L’Amérique centrale aux urnes (2011-2014)

25/09/2014

Du Belize jusqu’au Panama, l’Amérique centrale demeure une terre de contrastes. Dotée d’une incroyable richesse environnementale, elle est vulnérable. La répétition de catastrophes naturelles (ouragan Mitch en 1998, tempête E-12 en 2012) en est une tragique illustration. Stratégique sur un plan géopolitique, l’Amérique centrale connaît des retards en matière de développement social et des niveaux de violence records. En dépit de ces obstacles, elle revêt un intérêt économique et commercial croissant pour de nombreux entrepreneurs nord-américains, asiatiques et européens. Les accords de libre-échange signés entre les pays de la région et les Etats-Unis, l’Union européenne ou encore des Etats asiatiques (Taiwan, Singapour, Chine) en témoignent. L’histoire contemporaine de l’Amérique centrale est celle d’une insertion politique et économique internationale à grande vitesse, entachée toutefois d’une fragilité démocratique certaine.
Le cycle électoral centraméricain qui s’achève soulève un voile d’ignorance posé sur l’isthme depuis la fin des conflits civils armés des années 1980. Entre 2011 et mai 2014, chacun des Etats de la région a organisé un scrutin présidentiel. L’isthme centraméricain tout entier a dû choisir entre la continuité et le changement alors que les gouvernements sortants, attentifs aux conséquences de la crise économique et financière de 2008-2009, promouvaient l’accélération du libre-échange dans la région (un sujet traditionnellement clivant).
L'observation du déroulement de ces élections permet de dresser un bilan politique de l’Amérique centrale qui est aujourd’hui à une période charnière.



Dans la grande majorité des pays de la région, le cycle électoral s’est déroulé dans un contexte d’instabilité. Les Etats d’Amérique centrale font aujourd’hui face à une triple perte de contrôle : territoriale, juridique et démocratique. Ils connaissent également une instabilité gouvernementale1 qui découle de la très forte personnalisation de la vie politique et d’une élévation significative de la corruption. On mentionnera également le climat délétère dans lequel baignent les élites politiques (quatre anciens chefs d’Etat ont été condamnés par la justice2). Un journal espagnol a récemment parlé de l’Amérique centrale comme d’une « fabrique de présidents suspects »3. La méfiance à l’égard des acteurs politiques, et plus globalement de « la » politique, est aujourd’hui à son zénith dans la région. De ce fait, la participation constituait un enjeu central tout comme tout comme la crainte de l’émergence de candidats antisystèmes. S’ajoute à cette situation une violence endémique qui résulte autant de dynamiques géostratégiques (flux informels) que de la persistance de fortes inégalités sociales, l’état de la démocratie apparaît comme profondément dégradé.
Revenons dans un premier temps sur les caractéristiques centrales de ce contexte troublé avant d’analyser les résultats et principales leçons que nous ont données les élections.

 

Malaise démocratique

Instabilité gouvernementale

Le malaise démocratique qui caractérise actuellement la région s’explique tout d’abord par une forte instabilité gouvernementale qui a tourné ces dernières années à la « valse ministérielle ». En observant les derniers gouvernements des cinq Etats de la région, on comptabilise cent vingt deux changements de ministres, dont un tiers a eu lieu au cours des deux premières années de mandat du gouvernement. Lorsqu’ils touchent des ministères régaliens, ces remaniements réduisent la capacité de l’Etat à répondre aux attentes des citoyens et nourrissent un sentiment généralisé de corruption au sein de la population. Dans le tableau ci-dessous, nous indiquons le nombre de changements de ministres et de vice-ministres pour chacun des gouvernements mentionnés.



