Lénine est-il « l’auteur et l’architecte » de l’Ukraine comme le dit Poutine ?
Le 21 février 2022, dans un discours qui légitimait une invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine a affirmé que les Ukrainiens au lieu de mettre à bas les statues de Lénine devraient lui rendre hommage car il était « l’auteur et l’architecte » de l’Ukraine1. En effet, Lénine aurait permis au sein de l’URSS la naissance de l’Ukraine moderne. Cette assertion est-elle bien fondée ? Une large partie des Ukrainiens sont-ils ingrats avec Lénine en abattant les statues qui le représentent ? Devraient–ils au contraire comme au temps de l’URSS, les honorer le 1er mai et les jours anniversaire de la révolution d’Octobre et du premier dictateur communiste ?
En fait, ils ne sont pas seulement ingrats mais vindicatifs et brutaux car tout de suite après le référendum favorable à l’indépendance de l’Ukraine en 1991, certains Ukrainiens ont commencé à dégrader et à mettre à bas les statues de Lénine. Les Ukrainiens pour qui les Russes sont des colonisateurs et ceux qui voient dans le communisme la cause de leurs malheurs, au premier chef, la « mort par famine », l’Holodomor de 1932-1933, peuvent en vouloir à Lénine2. Le mouvement iconoclaste s’est accéléré après la révolution de Maïdan qui a instauré un régime plus démocratique dans le pays. Ainsi, la statue monumentale de Lénine du centre de Kyiv (sculptée dans le même matériau que le tombeau de Lénine sur la Place rouge de Moscou) après avoir été vandalisée a été mise à bas en décembre 2013. Ces destructions sont connues comme leninopad (chute de Lénine) et les statues du leader bolchevik ont souvent été remplacées sur leur piédestal par des drapeaux ukrainiens et européens, considérés comme des formes d’autel de la patrie.
Puis, au printemps 2015, une série de lois drastiques votées par le parlement ukrainien prohibent les symboles du communisme et du nazisme, deux idéologies totalitaires3. A partir de ce moment, il faut plus d’un an pour modifier le nom de certaines villes, débaptiser les avenues au nom du chef bolchevik et détruire ses statues : au total, on estime que 4 500 d’entre elles sont démolies4. Par exemple, la tête monumentale de Lénine devant l’usine nucléaire Lénine de Tchernobyl est déplacée. La dernière mise à bas de statue se déroule en août 2016 dans la ville de Zaporijia, à proximité de laquelle se trouve une très grande centrale nucléaire aujourd’hui occupée par l’armée russe.
En revanche, les statues de Lénine n’ont été pas été détruites en Crimée, région annexée par la Russie depuis le printemps 2014, ni dans les zones séparatistes qui se sont autoproclamées Républiques de Louhansk et de Donetsk ; ces dernières zones de l’Ukraine sont semblables en ce qui concerne les monuments à l’espace social de la Fédération de Russie5.
Comme Poutine n’hésite pas à réviser le passé de la Russie, de l’URSS et du monde, on peut s’interroger sur la pertinence de ses affirmations sur Lénine et plus largement sur les positions du leader bolchevik quant à l’Ukraine. La politique de Lénine a varié en fonction de sa propre stratégie orientée par sa représentation de la conjoncture politique qui a toujours été définie par le primat accordé à la lutte des classes, aux rapports de force et au parti bolchevik.
La Révolution de 1905 marque une inflexion de la politique léniniste car elle a été entre autres caractérisée par une série de mouvements nationaux aussi bien à Bakou qu’en Ukraine. Ainsi, Lénine abandonne son refus argumenté d’avancer qu’il y aurait des intérêts particuliers des Juifs et il soutient qu’il existe une « nation » juive dans l’empire russe6 qui est « la plus opprimée et la plus traquée »7, ce qui fait écho aux pogroms. Le principe des nationalités lui apparaît comme un facteur utile pour la dislocation de l’empire russe, position qu’il conserve jusqu’en octobre 1917 et qui s’exprime dans la déclaration du 2 novembre 1917 sur l’autodétermination des peuples de Russie. Toutefois, cette reconnaissance a été lettre morte.
Et constamment Lénine attaque tous ceux - notamment le Bund (le parti socialiste juif) - qui risquent de se développer au détriment du parti bolchevik. En 1912, ce dernier sous l’impulsion de son leader rompt avec les autres mouvements marxistes révolutionnaires (dont les mencheviks et les partisans de Trotski) et il revendique le monopole de l’organisation révolutionnaire la plus résolue dans son combat contre la bourgeoise et le tsarisme. A ce moment, le parti n’est plus dans une situation de clandestinité comme au début des années 1900 et il peut utiliser la presse pour diffuser ses thèses et bénéficier d’une poignée de députés à la Douma. Lénine se bat cependant avec vigueur pour maintenir ses structures souterraines contre ceux qu’il appelle les « liquidateurs » (de l’appareil clandestin) et à qui il assimile les partis représentant des nationalités comme le Bund. C’est pour contrer celui-ci qu’en 1913, à la demande de Lénine, Staline rédige sa brochure Le marxisme et la question nationale dans laquelle l’Ukraine est tout juste mentionnée. Lénine inclut cette dernière dans plusieurs textes.
En juillet 1913, il consacre un bref article à critiquer l’article publié par un membre du parti cadet8 qu’il qualifie de « véritable incitation à la persécution des Ukrainiens »9. Il oppose deux lignes politiques. Les « marxistes » n’oublieront pas que le devoir des « démocrates » est de « lutter contre la persécution d’une nation » et « pour l’égalité en droit complète des nations sans restriction et de leur droit à la libre disposition » mais les révolutionnaires ne succomberont pourtant pas au « vertige » d’un « mot d’ordre » national qu’il soit « grand-Russe10, polonais, juif, ukrainien ou autre ». Autrement dit, les marxistes ne sont pas nationalistes bien qu’ils soutiennent la lutte des Polonais ou des Ukrainiens à constituer des nations indépendantes politiquement. Cette logique se comprend mieux si on se rappelle que Lénine considère que dans la « social-démocratie », il faut distinguer deux phases successives11. Tout d’abord la phase « démocrate » où il s’agit de conquérir tous les droits et toutes les libertés qui caractérisent les sociétés européennes, comme la IIIe République française. Une fois ces libertés acquises, il est possible de lutter pour le « socialisme ». Durant l’étape démocratique, il faut pourtant viser la phase ultime et ne pas s’aligner sur la bourgeoisie que seule l’indépendance nationale intéresse.
Lénine plaide pour une liberté totale des langues en Russie sur le modèle de la Suisse (pays où il a vécu) où les langues ne sont pas régies par une « loi policière barbare »12. Si aucune langue n’est imposée dans l’empire russe (qui inclut selon la reprise par Lénine du recensement de 1897, 17% d’Ukrainiens), tous les Slaves apprendront à se comprendre mutuellement. Pour Lénine, les nations dominantes par rapport aux nations dominées sont elles-mêmes marquées négativement par leur position : la domination est une position qui corrompt celui qui domine. Selon lui, l’exigence d’une « culture nationale » vient du « nationalisme libéral bourgeois … non seulement grand-russe, mais aussi polonais, juif, ukrainien, géorgien » alors que les « ouvriers conscients » (ce qui veut dire marxistes ou bolcheviks) sont en faveur de la « culture internationale du démocratisme et du mouvement ouvrier mondial ». Toutefois à la fin de l’article dont sont extraites les citations précédentes, Lénine affirme qu’une « unité complète et une fusion de toutes les nationalités » est nécessaire « dans les organisations ouvrières ». La « fusion » des nationalités est, selon lui, la direction même de l’histoire car elle est engendrée par le progrès technique, notamment le chemin de fer, ou par la formation de trust internationaux qui font tomber les « barrières nationales »13.
