Identification and Citizenship in Africa. Un livre et une web série
Présentation de l’ouvrage Identification and Citizenship in Africa. Biometrics, the Documentary State and Bureaucratic Writings of the Self dirigé par Séverine Awenengo Dalberto et Richard Banégas et de la web série.
Dans un contexte mondial de boom biométrique, cet ouvrage analyse « par le bas » les processus d’identification en Afrique pour en saisir les effets sur les relations entre les citoyens et l’État. Près de la moitié de la population du continent africain ne dispose pas d’identité légale selon la Banque mondiale et pour de nombreux États, la technologie biométrique est perçue comme une solution à la fois fiable et efficace à ce problème. Cet ouvrage collectif montre toutefois que les dispositifs biométriques, loin de sécuriser des identités, d’éviter les fraudes et de déjouer la défiance politique, peuvent en réalité contribuer à renforcer l’exclusion sociale et la polarisation des débats sur la citoyenneté et l’appartenance nationale. Cette recherche met en lumière le profond encastrement social et politique des identités légales et la résilience de l'État documentaire. S’appuyant sur des recherches empiriques menées dans treize pays, l’ouvrage documente les processus, les pratiques et les significations de l’identification légale en Afrique depuis les années 1950 jusqu’au boom biométrique. Par-delà l’opposition classique entre surveillance et reconnaissance, l’analyse des usages sociaux des pièces d’identité et des dispositifs d’identification renouvelle de manière inédite l’analyse de l’État au travail, des pratiques de la citoyenneté et des écritures bureaucratiques du soi en Afrique.
Cette recherche collective est partie d’une double observation. L’absence de recherche sur l’identification des individus et sur les documents d’identité en Afrique contraste fortement avec le rôle que ces dispositifs jouent dans de nombreuses situations de crise. La plupart des conflits contemporains en effet, résultent pour l’essentiel de crises de la citoyenneté, portent sur la question des droits et mettent en jeu les supports juridiques et politiques de leur reconnaissance, au premier rang desquels les « papiers » d’identité. Par-delà les modalités techniques et juridiques d’établissement de ces « pièces d’identité », les crises actuelles soulèvent des questions centrales sur les contours de cette « communauté imaginée » qu’est la nation, sur les fondements et les critères de spécification de la nationalité. Quelles sont les conditions historiques, sociales, économiques ou culturelles qui définissent le « vrai national » ou le « bon citoyen » et qui discriminent des « citoyens de seconde zone » ? Ces questions ne se posent pas seulement en périodes de crises mais aussi dans le quotidien de la vie ordinaire, où les papiers d’identité constituent des outils de revendication et de sécurisation des droits politiques et sociaux (individuels et collectifs) mais aussi de la reconnaissance de statuts.
Depuis les années 2000, les technologies biométriques sont présentées comme une solution magique pour combler ce que la Banque mondiale appelle le « déficit d’identité » et pour pallier les faiblesses des services d’état civil en Afrique. Ce postulat techniciste et globalisant ne permet pas de comprendre les disparités nationales et il obère les enjeux politiques de la modernisation biométrique des identités légales. Il rend invisibles les dispositifs multiformes de l’identification des personnes et il néglige les ancrages sociaux et culturels de ces dernières. Notre recherche interroge ce tournant numérique et ses effets sur la citoyenneté, l'État et les relations sociales : en Afrique, les logiques de « l’État biométrique » modifient-elles radicalement celles de « l'État documentaire » en conduisant à une conception radicalement différente du pouvoir et de l’appartenance citoyenne ? Les nouvelles technologies contribuent-elles à une désocialisation et à une dépolitisation des identités ? Incarnent-elles une étape supplémentaire dans un processus de surveillance ou, à l’inverse, sont-elles un outil d’inclusion sociale ?
Les documents d’identité sont abordés comme des points d’entrée empiriques et heuristiques qui permettent d’apporter un nouvel éclairage sur les questions de la formation de l’État et de la citoyenneté en Afrique. Contre nombre d’idées reçues, cette enquête collective souligne l’ancrage social et historique des pratiques d’identification dans les sociétés africaines.
Sous préfecture de Bouaflé, Côte d'Ivoire, janvier 2019. Copyright: Richard Banégas
Qui ?
