Du transnationalisme migratoire aux villes hospitalières : une trajectoire de recherche...
Entretien avec Thomas Lacroix
Thomas Lacroix rejoint le CERI en septembre 2021. Spécialiste des migrations, ses travaux portent désormais sur comment et pourquoi les villes accueillent les étrangers, les migrants. Sa recherche contribuera sans nul doute aux différents axes de recherche du CERI. Il a accepté de répondre à nos questions sur son parcours et sur sa trajectoire de recherche.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et vos recherches et nous dire quelques mots de vos centres d’intérêts ?
Thomas Lacroix : Il me semble que mon parcours, quelque peu tortueux, dit quelque chose de la réception académique des migrations internationales en France. J’ai découvert cette question dans le cadre d’un DEA de science politique (l’équivalent du master 2 d’aujourd’hui) à Sciences Po Lille. Après l’obtention de mon diplôme en 1998, j’ai souhaité réaliser une thèse sur le transnationalisme migratoire des Marocains en Europe mais ma proposition n’a reçu de réponse favorable ni à Sciences Po Lille ni à Sciences Po Paris (malgré le soutien de Catherine Wihtol de Wenden). Cela peut paraître surprenant aujourd’hui mais à la fin des années 1990, les migrations internationales étaient un sujet très peu traité, pour ne pas dire marginal, en science politique.
J’ai donc effectué ma thèse en géographie, à l’université de Poitiers, au laboratoire Migrinter, sous la codirection de Patrick Gonin et de Catherine Wihtol de Wenden. A l’issue de cette thèse, je suis parti d’abord au Maroc, puis en Grande-Bretagne, à l’Université de Warwick comme postdoctorant puis à l’Université d’Oxford en tant que chercheur contractuel. Ce n’est qu’en 2011, à la faveur de mon recrutement au CNRS, que je suis revenu en France, à Migrinter. Au cours de cette période, j’ai pu développer mes recherches sur le transnationalisme migratoire, d’abord en incluant de nouveaux groupes (Algériens en France, Indiens et Polonais en Grande-Bretagne) puis en abordant de nouvelles thématiques (associationnisme des immigrés, configuration des familles transnationales, relations entre transnationalisme et intégration, politique migratoire européenne, politique diasporique du Maroc, etc.). Entre 2018 et 2021, un séjour à la Maison française d’Oxford m’a permis de réorienter mon travail sur le rôle des villes et des réseaux de villes dans l’accueil des migrants. C’est avec cette thématique de recherche que j’ai rejoint l’équipe du CERI et son groupe de travail sur les migrations.
Quels sont vos sujets de recherche actuels ?
Thomas Lacroix : Aujourd’hui, la question des migrations a trouvé sa place dans la science politique en France mais sa légitimité est relativement récente et son champ n’est pas encore complètement stabilisé. Je dirais que l’on peut distinguer deux grandes orientations de recherche : les travaux sur l’État face aux migrations (ses politiques, ses dispositifs, la diplomatie migratoire, etc.) et ceux portant sur les migrants comme sujets de politique publique. Je souhaite contribuer à ce débat en apportant la perspective de géographie politique qui est la mienne.
Depuis ma thèse, j’ai travaillé sur les sociétés transnationales que construisent les migrants par-delà les frontières. Mon regard se porte aujourd’hui sur la construction des États transnationaux, en partant de l’hypothèse que les États se transnationalisent en s’efforçant de gérer les flux de personnes, d’argent ou d’idées suscitées par les migrations. Mon angle d’analyse est celui des réseaux de villes constitués autour de l’accueil des migrants, de l’intégration ou de la lutte contre les discriminations. Il en existe une soixantaine dans le monde. Qu’ils soient nationaux, régionaux ou intercontinentaux, ces réseaux sont devenus des acteurs incontournables de la gouvernance des migrations. Ils sont les promoteurs d’une approche de l’immigration plus ouverte que celle des pouvoirs publics nationaux.
Participez-vous à des projets collectifs au sein du CERI et/ou d’autres laboratoires ?
Thomas Lacroix : Mon travail sur les réseaux de villes s’inscrit dans l’ANR PACE portée par Hélène Thiollet au CERI. Ce programme porte sur les acteurs non étatiques des politiques migratoires. Je m’occupe avec Aisling Healy de l’UMR TRIANGLE d’un groupe de travail sur les villes. Je codirige par ailleurs avec Bénédicte Michalon (UMR PASSAGES, Bordeaux) le programme Localacc sur les villes accueillantes.
Au-delà de cet objet de recherche, mes engagements scientifiques sont nombreux. Je mentionnerai deux programmes que je codirige : Thanatic Ethics : The circulation of bodies in migratory spaces, qui porte sur la dimension morale et politique du traitement de la mort en migration. Ce programme est aussi une expérience épistémologique passionnante puisque nous avons réuni, avec mes collègues de l’Université de Montpellier et de l’Université de Hong Kong, des chercheurs en sciences sociales et en études littéraires et artistiques en vue de croiser nos regards respectifs sur une thématique d’actualité.
Le programme CRITMIGR, codirigé avec Camille Schmoll (EHESS) et Swanie Potot (URMIS), constitue un deuxième exemple. Ce cycle de webinaires est né d’un besoin de réfléchir au statut de la critique dans les études migratoires. Le contexte d’étude des migrations est devenu si violent (je pense aux violences faites aux migrants mais aussi à celles dont sont victimes les chercheurs de la part des populistes), qu’il nous a semblé nécessaire de réfléchir au positionnement critique des chercheurs sur les migrations ainsi qu’à la critique en tant que positionnement scientifique.
Quels sont vos projets, les recherches que vous souhaitez mener dans les prochaines années ?
Thomas Lacroix : Ce travail sur les villes et plus largement sur le devenir de l’État transnational en est encore à ses débuts. Il va m’occuper durant plusieurs années mais mon travail suit également l’actualité des migrations. Je m’intéresse en particulier au devenir des migrations dans un monde post-Covid. La période que nous avons traversée, comme toute période de crise, a été un moment de recomposition et d’accélération de dynamiques profondes. La fermeture des frontières européennes s’est accrue et ce en écho avec la montée du populisme. Dans le même temps , les circulations Sud-Sud ont pris une ampleur sans précédent (elles sont supérieures aux migrations Sud-Nord).
Le pacte de Marrakech a constitué une étape importante dans la construction d’une gouvernance des migrations. Certains commencent déjà à imaginer un monde dans lequel la Chine deviendrait un pays d’immigration en raison de son déclin démographique… Il faut nous donner les outils à la fois théoriques et méthodologiques pour comprendre la planète migratoire en gestation. Avec l’équipe du CERI, nous nous y sommes attelés en lien avec des collègues de l’IRD et des mathématiciens spécialistes de l’Intelligence artificielle.
Propos recueillis par Miriam Périer