Le premier constat qui s’impose est que le suivant : l’ensemble des Etats centraméricains sont affectés par l’instabilité gouvernementale. Alors que le Costa Rica a la réputation d’être le pays le plus stable et le plus pacifique de la région, les données nous permettent de montrer que le gouvernement de Laura Chinchilla dans ce pays présente, avec celle d’Alvaro Colom au Guatemala, le plus fort taux d’instabilité gouvernementale de la région. Au Guatemala, vingt et un ministres ont soit changé de portefeuille, soit quitté précocement le gouvernement en deux ans4. En plus de ces ministres démissionnaires – ou « démissionnés » –, neuf vice-ministres ont été également remplacés. De la même manière, au Costa Rica, treize ministres et dix vice-ministres se sont succédés à des fonctions régaliennes au cours des trois premières années du mandat de Laura Chinchilla. Dans une moindre mesure, le Salvador, le Nicaragua et le Honduras ont connu une forte instabilité connaissant respectivement onze, dix et six changements ministériels. Au Salvador, on notera également que deux secrétaires techniques de la présidence et quinze vice-ministres ont également été remplacés en cours de mandat. Seul le Panama fait une fois de plus exception avec cinq changements ministériels durant les quatre premières années du gouvernement du président Ricardo Martinelli. Ceci étant, un changement majeur est à noter avec l’implosion du pacte Martinelli-Varela (qui ensemble formait la coalition au pouvoir), actée par la démission de Juan Carlos Varela des fonctions de vice-président et ministre des Relations extérieures, qui a profondément déstabilisé le gouvernement Martinelli pendant toute la durée de son mandat.
Cette « valse gouvernementale » constitue une variable explicative forte de la perte de légitimité des gouvernements de la région qui, par ces revirements permanents des équipes exécutives, montrent leur incapacité à réagir face aux enjeux nationaux et internationaux. Deux éléments viennent appuyer ce constat, la précocité des remplacements ministériels dans la durée des mandats présidentiels et à la nature des portefeuilles touchés par ces changements.

Débutant son mandat présidentiel le 14 janvier 2008, Alvaro Colom remplace son ministre de la Communication Luis Alfredo Alejos Olivero accusé, au côté de seize autres fonctionnaires, d’avoir illégalement endetté l’Etat guatémaltèque. Au Nicaragua, Daniel Ortega entre en fonction le 10 janvier 2007. Dés le 12 février, soit à peine un mois après l’entrée en fonction du gouvernement, le ministre de la Famille est débarqué. Deux mois plus tard, le Président Ortega remplace le ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles. Le 21 avril, c’est au tour du ministre de l’Education, de la Culture et du Sport de quitter l’équipe gouvernementale. Entre cette date et le 14 novembre 2007, soit durant la première année de gouvernement, les ministres de la Défense, du Développement et de l’Industrie et de la Santé changent de mains au sein du gouvernement sandiniste. On constate dans ce cas nicaraguayen que les postes renouvelés sont stratégiques pour l’action étatique. Le président Porfirio Lobo, au Honduras, procèdera de la même manière quelques mois après sa prise de fonction en débarquant son ministre de l’Industrie et du Commerce. Au Panama, le ministre du Développement agricole quitte le gouvernement Martinelli au cours de la première année de mandat. En fonction depuis le 1er juin 2009, le président de la République salvadorienne, Mauricio Funes, procède dès la première année au changement de membres de son secrétariat technique (Culture et Affaires législatives et juridiques) et au replacement du vice-ministre du Tourisme. Au Costa Rica, si aucun changement n’a eu lieu la première année du mandat de Laura Chinchilla, huit remplacements de ministres et cinq de vice-ministres surviennent dans le courant de la deuxième année.