Dans chaque pays, il existe une coupure radicale qui partage la nation entre une culture du prolétariat et une culture bourgeoise. Nous avons d’un côté l’internationalisme et de l’autre le nationalisme. Ainsi un marxiste grand-russe ne peut se battre avec le mot d’ordre nationaliste de la culture nationale grand-russe ou de la « culture nationale juive » qui est le « mot d’ordre des rabbins et des bourgeois, le mot d’ordre de nos ennemis »14 Lénine oppose ces Juifs nationalistes et partisans d’une « autonomie de la culture nationale » aux Juifs qui se « fondent » dans des organisations internationales où ils fusionnent avec des « ouvriers russes, lituaniens, ukrainiens, etc. » en apportant leur contribution à une « culture internationale du mouvement ouvrier ». Ainsi, il s’en prend explicitement au Bund si bien qu’on peut considérer que les distinctions de Lénine visent à disqualifier celui-ci comme organisation autonome regroupant le prolétariat juif.
Il raisonne de la même façon avec les ouvriers ukrainiens car Lénine vise aussi, même si ceux-ci ne sont pas des concurrents sérieux pour les bolcheviks, les Ukrainiens qui se disent marxistes mais qui auraient une position nationaliste analogue à celle du Bund. Il faut pour les Russes lutter « avec énergie contre les humiliations dont sont victimes les Ukrainiens et revendiquer à leur profit une entière égalité de droits »15 mais ce serait une « trahison directe envers le socialisme » que d’affaiblir l’alliance entre le prolétariat russe et le prolétariat ukrainien. Le leader bolchevik s’en prend nommément et avec véhémence à un militant intellectuel, « un national-bourgeois » ukrainien16 qui « trahit sa patrie, l’Ukraine » car il sous-estime gravement la nécessité de la lutte des classes. Pour Lénine, la « force sociale capable » de briser la classe des propriétaires, c’est la classe ouvrière qui entraîne la paysannerie dans son sillage. Il affirme que si les prolétaires ukrainiens et russes doivent agir dans l’unité « l’Ukraine libre est possible : sans cette unité il ne saurait en être question17 ». Autrement dit, les ouvriers révolutionnaires marxistes d’Ukraine doivent adhérer au parti bolchevik comme les ouvriers juifs qui doivent renoncer au Bund : la « fusion » sociologique pousse à l’unicité du parti.
Pour fonder cette analyse politique, Lénine bâtit une brève sociologie de classes de la Russie et de l’Ukraine qui fonde sa condamnation du nationalisme bourgeois. Dans son tableau dynamique de l’évolution récente de ce qu’il appelle le « Sud, c’est-à-dire l’Ukraine », il observe que le développement économique de cette zone attire des centaines de milliers de travailleurs venus de la Russie : ouvriers et paysans sont aimantés par l’économie capitaliste, par les mines, par les villes. Il y a donc une « assimilation »18 du prolétariat russe et du prolétariat ukrainien, ce qui est un « progrès ». En effet, ce processus transforme les individus : le moujik grand-russe ou ukrainien « borné, routinier, sédentaire et scandaleusement inculte » devient un « prolétaire actif ». Les conditions de vie de ce prolétariat « brisent l’étroitesse spécifiquement nationale, qu’elle soit grand-russe ou ukrainienne ». Lénine ne considère cependant pas qu’il existe une spécificité culturelle des prolétaires en raison de leur nationalité car ils sont selon lui la classe de la rationalité industrielle universelle. Les prolétaires modernes sont au-delà des nations alors que les paysans décrits en termes péjoratifs sont enfermés dans leur étroitesse locale. Insistons sur la vision négative de la paysannerie de Lénine et dont on sait qu’elle aura des conséquences dramatiques quand les bolcheviks seront au pouvoir et pour les successeurs du leader bolchevik, dont Staline.
Lénine pense qu’une frontière séparera peut-être un jour la Grande-Russie et l’Ukraine mais « l’assimilation » des ouvriers des deux pays demeurera similaire à ce qu’est le brassage des nations en Amérique du Nord. Si la Grande-Russie et l’Ukraine se retrouvent libérées de l’autocratie, le développement du capitalisme attirera des ouvriers de toutes les nations, de tous les Etats19. Il y a donc une vertu dans l’essor du capitalisme qui fait sauter les barrières nationales que les révolutionnaires ne veulent pas maintenir contrairement aux nationaux-bourgeois.
Lénine procède à une distinction problématique. Il est favorable au droit des nations à disposer d’elles-mêmes et à créer de nouveaux Etats mais il exige que le parti révolutionnaire soit commandé par une « volonté unique » et par conséquent, il refuse que des groupes nationaux – notamment le Bund – revendiquent toute autonomie organisationnelle20. Lénine conteste la légitimité du Bund : il voudrait que les Juifs adhèrent au parti bolchevik et respectent la discipline de fer qu’il impose. Il est enfermé dans un dilemme stratégique : il souhaite que l’empire russe se disloque pour le voir affaibli et il exige que les révolutionnaires issus de toutes les nationalités de l’empire russe se regroupent au sein d’un parti unique centralisé comme une armée. Notons que Lénine n’attaque pas nommément une organisation des ouvriers ukrainiens (similaire au Bund) mais il parle seulement d’individus qu’il qualifie de « bourgeois myopes, étroits, bornés »21, ce qui révèle la faiblesse du bolchévisme en Ukraine. Nous allons voir comment le leader bolchevik agit pour lutter contre cette faiblesse.
En avril 1914, Lénine se métamorphose en Ukrainien ! Il écrit à la première personne du singulier le discours d’un ukrainien député bolchevik de la IVe Douma. Les propos rédigés par Lénine devaient être prononcés devant cette assemblée par Gregori I. Petrovsky, élu de la circonscription ukrainienne d’Ekaterinoslav (aujourd’hui Dnipro22). Lénine l’incarne par la plume et il écrit : « J’ai été élu ». Il rappelle que dans la région où Lénine-Petrovsky a été élu député les Ukrainiens sont une immense majorité. Le dirigeant bolchevik développe avec ironie l’interdiction par le pouvoir impérial des cérémonies rendant hommage au poète Chevtchenko : cette décision a été une mesure « excellente » et « magnifique » avec des résultats positifs sur la mobilisation nationale des Ukrainiens que n’auraient pas su obtenir les « agitateurs sociaux-démocrates » ! A la fin de cette tirade, Lénine utilise une formule qui deviendra célèbre : la Russie est une « prison des peuples »23. Le bolchevik auquel Lénine prête sa plume fera une carrière d’excellence dans le parti et il a occupé une responsabilité majeure à la Tcheka et lors de la Terreur rouge, politique répressive d'arrestations et d'exécutions de masse appliquée par la Tcheka et l'Armée rouge durant la guerre civile russe (1917-1923). Il a toujours combattu les nationalistes ukrainiens et il a présidé le gouvernement local (Comité exécutif central) de l’Ukraine de 1919 à I938. Il a donc été un des agents de l’Holodomor.
