Aysen Uysal
Le travail de terrain sur la délation en Turquie à l’époque contemporaine permet d’appréhender la manière par laquelle le Parti de la justice et du développement (AKP) gouverne, et saisit les différentes formes de surveillance qu’il met en œuvre, l’éventail de son répertoire répressif et les stratégies et les ruses du pouvoir, ainsi que sa capacité à reproduire l’obéissance et à pénétrer dans la société. Cette recherche expose les multiples fonctions de la délation, comme technique politique et acte d’autodiscipline et de châtiment, et du Centre de communication de la présidence de la République (CIMER), l’appareil de contrôle qui centralise le système de délation. Cette enquête se concentre sur les délations recueillies par le CIMER, l’entité dédiée, et mobilise ses archives directement, par le biais de certaines institutions, et indirectement, grâce à trois sources écrites principales : les archives des dossiers de procès recueillies auprès de certains cabinets d’avocats ; les sources parlementaires, et plus particulièrement les questions écrites des députés ; et enfin la presse. Au-delà des sources écrites, des entretiens semi-directifs avec des victimes de la délation et des avocats ont été réalisés.
Christophe Jaffrelot et Nicolas Belorgey
L’inde a engagé en 2009 un programme d’identification biométrique de sa population. Il s’agissait à l’origine d’un projet né au sein des entreprises informatiques basées à Bangalore, et son principal architecte, Nandan Nilekani, était d’ailleurs le patron d’une de ces grandes firmes. Leur dessein était d’utiliser les techniques du numérique et les données qu’elles permettent de recueillir à des fins économiques. Mais pour enregistrer l’ensemble de la population indienne, il fallait convaincre l’Etat de s’investir dans l’opération. L’argument qui emporta l’adhésion du gouvernement fut financier : ce programme, nommé Aadhaar, permettrait de distribuer les fonds d’aide aux pauvres en minimisant les pertes liées notamment à la corruption et à l’existence de doublons parmi les bénéficiaires. Or être identifié par Aadhaar est devenu peu à peu nécessaire pour réaliser de multiples opérations de la vie courante, y compris pour payer ses impôts. Saisie, la Cour suprême a tardé à se prononcer et n’a pas cherché à protéger la vie privée des personnes d’une manière convaincante. Aadhaar n’a pas non plus préservé la qualité des services rendus aux pauvres – loin de là – et son impact économique est encore à prouver, même si les opérateurs qui croient que data is the new oil se situent dans une perspective de long terme.