En prenant en considération l’ensemble de ces changements, et à la lumière des portefeuilles ministériels, on constate que les destitutions/nominations concernent les portefeuilles stratégiques et les postes régaliens. Un seul chef d’Etat – le guatémaltèque Alvaro Colom – a été en mesure de conserver son ministre des Relations extérieures durant la totalité de son mandat. Les postes liés à la gestion de l’économie, des finances, de l’industrie et du commerce sont particulièrement exposés. En effet, tous les Etats centraméricains ont, au cours de la dernière législature, renouvelé au moins un poste relatif à la gestion de l’économie nationale. Au Guatemala, quatre ministres de l’Economie se sont succédés, trois ministres des Finances et quatre ministres de l’Industrie et du Commerce au Honduras, ainsi que trois vice-ministres du Commerce et de l’Industrie au Salvador.
L’éducation, la santé, les infrastructures, l’agriculture sont également des secteurs sensibles pour les intérêts des nations centraméricaines et constituent des postes particulièrement exposés à l’opinion publique. Ces remplacements ne relèvent pas d’une volonté de renforcement de l’efficacité de l’exécutif mais sont consécutives à des « affaires » et des polémiques. On constatera que sur les cinquante personnes nommées par le président Funes au Salvador en 2009, vingt seulement sont toujours en poste et trente ont quitté le gouvernement dont vingt à la suite de polémiques publiques ou privées5. La légitimité des Etats centraméricains est donc fortement affectée par la corruption et la personnalisation du pouvoir. Cet affaiblissement de la légitimité étatique s’est imposé comme un des principaux problèmes de l’action et de la légitimité de l’action étatique en Amérique centrale. C’est dans ce contexte que les Etats de la région ont renouvelé leur chef d’Etat..


Instabilité juridico-institutionnelle

Les échéances électorales font souvent émerger les débats sur d’éventuelles réformes constitutionnelles. La capacité de réélection aux plus hautes fonctions de l’Etat constitue bien souvent l’enjeu de ces débats. Les exemples les plus récents de ces débats nationaux où des « manipulations » de la Constitution ont été constatés au Nicaragua et au Guatemala.
Au Nicaragua, depuis sa réélection à la tête de l’Etat en 2006 (après un premier mandat effectué à la fin des années 1980), Daniel Ortega tente de faire voter une réforme constitutionnelle qui lui permettrait d’être réélu indéfiniment. Celle-ci a été rendu possible par la Cour suprême du pays, alors composée de huit magistrats sandinistes pour sept du Parti libéral et présidée par Arnoldo Aleman, ancien président de la République. La demande d’intervention de la Cour pour que Daniel Ortega puisse se présenter de façon indéfinie à l’élection présidentielle a été introduite par Rafael Solis, magistrat proche du président. Compte tenu de l’équilibre des forces en présence, la Cour suprême ordonna au Conseil suprême électoral de permettre à Daniel Ortega de se présenter pour l’élection présidentielle de 20116, ce qui constituait une attaque au principe de neutralité de la Cour et du système judiciaire nicaraguayen. A la veille du scrutin, le Nicaragua n’a donc pas craint de présenter l’image d’un pays où la légalité peut être bafouée et les règles constitutionnelles instrumentalisées et d’affaiblir encore davantage la confiance en l’Etat des électeurs qui ne peuvent que constater l’accroissement de la corruption et la « séquestration » de l’appareil étatique par l’appareil partisan du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) et par son dirigeant Daniel Ortega.
Nouvellement élu à la Présidence, Daniel Ortega a remis la question de son maintien au pouvoir au coeur du débat en 2013, contribuant par là-même à rendre encore plus instable l’Etat de droit au Nicaragua. Le 29 janvier 2014, il a enfin obtenu le vote du parlement sur une réforme constitutionnelle (notamment la suppression de l’article 147) autorisant la réélection indéfinie d’un candidat à la tête de l’Etat, renforçant les prérogatives présidentielles comme le pouvoir de l’armée. Désormais, le président nicaraguayen pourra prendre des décrets ayant force de loi en faisant fi de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif.