Si Lénine multiplie les textes de quelques pages dans les années 1913-1914, il publie en juin 1914 un long article intitulé Droit des nations à disposer d’elles-mêmes24 dans une revue dans lequel il écrit que la liberté de divorcer ne signifie pas l’obligation de divorcer mais elle est digne d’une « société civilisée »25. Il évoque à plusieurs reprises les nationaux libéraux polonais ou ukrainiens qui ne sont pas en première ligne pour lutter contre les droits des « nations opprimées » à devenir indépendantes tout en mettant en garde le prolétariat contre le « nationalisme »26. Il affirme que les liens qui unissaient la Norvège à la Suède, deux pays qui viennent de se séparer (1905), n’étaient pas plus étroits que les liens entre les Grands-Russes et les autres nations slaves. Il reproche beaucoup à Rosa Luxembourg son refus de reconnaître le droit de la Pologne de se séparer de la Russie[28]. Il a la même attitude critique pour un Ukrainien qu’il appelle « un national-libéral » qui n’est pas favorable à la perte de l’intégrité de l’Etat russe par l’indépendance d’un Etat ukrainien car Lénine, en 1913-1914, est un fervent partisan de la création d’un Etat ukrainien et d’un Etat polonais, qu’il maltraitera une fois au pouvoir avec son parti27.
Nous sommes cependant à l’été 1914 et le leader bolchevik se centre sur la guerre qui surgit plus que sur la question nationale. Toutefois, la question nationale s’impose de nouveau comme un problème essentiel en 1917 pour celui qui propose une voie spécifique pour la révolution qui se déroule dans son pays et pour le premier dictateur de la Russie soviétique qui élabore avec les autres dirigeants bolcheviks, notamment Staline, la construction de l’URSS28. Nous verrons que Lénine n’est pas du tout favorable à la nation ukrainienne contrairement à ce que prétend Poutine. A la fin de la période qui s’ouvre avec la révolution russe de février et qui se termine avec la fondation de l’URSS, les bolcheviks auront annexé les Etats du Sud du Caucase et la Sibérie en s’appuyant sur le parti et sur l’Armée rouge l’Ukraine.
La critique virulente contre le gouvernement provisoire formé par des socialistes-révolutionnaire, des mencheviks et des cadets (pendant un temps) instauré après la Révolution de février constitue la première étape de la stratégie de Lénine pour que les bolcheviks s’emparent du pouvoir. Renverser le gouvernement provisoire est dans la logique qui est la sienne depuis qu’il a formulé sa conception de la révolution russe : ne pas se satisfaire d’une révolution démocratique mais pousser jusqu’à une révolution socialiste. Ainsi, Lénine veut que les soviets où les bolcheviks se feront une place hégémonique prennent le pouvoir en instaurant la dictature du prolétariat qui sera assurée par les bolcheviks et leur parti. Il dénonce le gouvernement provisoire qui ne prend pas de mesures radicales comme la fin de la guerre et l’accuse d’être à la tête d’un « pseudo-république profondément impérialiste »29.
Il souligne que le gouvernement provisoire, favorable à une paix sans annexions, refuse de mettre un terme aux « annexions russes ». Lénine ne craint pas la « séparation » de l’Ukraine et de la Finlande. Il déclare concernant le premier pays :
« Cette politique insulte aux droits d’un peuple que les tsars ont martyrisé parce que leurs fils voulaient parler leur langue maternelle. C’est craindre la naissance de républiques séparées »30.
Fin juin, il porte un jugement positif sur un Acte universel (un intitulé qui vient des proclamations des hetman31 du XVIIIe siècle) promulgué par la Rada centrale ukrainienne. Celle-ci est composée, ce qu’il n’indique pas, d’élites notamment intellectuelles qu’il rangerait dans la bourgeoisie qu’il vitupère habituellement. Cet acte demande que les lois visant l’Ukraine soient promulguées par la Rada et que les lois régissant l’ensemble de l’Etat russe soient l’œuvre d’un parlement de toute la Russie. Selon Lénine, ce texte est une demande « d’autonomie » qui accepte une « autorité » supérieure, celle d’un parlement. C’est un contraste avec le « tsarisme maudit » qui faisait des Grands-Russes les « bourreaux » des Ukrainiens au moins sur le plan linguistique, ce qui a engendré un retour de la « haine ». Il s’agit donc de viser une « union », dans laquelle l’ouvrier russe accepte une « séparation » des Ukrainiens qui seraient traités comme des « alliés » ou des « frères dans la lutte pour le socialisme ». Ainsi s’ouvrirait la possibilité d’une « libre union » des Grands-Russes et des Ukrainiens au lieu de rendre étrangers des « peuples qui sont proches par leur langue, leur territoire, leur caractère et leur histoire ».
Quelques jours plus tard, dans un nouvel article au vitriol, il demande au gouvernement provisoire d’accéder à la demande de la Rada ukrainienne et de reconnaître l’entière liberté de l’Ukraine de se séparer de la Russie. Il annonce : « Vous ne retiendrez pas les Ukrainiens par la force, vous ne ferez que les exaspérer », tandis qu’en acceptant leurs demandes, la voie de la confiance pourra s’ouvrir entre « les deux nations et leur union fraternelle »32. Il dénonce les « traîtres « et les « renégats » qui s’en tiennent à une attitude réactionnaire sur l’autonomie de l’Ukraine et qui « vocifèrent » contre l’« anarchie » autrement dit contre le « léninisme dans la question nationale »33. De cette accusation, Lénine ne se plaint pas car il profite de l’aura négative qu’il est en train d’acquérir dans les partis bourgeois et il capitalise des soutiens dans les soviets. A l’opposé de ce qu’il appelle la « contre-révolution », il affirme que céder aux Ukrainiens permettrait de construire « entre les deux nations, une alliance fraternelle ».
Cependant, l’attitude de Lénine à l’égard de l’Ukraine qui aurait pu conforter la pertinence de propos de Vladimir Poutine sur Lénine comme « architecte » de l’Ukraine ne s’arrête pas là. La charge rhétorique et tactique de Lénine est essentiellement dirigée contre le gouvernement provisoire et elle s’inverse radicalement après le coup d’Etat d’Octobre lorsqu’il prend le pouvoir au point que le leader bolchevik oublie son engagement passé en faveur de l’indépendance de l’Ukraine. Au passage, notons que peu après les diatribes de Lénine, un nouvel Acte universel est voté par la Rada qui est une reconnaissance réciproque de la Rada et du gouvernement provisoire. Lénine ne signale toutefois pas ce nouvel Acte universel comme un signe positif que le gouvernement provisoire s’éloignerait ainsi d’une politique réactionnaire car il est bien déterminé à l’abattre, ce qui sera fait par le coup d’Etat du 25 octobre 1917.
Lénine était à la tête du Parti-Etat, il cumulait la direction du gouvernement (composé uniquement de bolcheviks appelés « commissaires du peuple » et non « ministres ») et celle du parti qui était dirigé par une poignée d’oligarques.
Dès le 2 novembre est proclamée une déclaration sur les droits des peuples de Russie signée par Vladimir-Lénine (Oulianov) et Joseph Djougachvili-Staline, commissaire du peuple aux nationalités, deux patronymes, l’un russe et l’autre géorgien, ce qui était conforme au contenu du décret en faveur des nationalités34. Ce texte critiquait vivement le tsarisme (« massacres et pogroms ») mais aussi le gouvernement provisoire (« déclarations verbales sur la "liberté" et "l'égalité" des peuples »). Il proclamait plusieurs points favorables à l’affirmation libre des nations et tout d’abord, l’égalité et la souveraineté des peuples de Russie. Il affirmait ensuite le droit des peuples de Russie à la libre autodétermination et enfin le libre développement des minorités nationales et des groupes ethnographiques vivant sur le territoire de la Russie. Ce texte appelait également à l’« union » des ouvriers et paysans de Russie en une seule « force révolutionnaire » « capable de résister à toute attaque extérieure de la bourgeoisie impérialiste-annexionniste ». L’autodétermination allait dans un sens centrifuge et l’union appelait à la cohésion. L’exigence de l’union génératrice de force l’a emporté et est devenue un trait constitutif du léninisme. Le triomphe de la « volonté unique » s’appliquait à l’Ukraine, unie avec la Russie mais aussi à d’autres territoires, souvent par la coercition.
Fin novembre 1917, dans la continuité de ce qu’il avançait avant la prise du pouvoir par les bolcheviks, Lénine affirme qu’il ne craint pas que la Russie soit « morcelée » et il considère que les problèmes de frontières sont un « terrain immonde » investie par la bourgeoisie : l’important est de « préserver l’union des travailleurs de toutes les nations pour lutter contre la bourgeoisie de quelque nation qu’elle soit »35. Il se réfère à la Finlande et à l’Ukraine et il ajoute que les travailleurs russes pourraient s’allier au prolétariat finlandais si le gouvernement de la Finlande réprimait ses ouvriers avec l’aide des Allemands. De même, Lénine déclare être partisan de « la liberté totale, illimitée » pour le peuple ukrainien, y compris de leur liberté de se séparer de la Russie36.
Cependant, peu de temps après, il lance « un ultimatum à la Rada d’Ukraine »37. Lénine soutient, en accord avec ce qu’il disait auparavant et avec la proclamation cosignée par Staline, qu’il reconnaît le droit de toutes nations opprimées par le tsarisme à disposer d’elles-mêmes. Au nom du gouvernement russe (le Conseil des Commissaires du peuple), il reconnaît le droit de l’Ukraine à se séparer de la Russie mais il accuse la Rada de mener un « double jeu » lui reprochant de ne pas avoir convoqué un congrès des soviets ukrainiens, si bien qu’elle ne peut pas être considérée comme « le représentant » des « masses laborieuses et exploitées ». Pour Lénine, l’Ukraine laisse le front contre l’Allemagne se désagréger et elle a désarmé les soviets et surtout la Rada aiderait Alexeï Kalédine (un ataman des cosaques du Don qui s’est allié avec le général putschiste Kornilov pour former une armée qui se bat contre les bolcheviks). Tout ceci constitue de la part de la Rada une « trahison inouïe de la révolution », ce qui justifierait une guerre. Si la Rada n’obéit pas aux exigences du nouveau pouvoir bolchevik, elle sera considérée comme ennemie. Lénine pose ses conditions à la Rada et notamment que la Rada s’engage à ne pas désarmer les régiments de soviets et les Gardes rouges (milices ouvrières) et à leur restituer leurs armes. Si dans les 48 heures la Rada n’a pas cédé, le gouvernement russe considérera la Rada d’Ukraine en « état de guerre déclarée contre le pouvoir des soviets en Russie et en Ukraine »38.
Quinze jours plus tard, le Conseil des commissaires du peuple fait sous la forme d’une résolution (écrite par Lénine) le bilan des négociations avec la Rada39. Le gouvernement affirme « l’indépendance de la République populaire d’Ukraine » alors que la Rada déclare que Kalédine et ses « complices » sont des « contre-révolutionnaires ». La résolution suggère plusieurs lieux possibles pour conduire des pourparlers de paix. Ceux-ci sont lourds de menaces car Lénine affirme que les soviets des paysans pauvres, des ouvriers et des soldats d’Ukraine peuvent seuls créer un « pouvoir sous lequel les conflits entre peuples frères sont impossibles ». Ce qui signifie qu’il ne peut y avoir d’accord avec la Rada. Cette affirmation se vérifiera un peu plus tard.
En effet, le 30 décembre 1917, une résolution du gouvernement (toujours rédigée par son chef, Lénine) conteste la validité de la réponse de la Rada et affirme de façon redondante la dangerosité contre-révolutionnaire de Kalédine40. Elle soutient que « le mouvement révolutionnaire des classes laborieuses » veut que tout le pouvoir revienne aux soviets, ce qui permettrait une victoire sur la « bourgeoisie ukrainienne ». Ainsi, la Rada porte la responsabilité de prolonger la guerre civile. Lénine termine en répétant que l’indépendance de l’Ukraine est reconnue par le gouvernement soviétique. Les impératifs politiques de former en Ukraine un pouvoir communiste, sous la guise des soviets, vont toutefois bientôt l’emporter. En effet après trois semaines, Lénine écrit le compte rendu d’une communication qu’il a eue avec les communistes qui participent aux pourparlers de Brest-Litovsk et il annonce à cette délégation :
« La Rada de Kiev est tombée. Tout le pouvoir en Ukraine est aux mains du soviet »41.
Il indique qu’un bolchevik a été nommé commandant en chef des troupes de la République d’Ukraine42. Ainsi, les bolcheviks ont conquis le pouvoir en Ukraine, en agitant la menace d’une guerre lancée par les communistes russes. Dans la logique politique de Lénine, si le régime en Ukraine dont la forme étatique repose sur les soviets relève du bolchevisme, il est en union avec la Russie soviétique. Si l’on devait conduire une guerre, celle-ci ne serait pas menée contre les Ukrainiens mais contre la bourgeoisie. L’Ukraine n’a pas besoin de son indépendance car elle et la Russie sont des pays possédant le même régime prolétarien et commandés par le même parti bolkchevik à travers les soviets.
Un Etat ukrainien émerge brièvement du traité de Brest-Litovsk (mars 1918). Dans les mois suivants, l’Ukraine plonge dans la guerre civile qui durera jusqu’à l’été 1920, qui comprend de nombreuses spécificités par rapport à d’autres régions de la Russie soviétique et dans laquelle on observe une grande brutalité de la part des bolcheviks - ce qui s’oppose à la narration de Poutine selon laquelle les Ukrainiens devraient honorer Lénine43. Ainsi, Kiev fut prise et reprise seize fois. Des nombreux massacres de Juifs ont été enregistrés et des paysans ont formé des armées en guerre contre les Blancs (tsaristes) et les Rouges (communistes), ce qui donnera un temps une notoriété et des avantages politiques et militaires à Nestor Makhno, figure centrale du mouvement anarchiste paysan. Pour le chef bolchevik, ce dernier était à la tête de « poignées de bandits » à « écraser »44. Il réitère cette exigence de répression en mars 1921 auprès de Trotski : Lénine se plaint que Makhno serait responsable de la désorganisation de l’approvisionnement du Donbass et de l’Armée rouge et il prône la « complète destruction » de Makhno45.Ainsi, il intervient, comme il le fait dans d’autres régions, dans les opérations de la guerre civile en Ukraine et souvent pour exiger encore plus de fermeté de ses subordonnés. Par exemple, en mai 1919 face à une révolte paysanne antisoviétique dans la région de Kherson en Ukraine du Sud que dirigeait Nikifor Grigoriev, le dictateur communiste demande qu’on « désarme » complétement la population (on peut supposer que la paysannerie possédait des armes de chasse) et son mot d’ordre est : « abattez impitoyablement sur place tous ceux qui auront caché un fusil ». Il demande de « mobiliser » tous les ouvriers dans une guerre de classe entre prolétaires encadrés par les bolcheviks et paysans46.
Finalement, l’Ukraine sera incorporée de fait à la Russie soviétique, puis juridiquement à l’URSS. Lénine intervient à plusieurs reprises directement en tant que chef du Parti-Etat. Par exemple, au début de 1919, il fait d’un bolchevik né en Bulgarie et d’origine roumaine Christian Rakovski le chef du gouvernement local (Conseil des commissaires du peuple d’Ukraine). Derrière cet intitulé, on trouve le parti bolchevik, parti unique et dictatorial, dirigé par le Bureau politique du Parti communiste de Russie et par son chef. Cette hégémonie est démontrée par la façon dont l’Ukraine est traitée comme un réservoir de céréales pendant la famine de 1921-1922 qui, selon moi, préfigure l’Holodomor47.
