Raphaël Pouyé
Le Kosovo et le Timor Oriental ont souvent été étudiés ensemble du fait de leur expérience commune des « nouveaux protectorats internationaux ». Ces deux territoires ont été en effet « libérés » en 1999 par des interventions multilatérales, puis placés sous administration provisoire des Nations Unies. C’est cette caractéristique commune qui a justifié jusqu’à présent la quasi-totalité des exercices comparatifs à leur sujet. Toutefois, un autre ensemble de ressemblances, d’un abord moins immédiat, mérite aussi d’être étudié : en témoigne tout d’abord, la continuité, post-libération, des institutions indigènes qui ont émergé pendant les vingt à vingt-cinq années de résistance. A partir de ce constat initial, des mois de recherche sur le terrain entre 2000 et 2003, m’ont permis de découvrir un éventail plus large de caractéristiques communes. Trois parallèles principaux se sont en effet dégagés. Sur ces deux territoires, les réseaux clandestins de résistance, qui seront appelés ici « crypto-Etats » ont : 1) en grande partie orienté leurs choix stratégiques concernant le recours à la violence en fonction de leur perception des exigences de l’opinion publique internationale, 2) tout en se maintenant comme alliance fragile entre groupes segmentaires « anti- Etatiques » et élites urbaines « modernes », 3) cette tension constructive ayant pour résultat de produire un discours duel sur la nationalité : exclusif et militant d’une part, inclusif et « libéral », d’autre part. La découverte de cet ensemble de similarités entre les deux cas étudiés réclamait par conséquent une étape de validation de sa pertinence pour la recherche en science sociale. Pour ce faire, il convenait de mettre cette configuration apparemment originale à l’épreuve des théories établies en matière de théorie de l’Etat et de la construction nationale : d’abord, en évaluant le caractère proprement « étatique » de ces administrations clandestines, puis en explorant leur production riche, et souvent contradictoire en matière d’identité nationale. Pour conclure, cette exploration préliminaire m’a semblé indiquer que les trajectoires parallèles durant le dernier quart de siècle pourraient fort bien être révélatrices d’un type nouveau de construction nationale dans un contexte de contrainte extérieure renforcée par l’évolution continue des normes d’intervention en matière d’intervention internationale dans l’après-Guerre Froide. Enfin, cette discussion suggère que ce type de construction « externalisée » de l’Etat et de la nation pourrait bien s’avérer inadapté à l’enracinement d’institutions stables dans un contexte post-conflictuel.