Le Venezuela en crise, l’Amérique du sud tétanisée
Dire que la grave crise qui secoue le Venezuela depuis deux semaines embarrasse l’Amérique du Sud est un euphémisme. Alors qu’elle avait fait preuve depuis le début de ce siècle d’une capacité tout à fait inédite à résoudre ses crises sans interventions extérieures, la voilà tétanisée, dans la crainte d’un dénouement violent.
Qu’on en juge. L’Union des nations sud-américaines (UNASUR), réunissant les dix pays d’Amérique du sud, a, dès ses débuts en 2008, été en mesure d’offrir une médiation efficace à une Bolivie en proie à des tensions sécessionnistes. L’année suivante, elle a éteint un incendie allumé par la signature d’un accord militaire entre la Colombie et les Etats-Unis. En 2010, elle adopte une ambitieuse clause démocratique, à la suite d’un soulèvement policier menaçant le président Correa en Equateur. Au nom de cette clause, en 2012, elle décide à l’unanimité d’exclure le Paraguay après le coup d’Etat perpétré contre son président Lugo. En 2013, l’UNASUR soutient le nouveau président vénézuélien Maduro, dont l’élection est contestée, et se range derrière Evo Morales lorsque le président bolivien exige des excuses des Européens qui ont refusé à son avion le survol de leur territoire.
Chacune de ces crises a donné lieu à la convocation dans l’urgence d’un sommet extraordinaire, à l’occasion duquel les présidents sud-américains ont su réagir collectivement.
Rien de tel à propos de la crise actuelle au Venezuela. Un sommet extraordinaire ne servirait en effet qu’à étaler au grand jour des dissensions déjà audibles. L’Amérique latine est en effet divisée et les diatribes du président Maduro contre un complot ourdi par ses ennemis fascistes soutenus par les Etats-Unis et la droite latino-américaine n’arrangent rien. Les amis bolivariens du Venezuela n’ont pas manqué d’abonder dans ce sens. Evo Morales dénonce la main de l’impérialisme, tandis que Rafael Correa fait un parallèle avec la droite « fasciste » qui vient de remporter la mairie de Quito aux élections municipales du 23 février dernier. A l’inverse, la Colombie et le Chili appellent le gouvernement vénézuélien à la retenue vis-à-vis des étudiants en colère.
Comment en est-on arrivé là alors que le continent parvenait tant bien que mal à construire du consensus et produire des compromis ?
L’Amérique du sud souffre aujourd’hui d’un déficit chronique de leadership.
Au début des années 2000, le couple formé par Cardoso et Lagos, les présidents brésilien et chilien, avait permis de lancer une dynamique prometteuse de sommets sud-américains. Plus tard, Lula et Chavez ont été les moteurs du montage d’un projet de régionalisme innovant, qui a débouché en 2008 sur la création de l’UNASUR et le règlement des crises évoquées plus haut.
Aujourd’hui, Dilma Rousseff, la présidente du Brésil, qui ne porte pas un intérêt débordant aux questions internationales, doit faire face à une croissance médiocre, et prépare une délicate coupe du monde de football tout en faisant campagne pour sa réélection. La très efficace diplomatie brésilienne est sans doute en train de manœuvrer dans l’ombre pour éviter toute rupture de l’ordre démocratique, mais Rousseff a bien d’autres soucis en tête.
Aucun autre chef d’Etat, à l’exception peut être de la nouvelle présidente du Chili Michelle Bachelet qui entre en fonction le 11 mars prochain, n’a la capacité d’orchestrer une réaction collective à la crise en ralliant des points de vue radicalement opposés.
L’UNASUR n’est pas non plus en mesure de prendre une telle initiative. Présidée par le peu fréquentable chef d’Etat du Surinam, Bouterse, et dépourvu de secrétaire général depuis des mois, l’institution n’a pas la capacité de s’imposer.
La crise vénézuélienne agit comme un révélateur des faiblesses du régionalisme sud-américain, peu institutionnalisé et donc dépendant des équilibres politiques du continent.
La crise au Venezuela, doments et analyses à lire sur le site de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes