Brunner, Aloïs
Né en 1912 dans une famille de petits paysans du Burgerland, dans le village de Rohrbrunn (alors Nadkut en terre hongroise), à 150 km au sud de Vienne, Aloïs Brunner, sujet de l’Empire austro-hongrois, a été profondément imprégné dans son enfance par une éducation catholique et antisémite. Apprenti à l’âge de 15 ans dans un grand magasin de Fürstenfeld en Autriche, il en est le chef décorateur quand, en 1931, il adhère au parti nazi et rejoint les SA l’année suivante.
Inscrit à une école de police privée de Graz, il devient membre en 1933 à la Légion autrichienne, une milice devenue le vivier des futurs responsables de la Shoah. Leur cohésion est forgée dans la lutte militante clandestine : Ernst Kaltenbrunner, futur successeur de Heydrich à la tête du RSHA, l’office central de sécurité du Reich, Odilo Globocnik, futur chef de la SS et de la police de Lublin, Franz Stangl, futur commandant de Treblinka, ou encore Adolf Eichmann et ses adjoints Franz Novak et Rolf Günther. Ces hommes, âgés pour la plupart d’une vingtaine d’années, constituent l’ossature de la Centrale pour l’émigration juive de Vienne, fondée en août 1938 par Adolf Eichmann. Confirmé à la tête des institutions juives de la capitale autrichienne, l’avocat juif Josef Löwenherz, premier secrétaire depuis 1937 du Israelitische Kultusgemeinde, est chargé de répercuter les ordres émanant de la Centrale SS : les prénoms obligatoires Israël ou Sarah ajoutés à l’état civil en août, l’interdiction du ski et du vélo en septembre, le marquage des papiers d’identité par la lettre J en octobre. Brunner, protégé d’Eichmann, entre dans les services de renseignement de la SS (SD) en 1939.
A partir du 21 décembre 1939, Eichmann dirige depuis Berlin la section IVB4 de la Gestapo, en charge des affaires juives. Brunner lui succède à la tête de la Centrale de Vienne qui sert de modèle pour le Reich. Dès octobre 1939, Brunner est le maître d’oeuvre d’un premier projet de déportation de masse, celui d’un millier de Juifs autrichiens en direction de Nisko près de Lublin. Il est promu Obersturmführer, lieutenant SS, l’année suivante. A Vienne, fidèle au modèle du Judenrat mis en place au sein des communautés juives locales de Pologne, il tente d’impliquer les victimes dans la mécanique du crime, en créant, sur le modèle des ghettos d’Europe centrale, une police juive ou Jupo. Elle est chargée d’aider à la constitution de 5 convois de déportés en direction de Lublin, de 15 février au 12 mars 1941. A partir d’août, Brunner interdit l’émigration des hommes juifs âgés de 18 à 45 ans et, du 15 octobre au 2 novembre, 5 nouveaux convois sont constitués en direction du ghetto de Lodz.
En janvier 1942, 15 jours après la conférence de Wannsee qui met en acte le processus d’extermination des Juifs d’Europe, Brunner est promu Hauptsturmführer, capitaine SS et, en juillet, inspecteur de la SIPO-SD. Du 9 avril au 14 juin 1942, 6 nouveaux convois de Juifs ont quitté l’Autriche pour Lublin. Fin novembre 1942, il rend Löwenherz responsable de l’exécution de l’ordre de confiscation aux Juifs des moyens de s’informer et de communiquer : radios, machines à écrire, appareils photo, caméras, etc. 5 000 Tziganes sont également déportés sur ordre de Brunner. En octobre 1942, il est appelé par Eichmann à Berlin. Selon la méthode expérimentée à Vienne, il convoque le rabbin Leo Beck et le président de la communauté de Berlin Moritz Henschel et, de nouveau assisté d’un service d’ordre juif, il organise en moins de deux mois le rassemblement et la déportation de plus de 20 000 des 54 000 Juifs de la capitale du Reich. Brunner, en même temps que Dieter Wisliceny, est ensuite nommé à Salonique où il arrive le 6 février 1943, accompagné des hommes de la Centrale de Vienne, Ernst Brückler, Herbert Gerbing, Anton Zitta, Gesar Takkash, Mathias Schefczig et Alfred Slawik. Zevi Koretz est à cette occasion libéré de sa prison de Vienne et réintégré dans ses fonctions de Grand Rabbin de Salonique.
