Figures du populisme et de l’autoritarisme contemporains Politiques intérieures, politiques étrangères et débat interdisciplinaire
Le XXIe siècle a vu l’affirmation d’un nouveau type d’homme politique combinant des traits propres aux démagogues (litt. « ceux qui guident le peuple ») qui ne s’étaient encore jamais mêlés de cette façon. Ces personnalités ont pris le pouvoir par la voie des urnes et ne remettent pas en cause l’élection comme méthode de désignation des gouvernants – ils ont d’ailleurs parfois perdu leur poste de dirigeant à la suite d’un scrutin, avant de le reconquérir de la même façon. Mais il ne s’agit pas de démocrates pour autant. Ces figures cherchent à concentrer le maximum de pouvoir dans leurs mains – et même à le personnaliser à l’extrême - ainsi qu’à affaiblir les contre- pouvoirs, qu’il s’agisse de l’appareil judiciaire, des media ou de l’opposition (qu’elle s’incarne dans des partis ou des mouvements de citoyens). Les exemples les plus connus de ces formes d’autoritarisme issues des urnes ne sont autres que Vladimir Poutine en Russie, Recep Erdogan en Turquie, Narendra Modi en Inde, Jair Bolsonaro au Brésil, Mahinda Rajapakshe à Sri Lanka, Hugo Chavez au Venezuela, Rodrigo Duterte aux Philippines, Imran Khan au Pakistan et Benjamin Netanyahou en Israël – auxquels peuvent s’ajouter Shinawatra Thakshin en Thaïlande, Donald Trump aux Etats-Unis, Viktor Orban en Hongrie et Matteo Salvini en Italie. La plupart de ces leaders occupent encore le devant de la scène, mais certains ont marché dans les pas de Silvio Berlusconi, signe que leur style politique remonte au XXe siècle.
Ce groupe s’intéresse aux facteurs et à la stratégie qui ont permis à ces personnalités de conquérir le pouvoir, puis de s’y maintenir. La grille d’analyse que nous soumettons à titre d’hypothèse vise à examiner :
- le rôle des organisations autres que leur parti (qui méritera bien sûr d’être pris en compte) auxquelles ces figures appartenaient au début de leur ascension et au sein desquelles s’est forgée leur culture politique : le KGB pour Poutine, la mouvance islamiste pour Erdogan, le mouvement nationaliste hindou pour Modi, l’armée pour Chavez… Au-delà d’un lieu d’apprentissage du politique, ces instances de socialisation leur ont permis de nouer des relations personnelles et de créer des réseaux dont ils se sont servis ensuite ;
- leur maîtrise des techniques de communication, et notamment de l’outil télévisuel et des vecteurs d’image en général, ainsi que des réseaux sociaux dans la période récente. Les liens établis avec le monde des médias jouent aussi un rôle important dans leur ascension et leur maintien au pouvoir ;
- la forme de leur populisme, leur capacité à établir une relation directe avec « leur » peuple, indépendamment d’institutions comme le parlement ou l’appareil judiciaire dont ils dénigrent systématiquement la légitimité. Cet objet d’étude est à la charnière de la mise en scène (langage du corps, usage des moyens de communication moderne) et du discours ;
- la tonalité nationaliste de leur discours, nourri d’une nostalgie de la grandeur passée et de la peur de l’Autre, que celui-ci soit à l’extérieur des frontières ou « une cinquième colonne ». Ce nationalisme peut se teinter de considérations ethniques ou ethno-religieuses ;
- les relations avec les milieux d’affaires – dont ils sont parfois directement issus comme Thakshin - contribuent en général au succès des personnalités en question, sinon au début de leur carrière, du moins une fois qu’ils ont pris leur envol. Ces liens vont de pair avec l’approche moins market friendly que business friendly de ces hommes qui établissent des collaborations plus ou moins licites avec des oligarques aux visées monopolistiques chacun dans son secteur ;
- enfin, les nouveaux démagogues sont le sous-produit politique de mutations socio-économiques marquées par des politiques de libéralisation économiques ayant donné naissance à une « classe moyenne » aux allures de « couche dominante ». Dans la plupart des pays ils se sont imposés, ils apparaissent en effet comme les champions de cette catégorie sociale éprise de croissance, insensible au creusement des inégalités et portée au nationalisme ethnique.