Au Guatemala, l’imbroglio constitutionnel qui s’est créé autour de l’élection présidentielle de 2011 faisait écho à la candidature à la présidence de la République de l’épouse du chef de l’Etat en exercice, Alvaro Colom. Sandra Torres, qui souhaitait succéder à son époux, a ouvert un débat constitutionnel, notamment sur l’interprétation d’un article de la Constitution, interdisant à un membre de la famille du président d’être candidat à sa succession. Afin de contourner cette interdiction constitutionnelle, les époux Colom-Torres avaient alors décidé de divorcer. Face à un évident contournement de la Constitution, le Tribunal suprême électoral et la Cour constitutionnelle ont interdit à la première dame de se présenter.
Au Salvador, équilibre entre les pouvoirs a été mis a mal lors d’une grave crise politico-institutionnelle survenue en juillet 2012, portant  sur la nomination de cinq magistrats de la Cour suprême de justice. Profitant d’un calendrier électoral favorable, la majorité parlementaire a procédé au renouvellement de deux tiers de la Cour alors que la Constitution n’autorise qu’un renouvellement par législature. En réactivant le spectre de l’instabilité institutionnelle, cette crise a contribué à augmenter la méfiance des citoyens à l’égard des partis politiques et des institutions et à bloquer le processus de réformes politiques.
L’instrumentalisation des Constitutions nationales par une élite politique cherchant à se maintenir au pouvoir attestent d’une crise de la gouvernabilité démocratique qui affecte aujourd’hui l’ensemble de la région centraméricaine.

Les leçons des scrutins

Pour les dernières élections d’Amérique centrale, les lois électorales de plusieurs pays ont été modifiées (Costa Rica, 2009 ; Honduras, Guatemala et Panama, 2007). Lors des précédentes élections présidentielles, l’Organisation des Etats américains (OEA) avait signalé de nombreuses faiblesses des systèmes électoraux, notamment en matière de contrôle et de transparence du financement des partis politiques et d’accès aux médias  Au Salvador, une réforme du code électoral a été mise en œuvre afin d’appliquer les recommandations de l’organisation intergouvernementale américaine, c’est-à-dire encadrer le financement des partis politiques, contrôler les fonds publics (notamment les subventions accordées aux partis) et assurer la transparence et la diffusion de l’information. La réforme du code électoral s’est conclue avec le décret 413 du 3 juillet 2013 qui instaure un contrôleur électoral (veedor electoral), le vote des Salvadoriens de l’étranger et une loi sur les partis politiques (contrôle et limitation des financements).

L’une des principales innovations de ce cycle électoral a été indéniablement l’autorisation par le Salvador et le Costa Rica du vote des citoyens résidant à l’étranger. Malgré cette réforme, les Salvadoriens et les Costariciens résidant hors de leur pays ont peu utilisé leur droit de vote : 22% de participation au Costa Rica et 23,7% au Salvador. La réforme était importante pour le Salvador puisqu’un quart de la population du pays vit à l’étranger, principalement aux Etats-Unis. L’octroi du droit de vote aux Salvadoriens de l’étranger7 créait une véritable inconnue mais la faible participation n’a pas engendré de bouleversement du panorama électoral national.
L’amélioration des procédures électorales n’a cependant pas été soutenue par  la population qui continue à exprimer sa perte de confiance dans le système politique. Par conséquent, la démocratie demeure fragile. Si les gens expriment leur foi dans les vertus de la démocratie, ils restent majoritairement insatisfaits à l’égard de la manière dont elle s’exerce d’un point de vue systémique.

Le désintérêt à l’égard de la politique est important. En effet, seulement 23% des Centraméricains déclarent être intéressés par la politique. La méfiance envers les partis politiques, considérés comme les plus corrompus des acteurs, et la croyance en la toute puissance d’une petite élite économique contribuent à décrédibiliser les joutes électorales qui devraient pourtant être de grands rendez-vous de la démocratie. Le fonctionnement du système démocratique est remis en cause. Si le vote est obligatoire dans les pays centraméricains, à l’exception du Nicaragua, la majorité des pays (Costa Rica, Guatemala, Panama, Salvador) ne sanctionnent pas l’abstention, la participation aux élections présidentielles constituait donc un véritable enjeu.
Malgré l’essor de la corruption et la perte de confiance dans les partis politiques et les politiques gouvernementales, la mobilisation des citoyens est restée relativement élevée, comme l’indiquent les chiffres ci-dessous.

Ouverture de l’échiquier politique et fin du bipartisme

L’ouverture des échiquiers politiques nationaux et l’implosion du bipartisme dans chacun des Etats constituent des leçons majeures des élections organisées en Amérique centrale au cours des cinq dernières années.
En termes d’ouverture du spectre politique, seul le Guatemala fait office d’exception avec une réduction du nombre de candidats à la Présidence (de 14 à 10 candidats). On atténuera cette exceptionnalité en indiquant que « l’univers partisan est caractérisé par une absence fondamentale de continuité »8. Sanchez qualifie même le système guatémaltèque de « non-système partisan »9 . Mis à part ce pays, on observe une augmentation nette du nombre de candidats présidentiels pour l’ensemble des Etats de la région.


Au Honduras, la deuxième position du parti de centre gauche LIBRE, conduit par Xiomora Castro (épouse de l’ex-Président destitué en 2009, Manuel Zelaya) a mis fin à cent ans de bipartisme dans un contexte post-électoral tendu, Xiomora Castro ayant refusé d’accepter sa défaite pendant plusieurs semaines.
Au Costa Rica, le candidat du Parti Action citoyenne (PAC), Luis Guillermo Solis, a créé une rupture après trois mandats successifs du Parti Libération nationale (PLN) et mis un terme à l’alternance traditionnelle PLN/PUSC (Parti Unité sociale chrétienne). Même si cette ouverture de l’échiquier politique était déjà en marche depuis 2002 depuis les annonces de libéralisation des secteurs de l’électricité et des télécommunications (Combo ICE10) et de la signature d’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis (CAFTA-RD11). Capitalisant sur ces épisodes contestataires, le PAC, fondé et dirigé à cette époque par Otton Solis, est parvenu à s’imposer comme la deuxième force politique du pays et à incarner l’opposition au néolibéralisme. Après 2002, le PAC est arrivé en deuxième position à chaque élection présidentielle. La recomposition du spectre politique s’explique également par la recomposition interne de la droite dans un pays qui connaît la plus faible polarisation idéologique de la région. Le PUSC s’est progressivement délité au profit d’une droite plus libérale et radicale incarnée par le Mouvement libertaire12.
Au Salvador, pays historiquement extrêmement polarisé, UNIDAD, formation récemment créée par l’ancien Président Antonio Saca, a réussi à capter 11,39% des voix au premier tour et s’est positionné comme arbitre lors du second tour.
Si l’ouverture des scènes politiques nationales témoigne d’une certaine amélioration de l état de la démocratie dans la région, des signaux contradictoires viennent contrebalancer ce bilan.

Les élites politiques : un renouvellement de façade

Le cycle électoral centraméricain a été profondément marqué par la continuité, notamment pour le Salvador, qui avait connu une alternance historique en 2009 avec la victoire de parti Farabundo Marti de libération nationale  (FMLN, gauche) ; le Costa Rica, où le Parti Libération nationale (PLN, centre droit) d’Oscar Arias (2006-2010) puis Laura Chinchilla (2010-2014) avait gouverné durant deux mandats successifs ou encore le Nicaragua, qui, en 2011, a vu Daniel Ortega se présenter pour la troisième fois à la présidence de la République.



Lors de l’élection présidentielle de 2014, Luis Guillermo Solis postulait pour la première fois à une fonction politique. Néanmoins, il n’était pas totalement étranger aux arcanes du pouvoir et de la gestion gouvernementale. Bien qu’il affirme ne pas appartenir à la classe politique traditionnelle, il a, très jeune, occupé des postes de la haute fonction publique en assumant dès 1986 la fonction de chef de cabinet du ministre des Relations extérieures et du Culte, Rodrigo Madrigal Nieto. Dans le gouvernement libérationniste (PLN) de José Maria Figueres, Luis Guillermo Solis a occupé les fonctions d’ambassadeur pour les affaires centraméricaines puis de directeur de la politique extérieure au ministère des Relations extérieures. Proche du PLN, il est devenu secrétaire général du parti en 2002 avant de le quitter trois ans plus tard pour le Parti Action citoyenne (PAC). Ainsi, Luis Guillermo Solis est depuis la fin des années 1980 étroitement lié à la classe politique et dirigeante de son pays. Son profil d’universitaire constitue certes une nouveauté dans le paysage politique costaricien mais il ne peut être considéré comme le symbole d’un renouvellement de l’élite politique. 