On a vu plus haut en quels termes dépréciatifs Lénine parlait des paysans ukrainiens. Il considère que par son être de classe et ses pratiques, la paysannerie est gravement arriérée, qu’elle est dangereuse et qu’elle devra disparaître tandis que la classe ouvrière, éduquée par la rationalité technique, classe du progrès industriel et technique, porte l’avenir. Une constante de la politique de Lénine est d’essayer d’effectuer des transferts économiques de la paysannerie vers la classe ouvrière des usines et des villes. Aussi, quand il faut lutter contre la famine qui frappe durement la Russie soviétique en 1921-1922, il réduit l’Ukraine à un grenier à céréales et à un réservoir de charbon et de sel (les mines sont situées essentiellement dans le Donbass). Cette vision a des effets dévastateurs surtout sur un pays ravagé par la guerre civile et pillé par les Autrichiens et les Allemands. Lors des pénuries du tout début de 1918, Lénine envoie un télégramme à un haut responsable bolchevik (Grigory Ordjonikidzé) en poste à Kharkov48 pour obtenir du ravitaillement et pouvoir stocker du blé de façon à ne pas en manquer pendant la mauvaise saison : « Tout notre espoir est en vous, autrement la famine est inévitable au printemps »49. La famine est une crainte permanente pour les révolutionnaires russes. Importante en 1920, la famine est une catastrophe majeure en 1921-1922. Elle est provoquée par les réquisitions excessives et confiscatoires dont l’effet est accentué par la sécheresse qui sévit au sud de l’Ukraine, dans la région de la Volga et dans le nord du Caucase.
Rakovski, premier responsable du Parti-Etat russe en Ukraine, informe début 1921 le dirigeant bolchevik qu’il existe des stocks de vivres en Ukraine. Rakovski propose de les échanger contre des machines agricoles de pays étrangers, ce qui augmenterait la productivité de l’agriculture ukrainienne mais Lénine estime que face à la « situation alimentaire grave à l’extrême des régions centrales », il faut envoyer les trois quarts des ces vivres à Moscou et n’en laisser qu’un quart aux « villes et aux ouvriers » d’Ukraine. Il propose de « dédommager les paysans » avec des produits venus de l’étranger qui seraient acquis contre de l’or ou du pétrole. Lénine est donc disposé à faire une « concession » à la paysannerie mais sans oublier que la « crise du ravitaillement » est très dangereuse50. Il fait peser sur l’Ukraine des mesures contraignantes pour obtenir du blé afin de nourrir ce qu’il appelle le « centre », à savoir Moscou et Saint-Pétersbourg.
Il insiste pour obtenir des marchandises utiles au « centre ». Il n’y a plus d’échanges monétaires, tout repose sur le troc, celui-ci étant souvent imposé par la force. Ainsi, Lénine exige que les forces armées communistes s’emparent du sel ukrainien, une denrée qui manque partout en Russie soviétique et dans l’ouest de l’Ukraine. Il imagine que les paysans devront échanger du blé pour obtenir du sel. Il donne peu de chiffres mais cependant il fixe les quantités de blé qui doivent être acheminées de l’Ukraine vers la Russie.
En mai 1921, il expédie des instructions à Mikhaïl Frounze (un militant qui a adhéré au parti en 1904) et qui dirige maintenant l’Armée rouge en Ukraine. Il affirme que d’après Boukharine, la récolte sera « magnifique dans le sud » (à savoir en Ukraine). Lénine écrit :
« La question majeure de tout le pouvoir soviétique, question de vie ou de mort pour nous, est de parvenir à récolter en Ukraine 200-300 millions de pouds. La clé de ce problème est le sel. Tout confisquer, entourer d’un triple cordon de troupes tous les centres d’extraction, ne pas laisser filer une livre, empêcher tout vol. C’est une question de vie et de mort. Mettez tout le monde sur pied de guerre. Nommez des responsables pour chaque opération. M’en communiquer une liste (le tout pour la Direction du sel). »51
Quelques jours plus tard, Lénine insiste pour que de la toile à sac soit envoyée en Ukraine pour que le troc du grain se fasse, il implique la Tcheka dans l’opération52. Ainsi, Lénine ne donne pas seulement des consignes générales mais il gère de très près l’opération de prélèvement.
Début juillet 1921, il rédige, en pleine session du Congrès de la IIIe Internationale communiste, des notes pour une réunion du Bureau politique afin d’organiser un nouveau plan pour profiter des richesses supposées de l’Ukraine. Lénine, comme souvent, appelle à une meilleure organisation et il exige des « mesures résolument révolutionnaires ». Il s’appuie sur des données de Rakosky selon lesquelles il existerait un surplus de 150 millions de pouds de blé (soit 24 550 000 de quintaux), après l’ensemencement et l’alimentation du bétail et des personnes. Lénine affirme que cette quantité représente ce qui « nous reste », le « nous » représentant le pouvoir bolchevik russe. Outre un transfert de ce blé vers la Russie, il imagine mobiliser 500 000, voire un million de jeunes hommes dans la zone frappée par les mauvaises récoltes et la famine (zone qui comprend, dit Lénine, 25 millions d’habitants). Cette armée aurait un double effet bénéfique : elle apporterait aux régions sinistrées une amélioration en lui ôtant le nombre de bouches à nourrir, en outre, les « fusils » qui arriveraient en Ukraine permettraient d’intensifier le travail de ravitaillement. Enfin, il pense que les soldats se rendront parfaitement compte de « la goinfrerie inique des paysans riches d’Ukraine. » Ainsi, Lénine imagine des jeunes gens en armes qui pressureraient l’Ukraine. Pour récupérer les 150 millions de pouds de céréales, Lénine prévoit de combiner trois méthodes : la fiscalité, l’échange en nature et les réquisitions. Ces dernières seraient effectuées par la force armée53.Lénine ne semble pas imaginer que l’Ukraine pourrait, au moins dans certaines régions, connaître la famine, ce qui se produira pourtant. Son idée d’une Ukraine de paysans riches, qu’il appelle souvent des koulaks est au centre de sa stratégie, alors que le pays est ravagé par des guerres étrangères ou civiles depuis sept ans.
Lénine lance aux paysans ukrainiens, un bref appel publié dans la Pravda le 2 août 1921. Il affirme que l’Ukraine a fait une « excellente moisson » dans les régions à l’ouest du Dniepr – et il demande aux Ukrainiens de fournir leurs « excédents » aux paysans de la Volga (où la famine est très importante)54.
Début août, le dirigeant bolchevik donne des instructions sur des prélèvements forcés à un Commissaire du peuple au ravitaillement qui se trouve à Kharkov55. Son interlocuteur suggère que le sel pourrait être échangé contre des espèces monétaires mais Lénine veut que l’échange se fasse uniquement avec du blé et dans les cantons où les paysans ont déjà payé un quart de l’impôt en nature. Le blé doit être collecté avec l’aide de l’Armée rouge et tant que l’impôt en nature n’aura pas été perçu, les soldats recevront un « ravitaillement renforcé » de la part des paysans. C’est donc un système d’extorsion qui est mis sur pied.
