Les BRICS : chronique d’une mort annoncée… mais sans cesse reportée
Le scepticisme vis-à-vis des pays émergents se porte bien en Occident, alors que les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont, en un sens, nés à l’Ouest : Goldman Sachs n’est-il pas à l’origine de ce sigle ? Il est vrai que bien des pays de cette coalition traversent une zone de turbulence économique qui a même plongé la Russie dans la crise et le Brésil dans la récession. La Chine conserve un taux de croissance élevé mais la bulle spéculative est en train d’éclater et de tirer la bourse de Shanghai vers le bas. L’Inde résiste bien mais son insolent taux de croissance – en partie lié à un nouveau mode de calcul – ne se traduit pas encore par du développement en termes socio-économiques et des créations d’emplois en nombre suffisant.
Partout, la dynamique des années 2000 est remise en cause et la transition qui devait faire des « pays émergents » des « pays émergés » mise en doute, faute, notamment, d’avoir été portée par la construction d’institutions et la définition de procédures, voire de normes, propres à transformer l’essai. C‘est en tout cas l’impression qui ressort des scandales à répétition et des atteintes à l’Etat de droit qui nuisent gravement au climat des affaires et même à la stabilité politique (cf. les difficultés de Dilma Rousseff au Brésil, les affaires de corruption en Chine et en Inde ainsi que la criminalisation du politique – et de l’économie – en Russie).
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et considérer que les émergents sont condamnés, non seulement au déclin, mais aussi à une désunion qui ferait voler la coalition des BRICS en éclat ? Cette alliance pourrait en fait faire preuve d’une certaine résilience pour deux raisons.
Premièrement, les BRICS viennent de se doter d’institutions communes. Outre la Banque asiatique d’investissement en infrastructures (BAII) d’inspiration chinoise, 2015 aura également vu naître la « banque des BRICS », la New Development Bank, dotée de 100 milliards de dollars. Son directeur – un Indien – a pris ses fonctions au siège de l’établissement à Shanghai et les premiers financements devraient être décidés l’an prochain. De même, un Contingency Reserve Arrangement, fonds de réserves d’urgence destiné à aider les pays victimes de difficultés financières, a été inauguré cette année.
Deuxièmement, la solidarité des BRICS paraît confortée par leur méfiance – voire leur hostilité – vis-à-vis de l’Occident. Les institutions mentionnées plus haut sont d’ailleurs nées du dépit suscité par le refus du Congrès américain d’accorder aux pays émergents la place qui leur revient au sein du système de Bretton Woods. En 2010, le Président Obama – comme tous les chefs d’Etat et de gouvernement concernés – avait accepté une réévaluation de la quote-part des émergents au sein du FMI exprimant ainsi le poids croissant des BRICS dans l’économie mondiale. La quote-part de la Chine – et donc ses droits de vote au Conseil d’administration du FMI – devait passer de 4% à 6,4% du total, ce qui l’aurait placée juste derrière le Japon mais encore loin derrière les Etats-Unis. De même, tous les BRICS, sauf l’Afrique du Sud, aurait rejoint le Top ten aux dépens, notamment, du Canada. Pourtant, et alors que les Etats-Unis n’auraient vu leur quote-part diminuer que de 17,7% à 17,4%, les Républicains ont refusé de ratifier l’accord signé par Obama, au grand dam des BRICS.
La résilience de la coalition des BRICS construite contre l’Occident s’est manifestée à Ufa en juillet dernier lors du sixième sommet de la coalition. Certes, la rivalité sino-indienne paraît de plus en plus prononcée et l’agressivité russe indispose les Asiatiques, peu désireux de s’aliéner un Occident où ils comptent des partenaires économiques (et parfois stratégiques). Mais en passant en revue tous les problèmes de la planète, cette réunion a démontré l’investissement des BRICS dans le monde. Les 77 points du communiqué final ont par exemple permis aux BRICS de manifester leur « soutien aux initiatives de la Fédération de Russie visant à promouvoir un règlement politique en Syrie ». Pour Vladimir Poutine, la bénédiction des quatre autres BRICS n’est pas un acquis mineur : elle atteste sa capacité à rompre l’isolement de son pays consécutif aux sanctions économiques occidentales.
Les BRICS sont susceptibles de continuer à agir plus ou moins de concert tant qu’ils éprouveront le besoin de faire front contre un Occident dont l’hégémonie est à leurs yeux de moins en moins légitime.