulièrement aux acteurs de notre entreprise ou de notre organisation ”.
Pour eux, l’orateur a un devoir d’exemplarité : “car on ne croit plus jamais qui nous a une fois menti”.
Orienter les prises de conscience, conduire avec tact et délicatesse, prendre soin de la pensée de l’autre, telles sont les véritables missions de l’orateur, où communication s’apparente à communion avec son public, non à une bataille qu’il faut à tout prix gagner.
Sauf, peut-être, celle qu’on livre avec soi-même pour se délivrer de ses propres prisons, à l’image de George V.
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Crédit photo : Le discours d’un roi © Wild Bunch