Lénine quelques jours plus tard adresse une lettre très détaillée à un haut responsable communiste (Ivars Smilga) qui s’occupe de charbon. Sa lettre entre dans des précisions qui prouvent que Lénine bien sûr est capable de s’intéresser à beaucoup de choses, par exemple dans sa missive aux haveuses de mines, et que Moscou donne des ordres à l’Ukraine qui n’a aucune autonomie de gestion. Lénine demande que le Donbass soit mieux organisé pour produire plus de combustible et que les cadres communistes cessent de se disputer. Il exige que l’industrie, l’agriculture et le commerce soient mieux coordonnés et que les échanges avec l’étranger et avec les paysans soient mieux organisés pour que « l’agriculture locale » soit renforcée, ce qui sera l’occasion de transfert vers le centre du pouvoir, notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg. Lénine demande aussi que l’impôt en nature soit récolté, que le « troc « fonctionne mieux et qu’on puisse obtenir davantage de ravitaillement en blé par un échange avec du sel et du charbon du Donetz. Il pousse au développement des échanges avec l’étranger grâce à un port sur la mer d’Azov mais pas au profit de l’Ukraine56. « L’armée du travail » située dans la province du Donetz est l’un des instruments de la domination de l’Ukraine. Il s’agit sans doute de soldats de la guerre civile mobilisés dans une institution qui les oblige à produire. Lénine est un chef autoritaire et prédateur qui contraint par la force armée l’Ukraine à lui donner ses biens. Cette exigence peut être assimilée à un rapport entre colonisateur et colonisé.
Ce rapport de subordination se voit aussi dans la « prudence » de Lénine pour se lancer dans la culture de betteraves sucrières qui pourrait diminuer la quantité de blé en Ukraine57. Une fois encore, il est clair que le leader bolchevik compte sur la supposée prospérité de cette République pour nourrir la Russie. En effet, il demande à Rakovksi d’acheter du blé et du bétail : il indique qu’une somme allant jusqu’à 50 milliards de roubles mensuels sera versée, des roubles dont la valeur est incertaine mais non la quantité, ce qui peut amener à payer les paysans très peu avec une monnaie sans valeur pour approvisionner la Russie ! La chose ne fonctionne cependant pas. Un mois plus tard, Lénine se plaint qu’un quart seulement du blé « pour le centre » ait été expédié : « si d’ici trois jours, une amélioration radicale n’intervient pas, nous devrons envoyer en Ukraine un délégué muni de pouvoirs spéciaux. »58 Ce terme signifie l’utilisation de la coercition violente.
Lénine rédige une résolution du Parti communiste de Russie qui sera adoptée le 10 novembre 1921 par le Bureau politique. Elle prescrit que le stockage de tous les vivres de l’Ukraine soit localisé sur le territoire de cette République. Il considère que cette mesure est primordiale pour la République socialiste fédérative de Russie, c’est-à-dire pour la Russie. Autrement dit, l’Ukraine, qui a pourtant l’habitude de le faire notamment par le port d’Odessa, ne doit pas exporter de blé à son profit. 57 millions de pouds de blé doivent être réservés à la Russie : serait-ce par la contrainte59.
A la contrainte, il ajoute la persuasion. Au début de 1922 il ordonne au Bureau politique d’envoyer Mikhaïl Kalinine d’urgence en Ukraine pour faire de la « propagande » en faveur d’un transfert des vivres depuis cette république jusqu’aux affamés de Russie. Il prévoit le matériel de propagande, qui est une de ses spécialités, pour entraîner des dons : photographies, films, témoignages de victimes de la famine.60 Kalinine, qui était à la fois le chef de l’Etat soviétique (dépourvu de tout pouvoir) et le président du comité d’aide aux affamés (fonction figurative) effectua un voyage de deux semaines qui le conduisit à Potlova, Kiev, Odessa et Jitomir.
A la contrainte et à la propagande, Lénine n’ajoute pas de façon déterminée et massive l’apport de l’aide humanitaire pour lutter contre la famine. Pendant la famine de 1921-1922, il est poussé par la catastrophe à mobiliser cette aide humanitaire sous contrôle des communistes à l’échelon national et international (par exemple en France) mais il n’accepte qu’avec réticence le concours d’organisations qui luttent contre la famine comme l’American Relief Administration (ARA). Les secours alimentaires en faveur de l’Ukraine ont sans doute été plus modestes que ceux à destination du bassin de la Volga et en tout cas ils n’ont rien pu faire contre les effets de la politique prédatrice de Lénine et des bolcheviks.
Sous la dictature du Parti communiste, il n’était pas question de laisser la moindre autonomie à l’Ukraine et celle-ci était traitée comme une zone dépendante de la Russie soviétique, comme toutes les parties de la future URSS. Ainsi, l’Armée rouge a occupé la Géorgie en mars 1921, un Etat qui avait proclamé son indépendance en mai 1920 et qui était gouverné par des mencheviks, haïs par les bolcheviks et notamment par Lénine. Cela préfigure la guerre contre la Géorgie menée par Poutine en 2008. Antérieurement, la Russie soviétique avait envahi la Pologne avec l’espoir qu’après Varsovie, il lui serait aisé de conquérir Berlin mais l’Armée rouge a été défaite sur la Vistule devant Varsovie en août 192061. La raison principale invoquée pour justifier l’extension de la Russie soviétique résidait dans la nécessité d’assurer un triomphe mondial à la révolution communiste. Celle-ci était une forme d’impérialisme mais il était légitime aux yeux des communistes car elle offrait au prolétariat et à la paysannerie pauvre la fin de l’exploitation capitaliste. L’expansion communiste niait les spécificités nationales au profit de l’unité mythique de la classe ouvrière et de l’avancée de la révolution communiste. Cet essor qui est peut-être un trait répétitif de l’histoire de la Russie, dont la structure politique pousserait à l’expansionnisme par vagues successives, reposait sur la volonté des communistes de Moscou de prendre le pouvoir dans d’autres pays, ce qui adviendra après la défaite de l’Allemagne nazie.
Poutine donne aujourd’hui à son discours de légitimation de l’invasion de l’Ukraine une dimension ethnique en affirmant que les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses constitueraient un même « peuple »62 séparé en trois entités artificielles.
Dans son discours du 2I février 2022, le dirigeant russe prétend qu’au moment de la construction de l’URSS, en 1922, Lénine aurait fait des concessions aux « nationalistes » tandis que Staline (à la fois Secrétaire général du Comité central du parti et Commissaire aux nationalités) a adopté une position inverse. En septembre 1922, une lettre de Lénine (qui faisait face déjà à des problèmes de santé) a répondu à une résolution de Staline63. Lénine affirmait :
« L’esprit de cette concession, je l’espère, est bien clair : nous nous mettrons sur un pied d’égalité avec la RSS République socialiste soviétique d’Ukraine et les autres républiques et en même temps qu’elles, au même titre qu’elles, nous entrons dans la nouvelle union, la nouvelle fédération, l'« Union des Républiques soviétiques d’Europe et d’Asie »64.
Le conflit entre Lénine et Staline aboutit dans la Constitution de l’URSS (votée après que Lénine eut perdu tout pouvoir en raison de son état de santé) à une formulation rédigée selon le point de vue de Lénine. On peut y lire (chap. II, art. 4) :
« Chacune des républiques fédérées conserve le droit de quitter librement l’Union ».
Cette disposition a été reprise textuellement dans la Constitution de 1936 (art. 17) et dans la celle de 1977 (art. 72). Elle a été, dit Poutine, une « mine » ou une « bombe à retardement » même si elle n’a pas eu d’effet avant la fin de l’URSS, qui constitue une « catastrophe » selon lui. Poutine ne mentionne toutefois pas une des raisons principales de la position de Lénine qui voulait que l’URSS n’apparaisse pas comme une « prison des peuples » mais bien comme une « union » marquée par la liberté et la fraternité.