L’ouvrage Identification and Citizenship in Africa. Biometrics, the Documentary State and Bureaucratic Writings of the Self résulte d’un programme de recherche collectif intitulé La vie sociale des papiers d’identité en Afrique coordonné par Séverine Awenengo Dalberto (historienne, CNRS-Institut des mondes africains, IMAf) et Richard Banégas (politiste, Centre de recherches internationales de Sciences Po, CERI). Le programme, soutenu par l’Agence nationale de la recherche, a été accueilli par deux centres de recherche (le CERI et l’IMAf), en collaboration avec des universités africaines, notamment du Sénégal et d’Afrique du Sud. Le projet initial impliquait une quinzaine de chercheurs qui ont mené leurs recherches dans une douzaine d’États d’Afrique sub-saharienne (Afrique du Sud, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Kenya, Mauritanie, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Tchad). Cette équipe multidisciplinaire et multi générationnelle de chercheur-e-s - historiens, politistes, anthropologues, et sociologues - s’est progressivement élargie au cours des cinq années de travail de terrain et d’archives pour couvrir également la Guinée et le Maroc1.
Comment ?
Le travail de terrain s’est déroulé selon une double perspective complémentaire : « par le haut », pour étudier les appareils d’identification comme technologies de pouvoir, mais aussi et surtout « par le bas », pour dépasser le paradigme stato-centré habituel et ainsi capter la profondeur sociale des identités légales. L'intention n’était pas d’opposer ces deux échelles d’observation mais, au contraire, de montrer leur articulation. A la suite d’Appadurai, nous avons également souhaité mettre l’accent sur la culture matérielle des papiers pour en tracer et pour raconter leur vie sociale et la biographie culturelle des papiers (Kopytoff) parfois singulière. Au cours de leur travail de terrain, les membres de l’équipe ont constamment navigué entre les bureaux des agences gouvernementales et l’espace social - parfois privé et intime - des individus. En effet, cette ethnographie du gouvernement des papiers ne s’est pas limitée aux bureaux climatisés des administrations centrales ou des multinationales de la biométrie. Elle a également inclus des travaux de terrain sur les autorités locales qui délivrent les documents et qui constituent les « avant-postes » du dispositif d’identification, en particulier dans les zones rurales. Certaines études ont cherché à saisir la relation complexe qui existe entre identité personnelle et « identité papier » au niveau de l'expérience individuelle. L’une des originalités de l’ouvrage collectif réside justement dans ce changement de perspective qui a permis d’analyser d’autres instances qui produisent des « papiers », et dans l’attention portée aux usages sociaux et individuels que les citoyens ordinaires en font en Afrique.
Quoi ? Une web série présentant le programme de recherche La vie sociale des papiers d'identité en Afrique
Une partie des contributeurs de l’ouvrage présentent leurs travaux de recherche et leur chapitre par le biais de capsules vidéos tournées au printemps 2021 :
- Introduction : La vie sociale des papiers d’identité en Afrique, Séverine Awenengo Dalberto & Richard Banégas
- Episode 1 : La biométrie électorale en Afrique, Marielle Debos
- Episode 2 : La fabrique biométrique de citoyens jetables au nord du Cameroun, Claude Mbowou
- Episode 3 : Côte d’Ivoire : la chaîne alimentaire des papiers d’identité, Richard Banégas
- Episode 4 : Identification légale et citoyenneté impériale au Sénégal, Séverine Awenengo Dalberto
- Episode 5 : Cartes d’identité et génocide des Tutsi au Rwanda , Florent Piton
- Episode 6 : Citoyens d’origine contrôlée au Nigeria, Laurent Fourchard
- Episode 7 : Identifier les migrants morts en Méditerranée, Alimou Diallo
- Episode 8 : L’enregistrement biométrique des réfugiés au Burkina Faso, Nora Bardelli
- Episode 9 : Papiers d’identité de village et terroirs moraux en Ouganda, Florence Brisset-Foucault
- Episode 10 : La quête d’identité des Maragoli d’Ouganda, Sandrine Perrot
- Episode 11 : Bureaucratiser l’autodéfense au Burkina Faso, Romane Da Cunha Dupuy
Pour en savoir plus
- Awenengo Dalberto S., Banégas R. (dir.), « Citoyens de papier » , Genèses, n°112, septembre 2018, pp. 3-103.
- Awenengo Dalberto S., Banégas R., Cutolo A. (dir.), Biomaîtriser les identités ? , Politique africaine, n°152, 2018, pp. 5-163
- Awenengo Dalberto S, « La première carte d’identité d’Afrique occidentale française (1946-1960). Identifier et s’identifier au Sénégal au temps de la citoyenneté impériale », Annales. Histoire, sciences sociales, Vol. 75e année, n° 1, 2020, pp. 113-151.
- Page du projet PIAF sur le site du CERI
- Blog du projet PIAF sur Hypothèses
Photo de couverture : sous préfecture de Bouaflé, Côte d'Ivoire, janvier 2019. Copyright : Richard Banégas
- 1. Afin notamment d’inclure les membres de l’IHA (Paris)–CREPOS programme Identity, Identification and Bureaucratization in Sub-Saharan Africa (19th-20th century) (2015-2018) mis en place à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, coordonné par Séverine Awenengo Dalberto et soutenu financièrement par la Fondation Max Weber.