Leçons politiques d'un échec japonais
Article publié le 6 août 2012, en partenariat avec Ouest France
En 2009, le Japon a connu sa première véritable alternance politique en plus d'un demi-siècle. Un raz-de-marée électoral a porté le Parti démocrate japonais (PDJ) au pouvoir. Depuis, trois Premiers ministres ont défilé et le PDJ s'est déchiré. Il a abandonné ses promesses l'une après l'autre, à commencer par l'amélioration des prestations sociales et les mesures contre la précarité de l'emploi. Aucune réforme sociétale n'a été menée : ni l'abaissement de l'âge de la majorité, toujours fixé à 20 ans, ni la remise en cause de la peine de mort. La raison ? L'incapacité du gouvernement à contrôler les Assemblées, en raison de la perte du Sénat, dès 2010, mais aussi des dissensions au sein du PDJ.
L'accident nucléaire de Fukushima, le 11 mars 2011, ne semble pas avoir provoqué les remises en question qu'on pouvait en attendre. La quasi-nationalisation de Tepco, l'opérateur de la centrale, va faire retomber sur le contribuable l'essentiel du coût des dégâts, des indemnisations et de la réhabilitation du site. Les sondages ont beau montrer que les Japonais sont désormais massivement hostiles au nucléaire, les compagnies d'électricité et les autorités entendent faire redémarrer les cinquante-quatre réacteurs de l'archipel, dont la totalité s'est trouvée brièvement à l'arrêt, à la fin mai. Deux ont été remis en service depuis, sur la foi de tests de résistance menés sur ordinateur selon des critères gardés secrets.
Le pays est le théâtre de manifestations telles qu'il n'en connaissait plus depuis des décennies : le Premier ministre parle de « bruit »... Les pétitions demandant des référendums locaux sur le nucléaire - celle de Tokyo a rassemblé plus de 300 000 signatures - sont systématiquement rejetées par les assemblées régionales, tous partis confondus.
Combats d'ego destructeurs
Jamais le fossé entre les citoyens et la classe politique n'a été aussi grand, ni les gouvernants aussi impuissants face à la conjoncture. Quelles leçons peut-on en tirer ? Qu'un régime parlementaire trop puissant face au pouvoir exécutif fait difficilement face aux crises. Que les combats d'ego sont destructeurs : la guerre entre les premiers ministres successifs et le secrétaire général du PDJ a beaucoup contribué à l'échec des démocrates japonais (avis au PS autant qu'à l'UMP...). Que la tendance des ministres novices à précipiter les annonces pour accroître leur exposition médiatique, dont le premier cabinet démocrate a beaucoup souffert, est mauvaise conseillère (la « normalité » prudente en est légitimée...).
Autre leçon : la souffrance sociale (le taux de pauvreté atteint 17 % au Japon, contre 12 % chez nous) et la frustration des citoyens font le succès du populisme simpliste et du repli sur soi : les partis qui préconisent de décimer la classe politique, en supprimant le Sénat et la moitié des députés, ont le vent en poupe dans l'archipel, tout comme les partis régionaux... Enfin, les grands lobbies ont partie inextricablement liée avec la classe politique, l'administration et nombre de médias, ce qui leur permet d'esquiver aussi bien leurs responsabilités que le mécontentement de l'opinion...
Venant d'un pays dont la tradition politique est si différente de la nôtre, ces leçons prennent plus de poids. Sans compter que le Japon, où cette base de la démocratie qu'est l'alternance a tant déçu, est le premier porte-drapeau de la démocratie en Asie, face au régime néo-stalinien de la Chine conforté par son succès économique.