Au Panama, Juan Carlos Varela, qui appartient à une famille de tradition conservatrice (tendance arnulfiste13) tient depuis 2008 un discours sur la nécessité d’une rénovation des cadres politiques. Les Varela ont été militants actifs du Parti panaméen (PP) Juan Carlos Varela a été sous-directeur de campagne de Mireya Moscosa lors de l’élection présidentielle – perdue – de 1994 et son frère a été député. Egalement engagé dans le monde entrepreneurial, il a oscillé pendant de nombreuses années entre divers courants politiques et a noué lors de l’élection présidentielle de 2009 une alliance avec Ricardo Martinelli. Comme son homologue costaricien, le Président élu lors du scrutin du 4 mai 2014 prône un discours de rénovation, de dépassement de la politique partisane et de la confrontation tout en étant lui-même issue d’une tradition familiale de militantisme.

Au Honduras, Juan Orlando Hernandez se présente comme un jeune dirigeant centraméricain ; à 48 ans,  il est le plus jeune Président jamais élu dans l’isthme centraméricain. Avant d’atteindre les plus hautes fonctions de l’Etat, il a occupé de nombreuses fonctions politiques, notamment au sein du parlement national. Devenu à vingt ans député pour la première fois de la circonscription de Lempira (ouest du pays), Hernandez est réélu consécutivement à trois reprises, il devient chef du groupe PLH du Parlement en 2004 puis Président du cette institution en janvier 2010 lors de la crise nationale qui a fait suite au coup d’Etat de juillet 2009. Malgré sa jeunesse, Juan Orlando Hernandez a déjà à quarante-six ans une carrière politique longue de plus de vingt ans.

Depuis la fin des guerres civiles qu’a connu l’Amérique centrale il y a vingt ans, les élites politiques ne se sont donc que partiellement renouvelées. Les Présidents des trois autres Etats de la région ont directement pris part aux conflits dans les années 1980 : Otto Perez Molina au Guatemala, Salvador Sanchez Cerén  au Salvador et Daniel Ortega au Nicaragua. Si Varela (Panama), Solis (Costa Rica) et Hernandez (Honduras) incarnent une nouvelle « génération » politique, ils ne constituent pas pour autant une « nouvelle élite » exerçant une influence dominante sur la définition et la production des décisions publiques, disposant de nouvelles ressources ou utilisant de nouvelles méthodes. En effet, les réseaux qui assurent la perméabilité entre élite politique et élite économique consolident l’oligarchie au pouvoir et alimentent la critique à l’égard du système politique.


Le néo-patrimonialisme

Si la démocratie passe entre autre par une séparation des pouvoirs, elle se consolide également lorsque le politique et l’économique sont distincts l’un de l’autre. Aujourd’hui, les relations existant entre les principaux entrepreneurs de la région et le pouvoir politique constituent le ferment d’un « néo-patrimonialisme » qui affecte la légitimité déjà écornée d’Etats manquant de ressources économiques et dépendants de l’extérieur. Ce phénomène est consubstantiel à l’histoire politique et économique de la région. Depuis les indépendances (1821), les grandes familles oligarchiques possédant les terres ont souvent monopolisé les ressources nécessaires à l’exercice du pouvoir politique. Le faible degré d’institutionnalisation de ce dernier a très largement favorisé sa patrimonialisation. La carrière entrepreneuriale a longtemps constitué un prérequis au lancement de la carrière politique, les ressources économiques servant à financer les activités politiques. Aujourd’hui encore, les grands entrepreneurs de l’isthme centraméricain en sont également les principaux acteurs politiques. Plusieurs figures contemporaines illustrent cette réalité : Mario Canahuati au Honduras, Antonio Saca au Salvador, José Maria Figueres Olsen au Costa Rica, Alvaro Arzu au Guatemala, Ricardo Martinelli au Panama  ou encore Eduardo Montealegre au Nicaragua. Le tableau ci-dessous offre un rapide aperçu des relations existant entre acteurs économiques et politiques et du passage constant entre le secteur privé et public.