Placé à la tête du Judenrat, il accepte de transmettre les ordres de Brunner aux Juifs de Salonique rassemblés en deux ghettos. Brunner ordonne la fabrication de 45 000 étoiles jaunes et la création d’une police juive de 250 hommes dirigée par Jacques Albala qui a auparavant habité Vienne. Des récépissés de titres de propriété en Ukraine, des reçus convertibles en zlotys sont remis aux déportés, dans le but d’endormir leur méfiance. De mars à mai 1943, 42 830 Juifs de Salonique sont ainsi déportées sur ordre de Brunner en direction des centres de mise à mort de Pologne. Le 9 mai 1943, il est nommé à Paris afin de relancer le processus de déportation des Juifs de France. Dépendant directement de Berlin, Brunner court-circuite l’autorité du Judenreferent SS Heinz Röthke, successeur de Dannecker depuis juillet 1942, dans la mise en oeuvre de la déportation des Juifs de France. Accompagné de son équipe mobile de SS autrichiens, Brunner paraît dans le camp de Drancy le 18 juin 1943 et y passe au crible en trois jours les deux tiers des 2 500 internés juifs dont la déportation est relancée dès le 23 juin.
Il prend en main la gestion du camp à partir du 2 juillet 1943, cantonne les gendarmes français à sa garde extérieure et en modernise le fonctionnement en tentant, en vain, d’impliquer l’UGIF dans son administration interne. A la suite de ses protestations, le vice-président de l’UGIF, André Baur, est arrêté. Un système de terreur s’abat sur les internés, soumis à des brimades et à une discipline stricte. Cependant, en contrepartie, la nourriture et les conditions d’hygiène s’améliorent, grâce aux colis collectifs de l’UGIF. Selon des techniques éprouvées à Vienne, à Berlin et à Salonique, Brunner crée enfin une police juive au sein même de la masse des internés dont il a réorganisé les hiérarchies. Il confisque leurs biens et délivre, avant la déportation, des reçus en zlotys. A partir de septembre 1943, à la suite de l’armistice signé entre l’Italie et les Alliés, Brunner se lance dans la traque des Juifs réfugiés à Nice et dans sa région : jusqu’au 14 décembre, 2 500 sont arrêtés, transférés à l’hôtel Excelsior près de la gare de Nice où ils subissent l’examen médical du docteur Abraham Drücker, médecin juif du camp de Drancy où ils sont ensuite transférés. En 1944, Brunner impulse les rafles en province et en région parisienne, rédigeant en avril 1944 une directive ordonnant l’arrestation de tous les Juifs de nationalité française avec leurs familles.
Cette mesure achève de démanteler l’appareil d’assistance de l’UGIF en province où les employés comme les assistés sont désormais la cible des actions conjointes des SS et de la Milice de Darnand. Seuls les conjoints de non Juifs sont, depuis 1943, provisoirement épargnés au profit de l’organisation Todt ou des camps parisiens de triage des biens juifs spoliés. Quand il évacue Drancy le 17 août 1944, accompagnant un dernier convoi de déportés dont font partie les enfants juifs raflés dans les maisons de l’UGIF, Brunner a fait déporter en un an 22 427 hommes, femmes et enfants, soit près du tiers des déportés juifs de France. Le mois suivant, fort de son expérience à Drancy, Brunner investit le camp d’internement de Sered en Slovaquie et, après avoir convoqué le rabbin Michael Weissmandel et Tibor Kovac, responsables des communautés juives de Bratislava, il organise, dans la nuit du 25 au 26 septembre 1944, la rafle de 1 800 Juifs de la capitale slovaque. Ils rejoignent les 5 000 internés de Sered, antichambre d’Auschwitz.
Plus de 13 500 Juifs sont déportés de Slovaquie sur ordre de Brunner qui, après avoir démantelé le camp de Sered en 1945, réussit à gagner Vienne puis, en avril, Prague où se trouve le QG d’Eichmann. Lors de l’entrée des troupes soviétiques, il possède de faux papiers au nom d’Aloïs Schmaldienst et réussit même à se soustraire aux partisans tchèques, avant d’être interné dans un camp américain près de Vienne. Libéré, il mène une existence paisible à Essen, bien que figurant sur la liste n°1 des criminels de guerre établie par le tribunal de Nuremberg. Menacé d’être découvert, il s’enfuit à l’étranger en 1954 et, par l’Egypte, parvient à gagner Damas en Syrie où il met ses compétences policières au service du parti Baas et de la famille El-Assad.