Corée : un dérapage est-il possible ?
« État de guerre » et « mer de feu » d’un côté, « riposte immédiate et violente » et « frappes préventives » de l’autre. La guerre des mots fait rage dans la péninsule coréenne, entre la fille d’un dictateur, démocratiquement élue présidente, et le rejeton d’une génération de tyrans sanglants. L’une est dans son fauteuil depuis six semaines, l’autre sur son trône de fer depuis à peine un an, et il n’en a pas 30, pour ce qu’on en sait. Deux novices : il faut quand même se méfier.
Si un dictateur basé à cinquante kilomètres de Paris, disposant d’un bon millier de missiles et d’une capacité nucléaire, menaçait de dévaster la capitale, le chaos régnerait. Séoul vit sa vie comme si de rien n’était. Au Japon, où Kim Jong-un a promis de frapper les bases militaires américaines, les médias traitent ses gesticulations par le mépris. L’Asie semble ne pas y croire. Pyongyang lui a fait le coup trop souvent. Mais cette fois, a-t-elle raison ?
Le scénario est bien connu : « Retenez- moi, hurle le Cher Leader, ou je fais un malheur ! » Pour retenir les Kim de jadis, on savait comment faire : les aider à nourrir leur population et se prêter au jeu de dupes des négociations où ils ont gagné le temps de mener à bien leur programme nucléaire. Pour le reste, on était raisonnablement assuré que les dirigeants nord-coréens étaient rationnels et leurs objectifs modestes. Il y a beau temps qu’ils ne rêvent plus de « communiser » la péninsule. Continuer de goûter les plaisirs du pouvoir, fut-ce sur un goulag affamé, est leur souci premier. Ne pas être fusillés comme Ceausescu ou pendus comme Saddam Hussein est le deuxième. La capacité nucléaire est leur assurance-vie.
Ce qui peut inquiéter dans l’épisode actuel, c’est la disproportion entre le niveau inédit des menaces proférées et cet objectif pragmatique. Menacer Hawaï ou la Californie, c’est contraindre l’Amérique à montrer ses muscles. Kim pourrait être forcé de suivre, pour ne pas perdre sa mise : l’image d’un vrai leader, que ce fils à papa éduqué en Suisse n’a peut-être pas encore auprès des rudes généraux de Pyongyang. Le très jeune Kim ne connaît peut-être pas assez le monde pour savoir jusqu’où il peut aller trop loin. De là peut naître le danger, d’autant plus que certains à Pyongyang peuvent avoir intérêt à le pousser à la provocation de trop. On ne peut exclure une réaction en chaîne incontrôlable, à moins que de puissants acteurs n’imposent la modération. Les Américains ont un assez bon contrôle de la chaîne de commandement sud-coréenne. Tous les regards se tournent donc vers la Chine, qui s’en passerait bien. Domestiquer la Corée du Nord accroîtrait son prestige international, mais il faudrait sans doute lui couper les vivres. Pour Pékin, le scénario idéal serait qu’une nouvelle équipe, prête à réformer le pays sur le modèle chinois, prenne le pouvoir à Pyongyang.
Le moins mauvais serait l’implosion du régime et la réunification de la péninsule par le Sud ; cela constituerait un revers politique et stratégique pour la Chine, mais le fait d’avoir crevé l’abcès lui profiterait en termes de crédibilité sur la scène mondiale. Le scénario du pire serait celui du syndrome de Bachar el-Assad : que le régime de Pyongyang, désespérant de survivre, choisisse de ne pas disparaître seul. Dans un pays qui a déjà procédé à trois essais nucléaires…