On parlera de néo-patrimonialisation car cette ancienne oligarchie fondée sur la possession des terres s’est transformée en une élite économique dont les activités et les ressources reposent à présent sur des activités de service en raison de la tertiarisation, de la libéralisation et de l’ouverture globale des économies centraméricaines. 

En conclusion, le récent marathon électoral nous a enseigné que les élections passaient, que les dirigeants se succédaient mais que rien ne changeait véritablement en Amérique centrale. L’isthme reste marqué par des dynamiques structurantes que sont l’instabilité gouvernementale et la domination oligarchique qui ternissent l’optimisme issu de l’ouverture des échiquiers politiques nationaux. Indéniablement, les chefs d’Etat récemment élus devront se départir des réflexes oligarchiques hérités du passé et ouvrir la région à de nouvelles opportunités, notamment à travers la recherche de nouveaux modes de gouvernance régionale. Face à la rareté des ressources, la similarité des problématiques qui affectent les Etats de l’isthme (vulnérabilité environnementale, la violence transnationale et le développement), les dirigeants en fonction font face au défi de la réactivation du dialogue régional et des mécanismes de coordination qui permettront, d’une part, de répondre aux attentes des citoyens et, d’autre part, de renouveler la confiance à l’égard du système politique.

  • 1. Nous avons étudié les gouvernements des Etats centraméricains : pour le Salvador, nous avons analysé les années du mandat de Mauricio Funes (2009-2014) ; le gouvernement Alvaro Colom (2008-2012) pour le Guatemala ; Daniel Ortega au Nicaragua (2006-2012) ; Porfirio Lobo au Honduras (2009-2014) ; Laura Chinchilla (2010-2014) au Costa Rica et Ricardo Martinelli (2010-2014) au Panama.
  • 2. Pour les cas les plus récents qui ont étayés les presses nationales : Francisco Flores (Salvador, 1999-2004), Alfonso Portillo (Guatemala, 2000-2004), Efrain Rios Montt (Guatemala, 1982-1983).
  • 3. Le quotidien El Pais indique que sur trente-deux personnes qui ont exercé le pouvoir en Amérique centrale entre 1990 et 2010, treize ont été suspectées d’avoir tiré personnellement profit de leur mandat.
  • 4. « Guatemala : baile de ministros en el gabinete de Alvaro Colom », Hola Ciudad, 2 mars 2010.
  • 5. « El Gabinete del cambio », El Faro, 7 octobre 2013.
  • 6. « El Tribunal Suprema de Nicaragua da vía libre a la reelección de Ortega », El País, 21 octobre 2009.
  • 7. Un vice-ministère des Salvadoriens de l’étranger avait été créé en 2004.
  • 8. Sanchez Omar, « Party non-systems: A conceptual Innovation », Party Politics, 15 (4), 2009, pp. 487-520.
  • 9. Ib.
  • 10. Institut costaricien d’électricité.
  • 11. Central American Free Trade Agreement – Dominican Republic.
  • 12. Barry Cannon, « The Right », in Salvador Marti i Puig et Diego Sanchez-Ancochea (dir.), Handbook of Central American Governance, Routledge, 2013, p. 229.
  • 13. Le courant « arnulfiste » repose sur la pensée de Arnulfo Arias Madrid dont la doctrine politique s’inscrit dans le sentiment d’unité nationale panaméenne. Ce courant s’incarne dans le Parti panaméen (PP) qui a été créé en 1948.
Retour en haut de page