Le monde en 2030 – La fin de l’Europe ?
Romain Gubert, avec la contribution de Christian Lequesne
ÉPISODE 9. Le Brexit, les populistes, l’offensive de la Chine… Et si l’Union européenne était condamnée à la disparition ? En partenariat avec Sciences Po Ceri.
Dans quelques jours (le 31 janvier), Boris Johnson, fort d’une majorité acquise à la sortie de l’Union européenne, mettra fin à une aventure longue de près de 40 ans entre la Grande-Bretagne et le Vieux Continent. L’année 2020 commence donc pour l’UE par le départ de l’une de ses principales économies et d’un pays européen majeur. Entre le référendum de 2016 favorable au Brexit et la sortie effective, il ne s’est passé que quatre petites années. Ce n’est pas beaucoup pour un divorce après quatre décennies de vie commune.
Le Brexit annonce-t-il d’autres sorties dans les années à venir ? Ce n’est pas l’avis de Christian Lequesne, professeur et chercheur au Ceri Sciences Po sur les questions européennes. « Le Brexit est une spécificité britannique. Et dans aucun pays, même chez ceux qui comptent beaucoup d’eurosceptiques, il n’y a de majorité pour sortir de l’UE. En Hongrie, en Pologne ou en Italie, il y a certes une frange importante de l’électorat très critique envers Bruxelles et le fonctionnement de l’UE. On aurait pu, ces quatre dernières années, pendant les négociations, assister à une stratégie de la part des Britanniques pour emmener avec eux plusieurs pays qui auraient pu avoir envie de nouer une alliance bilatérale avec la Grande-Bretagne, puissante et riche, pour laisser tomber l’Europe. Mais cela n’a pas été le cas. Les tentatives britanniques pour fracturer l’UE n’ont eu aucun succès. Malgré la crise migratoire et malgré la crise financière qui frappe encore plusieurs pays. En fait, tout le monde comprend, pour des raisons différentes, que le marché unique est une chance. Malgré ses contraintes. Les Européens ont rangé leurs divisions pour négocier de front avec Londres.
La guerre des valeurs
En revanche, sur les « valeurs » européennes, les clivages sont beaucoup plus complexes. La Hongrie ou la Pologne contestent les valeurs traditionnelles de l’UE, ce que n’a jamais fait la Grande-Bretagne qui, sur ce plan, est en ligne avec l’Allemagne ou la France.
Viktor Orban et le gouvernement polonais jouent les valeurs chrétiennes, ils dénoncent le mariage homosexuel, la permissivité des mœurs… Ce que n’ont jamais fait les Britanniques. Avec cette tendance pour les dix années à venir : l’Europe va continuer à être animée, déchirée parfois, par des forces centrifuges. Mais tout en étant soudée par des intérêts économiques vitaux. C’est donc à une sorte de statu quo politique et institutionnel que l'on peut s’attendre dans la décennie qui vient. Avec un lent délitement du projet européen tel qu’imaginé par les pères fondateurs, puis leurs successeurs, qui rêvaient de construire une économie forte, mais aussi un espace politique.
Le seul responsable actuellement aux commandes en Europe qui souhaite réellement inverser le déclin, c’est Emmanuel Macron. Son constat est irréprochable. Mais sa méthode ne convient pas. L’alliance traditionnelle avec Allemagne qui pourrait changer durablement les choses ne fonctionne plus. Merkel est en fin de vie politique et sa succession est mal engagée, la CDU est chahutée par son courant le plus conservateur et par la CSU qui assiste à la progression de l’AfD. Le SPD n’est pas aujourd’hui en mesure de séduire les Allemands, etc. Macron essaie de convaincre des Allemands de relancer le projet européen alors que celui-ci fragilise la coalition SPD-CDU.
Les populistes en ordre de bataille
Dans les dix ans qui viennent, les forces populistes vont continuer à prospérer. C’est durable, et pas seulement en Europe. Car le débat politique ne se résume plus à un clivage gauche-droite, il repose désormais sur des lectures du monde : la globalisation vs le protectionnisme. Le capital vs le travail. Les élites vs les classes moyennes. L’immigration vs l’ouverture sur le monde… Or, ces débats majeurs touchent toutes les démocraties. Le populisme va donc prospérer. Et dans ce contexte, l’UE est un bouc émissaire idéal.
Cela dit, je ne crois pas à l’effondrement de l’UE ni à une révolution institutionnelle. Mais à l’équilibre des forces. À moins bien sûr que les populistes ne triomphent tous ensemble, en même temps, dans les pays fondateurs. Les dix années qui viennent sont pourtant vitales pour l’UE. Nous le voyons sur les questions stratégiques alors que les États-Unis poussent l’Europe à se prendre en main. Mais je ne vois pas d’avancée majeure dans ce domaine. C’est la même chose avec la Chine, c’est l’autre grand sujet pour l’UE qui doit clarifier ses relations avec la nouvelle puissance qui domine le monde. Or, chaque pays de l’UE joue sa partition. Les Chinois ont su séduire la Grèce, puis le Portugal, puis l’Italie… Et pour éviter que l’UE ait une position forte et commune. »
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