Le groupe vise également à étudier les politiques mises en œuvre par des chefs d'Etat et de gouvernement populistes et/ou autoritaires (des qualificatifs que nous nous emploierons à expliquer et à justifier) à la fois au plan interne et externe.
En termes de politique intérieure, on peut étudier la capacité de ceux que nous avons qualifiés de « nouveaux démagogues » à se perpétuer au pouvoir non seulement au moyen de politiques de la peur, d’une propagande sophistiquée et de mesures liberticides, mais aussi de politiques publiques leur garantissant une certaine popularité. Comment parviennent-ils à asseoir une certaine crédibilité est ici une question clé que nous espérons résoudre en examinant notamment les politiques migratoires, les politiques de maintien de l’ordre (en lien, parfois, avec des groupes vigilantistes) et les politiques économiques et sociales qu’ils mettent en œuvre.
Nombre de ces politiques comportent une dimension internationale qui mérite un traitement spécifique. D’une part le nationalisme économique (visible dans les négociations commerciales) et un certain bellicisme (justifié par des menaces externes réelles ou montées en épingle) sont des ressorts de la popularité des populistes dont nous chercherons à rendre compte. D’autre part, les leaders national-populistes et autoritaires bénéficient de l’aide qu’ils peuvent s’apporter mutuellement sur la scène internationale et de leur capacité à déplacer ensemble le centre de gravité de « la problématique légitime du politique » (pour reprendre une formule de Pierre Bourdieu) au sein de cénacles onusiens ou autres.
De 2015 à 2018, le groupe de recherche sur « Les nouveaux démagogues » que nous avons animé au CERI a donné lieu à une série d’une quinzaine de réunions qui s’est conclue, en novembre 2018, par un colloque de deux jours d’où est sorti à l’automne 2019 un ouvrage intitulé Pouvoirs populistes. Ce livre, publié dans la collection du CERI « L’Enjeu mondial » (Presses de Sciences Po) et co-dirigé par Alain Dieckhoff, Christophe Jaffrelot et Elise Massicard a repris l’essentiel des papiers présentés au colloque, auxquels s’en sont ajoutés quelques autres. Une édition anglaise est en cours de publication chez Palgrave-Macmillan, à nouveau dans une collection du CERI.
Si cet ouvrage a marqué une étape importante dans notre réflexion - qui est en outre nourrie par le cours que nous coordonnons depuis cinq ans à l’école doctorale de Sciences Po sous le titre « Figures de la (dé)démocratisation » -, nous l’avons poursuivie en 2019 et 2020 dans une direction plus spécifique à travers l’étude des politiques publiques menées par les gouvernants populistes.
En 2020, les activités du groupe ont été bouleversées par le COVID. Nous n’avons pas organisé de séances au printemps, mais deux à l’automne :
- Marc Lazar (Centre d’Histoire/CERI), « Populismes italiens et peuplecratie », 23 septembre 2020, discuté par Emmanuele Ferragina (CSO)
- David Cadier (CERI) “Populisme de gouvernement et politique étrangère en Pologne”, 11 décembre 2020, discuté par Maya Kandel (CAP).
Nous envisageons de poursuivre dans les deux voies ouvertes par les deux réunions de 2020, à savoir l’étude des politiques étrangères d’un côté et la comparaison des approches disciplinaires du populisme.
En 2020, nous avons commencé l’examen des politiques étrangères populistes, une politique étrangère qui se prête bien à l’analyse du populisme en termes de style politique, par la séance de travail animée par David Cadier sur le cas polonais. En 2021, nous envisageons de poursuivre ce travail grâce aux interventions – initialement prévue en 2020 et reportée en 2021 pour cause de pandémie – autour de Sandra Destradi (Université de Friboug), Johannes Plagemann (German Institute of Global and Area Studies - Hambourg) et Thorsten Wojczewski (King’s College, London).
