Les politiques publiques en Amérique latine

Politiques publiques

Écrit par Yves Surel   

La rubrique « Politiques publiques » de l'OPALC a pour objectif de fournir une base de données la plus complète possible sur les cadres et les formes de l'action publique, mais également de constituer un espace de débat académique et pratique sur les politiques publiques dans les pays latino-américains. Elle vise à permettre un double décloisonnement : en intégrant les pays latino-américains dans le corpus d'études de cas qui nourrissent les analyses monographiques et comparatives au sein de l'analyse des politiques publiques ; en contribuant à analyser ces systèmes politiques sous l'angle de l'Etat au concret, pour reprendre l'expression de Jean-Gustave Padioleau, complétant ainsi les travaux déjà existants sur les forces politiques ou les formes d'action collective. On y trouvera dès lors aussi bien des données statistiques et institutionnelles sur les politiques en Amérique Latine, que des essais publiés par les acteurs eux-mêmes ou par des spécialistes de sociologie de l'action publique.

Sur la base de ces objectifs généraux, cette rubrique s'attachera à soulever des questions aussi bien empiriques, que méthodologiques et théoriques. Pour ce qui concerne les premières, il est clair que l'action publique en Amérique Latine prend des formes et s'articule à des problèmes, qui sont spécifiques et appellent des descriptions et des analyses nouvelles. Par rapport aux pays occidentaux, ces sociétés sont en effet confrontées à des problèmes publics, dont le traitement paraît parfois sans commune mesure avec les politiques conduites dans d'autres pays. Ainsi, les questions de criminalité et de violence urbaine sont-elles d'une forme et d'une ampleur telles qu'elles ne peuvent être analysées sans être attentif aux structures sociales, aux conflits socio-politiques ou encore aux cadres institutionnels et culturels dans lesquelles elles se manifestent. De la même façon, les questions énergétiques et environnementales, si importantes dans des pays où les ressources naturelles constituent parfois un puissant vecteur de structuration de la société, comme de l'économie et de l'Etat, se posent sous un angle différent de la façon dont les politiques environnementales sont analysées en Occident. Les problématiques de gestion des ressources, de souveraineté nationale et de formation de l'Etat sont ainsi au cœur de plusieurs travaux récents ou en cours sur ces thématiques de l'action publique.

Au-delà même des problèmes posés, l'analyse de l'action des autorités investies de puissance gouvernementale dans ces pays nécessite de prendre en compte des dimensions particulières. La première d'entre elles est sans doute la tutelle toujours plus ou moins explicite et lointaine des Etats-Unis. Qu'elle soit directe ou qu'elle passe par des mécanismes politiques et institutionnels indirects, dont le meilleur exemple est sans doute le « consensus de Washington », cette influence des Etats-Unis conditionne bien souvent (positivement ou négativement) le timing comme le contenu des réformes de l'action publique entreprises récemment dans des pays comme la Bolivie, la Colombie ou le Mexique. Les jeux à niveaux multiples qui sont au cœur de la plupart des politiques publiques peuvent également conduire à identifier d'autres dynamiques et d'autres acteurs, en liaison notamment avec les mécanismes d'intégration régionale (Mercosur, Alena, Pacte Andin) ou avec les coalitions d'Etats qu'initient ou que rejoignent les pays latino-américains dans les négociations et/ou les organisations internationales. Le rôle du Brésil, de ce point de vue, au sein de l'OMC comme dans d'autres instances (Cf. les différentes conventions internationales en matière environnementale) illustre à quel point les préférences et les stratégies des Etats en Amérique Latine n'ont pas seulement des implications domestiques, mais peuvent également peser sur les politiques publiques à d'autres niveaux de gouvernement.

