Les gaz de schiste, une énergie controversée
Le gaz de schiste peut-il entraîner une révolution énergétique ? Depuis ses débuts aux Etats-Unis dans les années 1970, l’extraction de ce gaz naturel donne lieu à de nombreuses controverses, notamment en raison des impacts des forages sur l’environnement. Alors que la Commission européenne a donné en janvier 2014 un timide feu vert à l’exploitation de ce gaz sur le sol européen, la France continue de refuser les permis de recherche, et donc l’exploitation de ce gaz sur le sol français. Ce Dossier du CERI tente de déchiffrer les enjeux de l’exploitation du gaz de schiste, et les raisons de la controverse.
Le gaz de schiste est un gaz naturel contenu dans une roche argileuse, et dont les ressources sont inégalement réparties sur la planète. Contrairement au gaz naturel traditionnel, dont l’exploitation reste relativement aisée, celle du gaz de schiste se révèle particulièrement périlleuse, et lourde d’atteintes à l’environnement. La première méthode d’extraction, le forage horizontal qui permettait de drainer le gaz de la roche poreuse, a été abandonné dans les années 1990 au profit d’une autre technique, la fracturation hydraulique, qui consiste à provoquer dans la roche des micro-fractures, à l’aide d’eau injectée à haute pression, ce qui permet de libérer le gaz et de le récupérer ensuite.
L’exploitation massive des gaz de schiste aux Etats-Unis, à partir des années 2000, a entraîné une chute spectaculaire des prix de l’énergie et la relance, tout aussi spectaculaire, du secteur de la pétrochimie. Ce gaz représente aujourd’hui 35% de la production de gaz aux Etats-Unis, ce qui leur a permis de devenir un pays exportateur de gaz naturel, et sans doute de contester, à terme, la place de la Russie comme premier exportateur de gaz naturel.
Mais cet essor sans précédent, qui n’est pas sans rappeler la ruée vers l’or noir, s’est aussi accompagné de nombreuses controverses quant à ses conséquences environnementales. Ces controverses ont culminé avec la sortie du film documentaire Gasland, sorti en 2010, qui a mis en lumière les risques et impacts associés à la technique de fracturation hydraulique. Cette technique, qui mobilise de très importantes quantités d’eau, peut provoquer de sérieuses pollutions des nappes d’eau souterraines à cause notamment des produits chimiques employés pour la fracturation, mais présente également un risque pour l’activité sismique et rejette dans l’atmosphère de grandes quantités de méthane, un gaz à effet de serre particulièrement nocif.
Malgré ce bilan environnemental peu reluisant, certains voient néanmoins dans le gaz de schiste un potentiel de relance économique considérable, ainsi qu’un maillon essentiel dans la lutte contre le changement climatique. La combustion des gaz de schiste rejette en effet moins de dioxyde de carbone (le principal gaz à effet de serre anthropique) que la combustion du charbon ou du pétrole. Et des voix s’élèvent, en France et en Europe, pour que soient délivrées des autorisations de prospection et d’exploitation des gaz de schiste, au nom de la relance économique, des prix de l’énergie et parfois de la lutte contre le changement climatique.
On estime les réserves mondiales de gaz de schiste à plus de 200 billions de m3. Ces réserves sont inégalement réparties à travers le monde, puisque la Chine, l’Argentine, l’Algérie et les Etats-Unis s’en partagent environ la moitié. En Europe, ce sont la Pologne et la France qui possèdent les plus importantes réserves, avec environ 4 billions de m3 chacun. Après le feu vert de la Commission européenne, donné en janvier 2014 au grand dam des associations écologistes, la Pologne se lancera en 2014 dans l’exploitation de ses réserves. En France, le ministre de l’Environnement Philippe Martin a pourtant confirmé en novembre 2013 l’interdiction des permis de recherche sur le sol français, au grand dam de certains de ses collègues du gouvernement, dont le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg.
La France peut-elle et doit-elle rester à l’écart de cette ruée sur le gaz de schiste ? La réponse à cette question mobilise un grand nombre d’enjeux et d’intérêts, que ce Dossier du CERI ambitionne de décrypter. Mathilde Mathieu, Oliver Sartor et Thomas Spencer, chercheurs à l’Institut du Développement durable et des Relations internationales (Iddri), se penchent d’abord sur le modèle américain, premier pays à s’être lancé dans l’exploitation massive des gaz de schiste, et s’interrogent sur ses possibles implications pour la stratégie énergétique européenne. Kari De Pryck, doctorante au CERI, analysent ensuite la raisons, acteurs et stratégies engagés dans les controverses sur le gaz de schiste : quels sont les ressorts qui sous-tendent la contestation, et quels en sont ses impacts politiques ? François Damerval, assistant parlementaire au Parlement européen, nous livre ensuite un témoignage éclairant sur le rôle des lobbies dans ce débat, et tire plusieurs réflexions issues d’un récent voyage d’étude aux Etats-Unis. Enfin, Maxime Combes, économiste à ATTAC, replace la question des gaz de schiste dans le contexte plus large de la lutte contre le changement climatique, et voit dans ces hydrocarbures non-conventionnels un moyen de retarder encore davantage la transition énergétique vers une économie pauvre en carbone. L’urgence est pourtant là.
François Gemenne chercheur en science politique à l'université de Liège (CEDEM) et à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (CEARC). Il est expert associé au CERI et vient de publier « Les négociations internationales sur le climat, une histoire sans fin ?, in Négociations internationales, Presses de Sciences Po, 2013