En parallèle, nous avons commencé en 2020 une réflexion méthodologique sur les différences d’approche du populisme et de l’autoritarisme suivant les disciplines. Marc Lazar a effet animé une séance de notre groupe sur ce thème. En 2021, nous nous proposons de poursuivre cette conversation scientifique en invitant dans notre groupe Alain Chatriot, spécialiste des années 1930, de manière à le faire dialoguer avec les politistes qui animent le groupe de travail « Démocratie et autoritarisme » à l’AFSP (Myriam Ait-Aoudia, Clémentine Fauconnier et Alexandra Goujon) qui s’est beaucoup intéressé à l’Europe des années 1930. Un autre échange sous l’angle historique aura lieu avec un collègue turc séjournant à Paris, Murat Akan (université Bogaziçi Istanbul/ IAE Paris 2020- 2021), qui travaille à une comparaison des processus de dé- démocratisation en Turquie, en Inde et sous la Deuxième République française.
Au-delà des historiens, le dialogue nous paraît devoir être intensifié avec nos collègues d’autres disciplines qui traitent de ces objets politiques que sont la démocratie, le populisme et l’autoritarisme. Au premier rang d’entre elles figurent l’économie et la sociologie. C’est pourquoi nous nous proposons d’inviter Julia Cagé et Yann Algan d’une part, et Olivier Borraz (qui intervient déjà depuis trois ans dans notre cours), d’autre part. Enfin, nous aimerions saisir l’occasion de l’actualisation de leur chapitre – pour l’édition anglaise - par les contributeurs de « Populismes au pouvoir » pour organiser une table ronde centrée sur le passage du populisme à l’autoritarisme. Il s’agirait ici d’étudier la capacité de ceux que nous avons qualifiés de « nouveaux démagogues » à se perpétuer au pouvoir non seulement au moyen de politiques de la peur, d’une propagande sophistiquée et de mesures liberticides, mais aussi de politiques publiques leur garantissant une certaine popularité. Les études de cas que nous nous proposons de valoriser porteraient notamment sur le Brésil de Bolsonaro, les Philippines de Duterte, la Turquie d’Erdogan, l’Inde de Modi, la Hongrie de Orban et l’Etat d’Israël de Netanyahou. La façon dont les Etats-Unis ont résisté à la dérive « trumpiste » mériterait également un examen approfondi.
A/ Série « politique étrangère »
1/ 25 mars 2021: Populism and foreign policy. Insights from the global south
Sandra Destradi, Chair for International Relations, University of Freiburg, Germany.
Johannes Plagemann, research fellow at the Institute of Asian Studies, German Institute for Global and Area Studies (GIGA)
2/ 29 avril 2021, 12h-14h: Thorsten Wojczewski (King’s College London): Right-wing Populism and Foreign Policy: Insights from India and the United States
1/ Alain Chatriot, Myriam Ait-Aoudia, Clémentine Fauconnier et Alexandra Goulon : Quel déclin démocratique dans la France des années 30 – regards croisés des historiens et des politistes
2/ Murat Akan (Bosphorus University/IEA Paris): The Politics of De-democratization: A Comparative Analysis of India, Turkey and the Second French Republic
3/ Olivier Borraz: Populisme et inégalités – approches sociologiques
4/ Yann Algan et/ou Julia Cagé : Analyser le populisme en économiste
C/ Table ronde sur le passage du populisme à l’autoritarisme
Novembre 2021
1/ Sami Cohen : Netanyahou et le processus de dé-démocratisation en Israël
2/ David Camroux : Duterte, prototype de l’homme fort ?
3/ Elise Massicard : Le gouvernement du secteur associatif - ou comment les associations relaient la politique sociale dans la Turquie d'Erdogan
4/ Christophe Jaffrelot : Narendra Modi ou la réinvention du sultanisme ?
5/ Jacques Rupnik : La Hongrie de Orban : démocratie illibérale ou nouveau modèle européenne de l’autoritarisme ?
6/ Lauric Henneton : La résilience de la démocratie en Amérique : Les Etats-Unis en ont-ils fini avec le Trumpisme ?
A/ Série « politique étrangère »
25 mars 2021: Populism and foreign policy. Insights from the global south
Sandra Destradi, Chair for International Relations, University of Freiburg, Germany.
Johannes Plagemann, research fellow at the Institute of Asian Studies, German Institute for Global and Area Studies (GIGA)
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