L'objectif de cette section « Politiques publiques » de l'OPALC n'est cependant encore une fois pas seulement de constituer une base de données ou une série de documents qui puissent permettre d'avoir une information plus complète, plus précise et plus fine sur les changements de l'action publique dans ces pays ou induits par les stratégies et les réformes choisies par ces mêmes Etats. Le second enjeu est méthodologique et vise à amender les débats ou méthodes parfois présents en science politique. De ce point de vue, l'une des problématiques principales a trait ici à la méthode comparative. Si la comparaison tend à devenir enfin un axe reconnu et considéré comme nécessaire de la recherche en science politique, son utilisation pose parfois des problèmes particulièrement sensibles lorsque l'on y inclut des systèmes politiques comme ceux d'Amérique Latine. Sur quelles bases et avec quels pays fonder la comparaison ? Quels critères de comparabilité adopter pour constituer les recherches ? Dans quelle mesure et jusqu'à quel point la comparaison est-elle possible avec d'autres pays situés dans d'autres aires géographiques ? Enfin, les typologies ou catégories descriptives tirées de grandes comparaisons internationales sont-elles utilisables comme référents et points de départ de la recherche ? Ainsi, pour donner un exemple, comment poser la pertinence et apprécier l'utilité relative de travaux tels que l'approche en termes de « variétés de capitalisme » (Hall, Soskice) ou de « mondes de l'Etat-Providence » (Esping-Andersen) ? Là aussi, des travaux sont en cours, notamment ceux de Schneider sur l'usage de la VOC, mais les problèmes posés, ainsi que les réponses parfois apportées, méritent un débat dans lequel les chercheurs français doivent s'insérer.

Parmi les autres problèmes de méthode, d'autres enjeux peuvent être identifiés. Il s'agit notamment de l'accès à certains terrains, à certains acteurs ou même à certaines données. Ce n'est pas tant ici les problèmes de distanciation et d'acculturation, qui peuvent être mentionnés, mais bien la possibilité de conduire des enquêtes et de constituer des indicateurs fiables. Sur ce dernier point, les institutions publiques peinent parfois à maîtriser l'information utile et à constituer des indices pertinents et efficaces pour l'action publique. Les sources archivistiques sont souvent parcellaires et difficiles d'accès. Enfin, la nature même de certains terrains, associés par exemple à la lutte contre la criminalité urbaine, aux processus de ségrégation sociale et/ou raciale ou au trafic de drogues, interdit parfois d'avoir un accès direct et satisfaisant aux acteurs pertinents et aux informations utiles. L'administration de la preuve et le simple accès à l'information sont dès lors bien souvent conditionnés par des facteurs politiques, sociaux et culturels qui pèsent négativement sur la description et sur l'analyse des politiques publiques en Amérique Latine.

De manière connexe, la dernière série d'objectifs que se sont fixés les animateurs de cette rubrique a trait à des questions théoriques. On en a déjà eu un aperçu avec les problèmes relatifs aux catégories de la comparaison, mais il est important de rappeler ici que l'ambition collective de cette rubrique est aussi de fournir des analyses de science politique relatives au fonctionnement de l'Etat et des mécanismes plus généraux de régulation sociale propres aux sociétés latino-américaines contemporaines. Là encore, des thèses communes aux travaux internationaux prennent une tonalité et une résonance particulières lorsqu'il s'agit de les tester et de les appliquer aux terrains latino-américains. Pour ne prendre que quelques exemples, on parle souvent d'évidement de l'Etat ou de dépolitisation de la décision pour qualifier les évolutions majeures de l'action publique. Mais la thèse de l'évidement de l'Etat ne peut être posée de manière préalable sans beaucoup de précautions et de précisions dans des pays, où l'Etat est bien souvent structurellement absent et/ou déficient, laissant aux acteurs privés des marges de jeu importantes dans la production de l'action publique, comme c'est le cas par exemple au Brésil en matière d'éducation. Par ailleurs, la thèse de la dépolitisation bute sur les dynamiques propres à certains pays, où les transitions démocratiques récentes et/ou des processus originaux de mobilisation et de politisation prennent forme. L'exemple des budgets participatifs, souvent valorisé, doit ici être doublement questionné : d'abord comme évidence empirique, pour voir sous quelles formes et à quelles conditions ces mécanismes originaux de détermination de l'action publique fonctionnent dans les pays latino-américains ; ensuite, comme vecteur de redéfinition des contours de l'espace public et des formes de régulation qui caractérisent les sociétés contemporaines. De ce point de vue, analyser les politiques publiques en Amérique latine, c'est aussi profiter de terrains originaux et passionnants pour interroger les transformations plus générales des logiques de gouvernement qui animent actuellement les travaux de science politique.

 

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