Ainsi, il était possible de mettre en avant une image d’indépendance pour les nouveaux Etats (notamment d’Asie) qui pourraient se rapprocher du nouvel Etat communiste lequel serait à la tête de ce nouveau dispositif anticapitaliste. Il fallait donc attirer de nouvelles forces mais il n’était pas question pour Lénine, pas plus que pour Staline et les autres dirigeants bolcheviks, de laisser les Républiques fédérées de l’URSS suivre le chemin de l’indépendance. Poutine dans sa peinture biaisée et lacunaire de l’histoire soviétique mentionne à peine le rôle cohésif et coercitif du parti unique en URSS. Dans la Constitution de 1924, il n’est nulle part question du Parti bolchevik qui avait le statut d’un parti unique en tous les sens du terme en assurant le contrôle de Moscou sur ses antennes locales y compris, bien sûr, en Ukraine. Le pouvoir en URSS n’était détenu ni par les soviets ni par les directions des Républiques fédérées mais par le parti unique : il assurait une logique politique qui s’opposait à la diversité des républiques fédérées. Ces dernières se séparèrent de la Russie quand le primat du parti proclamé par l’article 6 de la Constitution de 1977 fut abrogé sous Gorbatchev.
Ainsi Poutine n’est pas fondé à vouloir que les Ukrainiens au lieu de s’en prendre aux statues de Lénine devraient les honorer comme si le leader bolchevik était responsable de l’existence même de l’Ukraine. Lénine a appuyé les revendications ukrainiennes en faveur de l’indépendance avant la guerre de 1914 et il a accentué par tactique les demandes d’autonomie de l’Ukraine en s’appuyant sur les exigences de la Rada ukrainienne après la révolution de février 1917. Puis l’Ukraine a plongé dans la guerre civile. A la fin des années 1910 et au début des années 1920, le pays a connu de nombreux pogroms65, il a été ravagé par des violences extrêmes et il a été victime directement ou indirectement de la famine 1921-1922. Le statut de dominé, colonisé et politiquement asservi du pays s’est brutalement manifesté. Kiev n’avait pas le choix de son système politique donc pas de choix en matière d’agriculture, d’économie, de commerce ou de culture. L’Holodomor a été une des conséquences de cette domination sans limite. Par la volonté et les décisions de Lénine, l’Ukraine a été soumise à la dictature du parti unique et ce jusqu’en 1991. Dès que les bolcheviks sont arrivés au pouvoir par le coup d’Etat d’Octobre 1917, l’annexion de l’Ukraine a été un de leurs objectifs politiques en raison même des richesses de la région et du surplus de puissance qu’elle assurait d’autant que pour les bolcheviks le communisme avait pour vocation de s’étendre mondialement66.
Seule une amnésie pourrait empêcher les Ukrainiens de détruire les statues de Lénine.
Néanmoins à Henitchesk, petite localité située sur la mer d’Azov dans la région de Kherson un peu au nord de la Crimée et donc au sud-est de l’Ukraine67 prise par l’armée d’invasion russe à la fin du mois de février 2022, une statue de Lénine a été réinstallée par les autorités locales à la mi-avril pour marquer l’occupation militaire et de l’appartenance de la ville à la Russie68. La statue, banale en Russie, au Bélarus, et en Ukraine avant le leninopad qui avait été démontée en 2015 se trouve sur une place devant un grand bâtiment officiel.
La réapparition d’une statue de Lénine dans une ville ukrainienne lors de cette guerre menée par la Russie contre l’Ukraine a un sens tragique et paradoxal. En effet, selon l’interprétation de Vladimir Poutine, Lénine serait responsable de l’affirmation identitaire de l’Ukraine et en conséquence les Ukrainiens devraient célébrer le leader bolchevik. Pour les Ukrainiens cependant, Lénine est un communiste et un colonisateur russe.
La restauration de monuments consacrés à Lénine ne va pas non plus de soi pour les Ukrainiens pro-russes. En effet, à leurs yeux, Lénine apparaît comme l’homme qui a fabriqué l’Ukraine et qui l’a détachée de la Russie. Il ne s’agit donc pas de le glorifier. La restauration de la statue de Lénine à Henitchesk après la prise de la ville renoue avec le modèle mémorial de la Fédération de Russie qui est à l’oeuvre en Biélorussie, en Transnistrie, en Crimée : les statues de Lénine constituent une marque de l’appartenance à la tradition de l’URSS. Elles disent que cette ville ou ces pays ont réintégré l’espace post-soviétique qui globalement a maintenu la mémoire matérielle et monumentale du communisme.
Au sommet du bâtiment devant lequel se situe la statue de Lénine, on peut voir deux drapeaux : un drapeau tricolore russe et le drapeau rouge de l’URSS. Ces trois symboles nient l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine et témoignent de la victoire de Vladimir Poutine. Le président russe se situe dans la continuité de Lénine ; il refuse l’autonomie et la souveraineté du peuple ukrainien69 et en conséquence, refuse par la guerre à l’Ukraine le statut de nation et d’Etat.
Photo de couverture : 17 mars 2016, Zaporizhia (Ukraine), démantèlement de la plus grande statue de 20 mètres du dirigeant communiste Vladimir Lénine. Copyright Yurchyks pour Shutterstock.
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- 1. Vidéo avec sous titres anglais. Vidéo avec sous-titres en russe.
- 2. Alexandra Goujon, L’Ukraine. De l’indépendance à la guerre, Le Cavalier bleu, 2021.
- 3. Oxana Shevel, « Decommunization in Post-Euromaidan Ukraine: Law and Practice » in Pomars Eurasia, janvier 2016.
- 4. Niels Ackermann, Sébastien Gobert, Looking for Lenin, Editions Noir sur Bbanc, 2017. Un certain nombre de villes sont aussi débaptisées.
- 5. Dominique Colas, « Contrasting Fates of Lenin Statues in Ukraine and Russia » in Sarah Gensburger, Jenny Wüstenberg (eds.), De-Commemoration. Making Sense of Contemporary Calls for Tearing Down Statues and Renaming Places (NY), Berghahn Books, à paraître en 2022 et chez Fayard en 2023.
- 6. Lénine, Œuvres, t. 20, p.178 et Lénine, Polnoye sobraniye sochineniy (PPS), t. 25, p. 16.
- 7. Lénine, Œuvres, t. 20, p.18.
- 8. Un membre du Parti constitutionnel-démocrate d’où l’appellation KD ou cadet.
- 9. Lénine, Œuvres, 19, t. 19, p. 280.
- 10. Lénine appelle « grands-Russes » les Russes distingués par exemple des Ukrainiens. Le terme « grand-Russe » est devenu obsolète mais il était banal à l’époque de Lénine.
- 11. Sur cette différence de stades, voir D. Colas, « Du Parti ouvrier social-démocrate russe au Parti communiste d'Union soviétique : une série de noms programmatiques. » in Mots. Les langages du politique, n° 120, juillet 2019.
- 12. Lénine, Œuvres en français, t. 19, p. 380-383 : les citations jusqu’à la fin du paragraphe. Même contenu dans l’article publié dans la Pravda (légale) en mai 1913 (t. 19, 85-87).
- 13. C’est le contenu d’un texte de 1913 pour une revue bolchévique Notes critiques sur la question nationale, t. 20, p. 11-44.
- 14. Lénine, Œuvres, t. 20, p.18.
- 15. Lénine, Œuvres, t. 20, p.23.
- 16. Il s’agit de Lev Iourkevitch (1883-1919).
- 17. Lénine, Œuvres, t. 20, p.24.
- 18. Le terme est presque systématiquement mis entre guillemets par Lénine : c’est un gallicisme mais surtout il correspond à un phénomène de « fusion » qui est socialement français.
- 19. Lénine, Œuvres, t. 20, p.24 et Lénine, Polnoye sobraniye sochineniy, t. 24, p. 128-129.
- 20. Sur ce point qui est au centre du léninisme voir D. Colas, Le léninisme, PUF, coll. Quadrige, 1998.
- 21. Lénine, Œuvres, t. 20, p. 24.
- 22. Par la suite, la ville s’est appelée Dniepropretovsk par ajout du nom du fleuve et du nom d’un bolchevik longtemps représentant du pouvoir communiste en Ukraine. Le nom en raison des lois de 2015 a été modifié en 2016.
- 23. Lénine, Œuvres, t. 20, p.227. PPS, t. 25, p.66. Lénine met la formule entre guillemets. Il semble qu’elle vienne de Custine.
- 24. Lénine, Œuvres, t. 20, p 415-481.
- 25. Lénine, Œuvres, t. 20, p 446.
- 26. Lénine, Œuvres, t. 20, p 448.
- 27. Lénine a bénéficié d’un soutien financier et administratif de l’Union pour la libération de l’Ukraine juste avant la guerre. Cette organisation nationaliste était financée par Berlin et Vienne et travaillait sous la supervision du ministère des Affaires étrangères d’Autriche. Cf. Richard Pipes, The Russian Revolution, Vintage Books, 1991 p. 376-377.
- 28. Sur Lénine au pouvoir voir D. Colas, Lénine, Fayard, 2017.
- 29. Lénine, Œuvres, t 25, p. 32, prise de parole au premier congrès des soviets de juin 1917 qui donne lieu à des articles dans la Pravda. Deux autres articles de la Pravda de juin 1917 portent sur l’Ukraine.
- 30. Lénine, Œuvres t. 25, p. 32.
- 31. Commandants en chef des armées du grand-duché de Lituanie et du Royaume de Pologne.
- 32. ine, Œuvres, t. 25, p. 102. PPS, t. 32, p.352.
- 33. L’expression est entre guillemets, Lénine, Œuvres, t. 25, p.100.
- 34. Texte du décret en russe.
- 35. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 360.
- 36. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 361.
- 37. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 378-380.
- 38. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 380.
- 39. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 415-416.
- 40. Lénine, v Œuvres, t. 26, p. 436-437.
- 41. Lénine, Œuvres, t. 26, p. 534, PSS, t. 35, p. 321.
- 42. Il s’agit de Youri Kotsioubkinski, un bolchevik d’origine ukrainienne qui participa à la prise du Palais d’hiver en octobre 1917. Il eut diverses fonctions dans l’appareil soviétique et ukrainien dont dans les années 1930 une responsabilité dans la planification en Ukraine. Il fut accusé à partir de 1935 et supposé appartenir à une opposition trotskiste ukrainienne. Il fut fusillé en 1937.
- 43. Serhii Plokhy, « Lénine a-t-il crée l’Ukraine moderne ? », AOC, 13 avril 2022./
- 44. Lénine, Œuvres, t. 35, p.488. Cette lettre n’est pas dans PPS où on trouve un résumé t. 42, p. 582.
- 45. Lénine, Œuvres, t.45, p. 64 et PPS, t. 52, p.42, 67 et 88.
- 46. Lénine, Œuvres, t. 35, p.403
- 47. Concernant la famine, j’utilise D. Colas. Lénine, Fayard, 2017. Je considère contrairement à Nicolas Werth, que la famine de la guerre civile doit être incluse dans la réflexion sur les famines soviétiques et qu’elle en est le prototype. N. Werth, Les grandes famines soviétiques, PUF, coll Que sais-je ?, 2020. Livre très utile notamment sur l’Holodomor.
- 48. Nous avons suivi l’orthographe des Œuvres de Lénine qui est russe.
- 49. Lénine, Œuvres, t. 35, p. 334.
- 50. Lénine, Œuvres, t. 45, p.61.
- 51. Lénine, Œuvres, t. 45, p. 121. Le poud est une unité de masse en Russie qui équivaut 16,38 kg. Il s’agit de blé à échanger contre du sel.
- 52. Lénine, Œuvres, t. 45, p. 144-145.
- 53. Lénine, PPS, t. 44, p. 67.
- 54. Lénine, Œuvres, t. 32, p.535.
- 55. Lénine, Œuvres, t. 45, p. 228-229.
- 56. Lénine, Œuvres, t. 45, p. 249. Cette ville portuaire, nommée par Lénine dans cette lettre, est Tangarog (ville natale de Tchekhov). Il s’agit d’une ville située en Ukraine à ce moment et qui le sera jusqu’en 1924. Elle a ensuite été rattachée comme la ville de Chakthy à la République socialiste fédérative de Russie. Nous n’avons aucun indice que Lénine ait redessiné les frontières de l’Ukraine. Pour lui, le Donbass est ukrainien. En 1918, il s’est opposé fermement à l’autonomie de la République de Donetz par rapport à l’Ukraine, (t. 44, p.46). Poutine affirme dans son discours du 21 février 2022 que des documents prouvent que Lénine a voulu attacher le Donbass à l’Ukraine mais sans toutefois les produire.
- 57. Lénine, Œuvres., t. 42, p. 361.
- 58. Lénine, Œuvres, t. 45, p. 34.
- 59. Lénine, Œuvres, t. 42, p. 378, PSS, t. 44, p. 241.
- 60. Lénine, Œuvres, t. 42, p. 410.
- 61. Stephen Kotkin (qui a publié deux volumes de sa biographie de Staline, qui en comportera trois) dans un entretien avec D. Remnick dans le New Yorker voit dans la Russie une puissance qui repose sur la conquête extérieure à répétition. Il s’oppose à John Mearsheimer dans le même journal (en date du 1er mars 2022) qui voit dans la pression de l’OTAN sur la Russie la cause principale de la guerre déclenchée le 24 février 2022.
- 62. Dominique Colas, « L’Ukraine sous la menace du nationalisme ethnique de Poutine » in AOC, 8 février 2022.
- 63. Textes et références in D. Colas, Textes constitutionnels soviétiques, PUF, coll Que sais-je ?, n° 2361, 1987. Je n’analyste pas ici le testament de Lénine qui n’a pas eu d’effets immédiats.
- 64. Lénine, Œuvres, t. 42, p. 440. Le nom de l’URSS qui ne comportait aucun nom propre fut choisi un peu plus tard.
- 65. Lénine croit, en 1920, que le nombre de pogroms diminue en Ukraine et Biélorussie en raison de la « dictature du prolétariat », in Œuvres, t. 44, p. 396.
- 66. Un texte de synthèse rédigé par un spécialiste : Mark von Hagen, « Ukraine » in E. Acton, V. Cherniaev, W. Rosenberg, (dir.), Russian Revolution 1914-1921, Arnold, 1997. Pour une présentation plus récente : Thomas Chopard « L’Ukraine et la révolution de 1917. Promesses d’émancipation et limites de l’indépendance », Vingtième siècle. Revue d’histoire. 2017/3, n°135.
- 67. Après la rédaction de ce texte, j’ai pris connaissance de l’article de Julie Deschepper, « Le retour de Lénine ou la militarisation de l’histoire », in AOC, 9 mai 2022.
- 68. On peut voir cette statue avant sa démolition en 2015 et après sa reconstruction sur le site d’un journal local ukrainien.
- 69. Le 12 juillet 2021, Poutine a publié un article « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens » qui voulait démontrer que l’Ukraine n’était ni un peuple ni un Etat ni une nation. Ce révisionnisme historique allait dans le sens de la guerre d’invasion. Texte en français. Texte en russe.