Les politiques occidentales et la tragédie syrienne
La tragédie syrienne connaît-elle un tournant vers une perspective positive, en ce milieu de novembre 2012 ? La constitution d’une coalition réunissant toutes les tendances de la résistance et tous ses groupes ethniques ou religieux, sa prompte reconnaissance par les pays du Golfe, par la France, par la Turquie et, de manière plus hésitante ou ambiguë, par les Etats-Unis, auront-elles pour conséquence la levée des obstacles à la livraison d’armes anti-aériennes ? C’est possible. La crainte qu’elles ne tombent entre les mains de terroristes islamistes, et donc l’embargo européen sur les armes pour la Syrie et le veto américain opposé aux velléités de l’Arabie saoudite et du Qatar seront-ils levés ? L’idée de protection des "zones libérées" lancée par François Hollande préfigure-t-elle une zone de non-survol ? L’équilibre militaire rétabli amènera-t-il la chute de Bachar el-Assad ? Même s’il en était ainsi, ce qui semble hautement désirable mais nullement certain, les horreurs et les blessures du passé, les dizaines de milliers de morts, les villes détruites, ne seront pas effacés pour autant, ni les responsabilités des politiques ou plutôt des non-politiques occidentales.
Pendant toute une année, des foules manifestant pacifiquement en faveur des réformes ont été accueillies par des fusillades, des tortures et des bombardements. Si jamais la "responsabilité de protéger" proclamée par l’ONU en 2005 devait s’appliquer sans équivoque, c’est bien dans ce cas-là, beaucoup plus clairement que dans celui de la Libye. Les puissances occidentales ont assez tôt déclaré que Bachar el-Assad devait négocier, puis qu’il devait partir, mais n’ont accompagné ces déclarations d’aucune action effective, que ce soit à cause du blocage du Conseil de sécurité par la Russie ou la Chine, ou à cause de la crainte d’une militarisation et d’une djihadisation de la révolution.
Dans une deuxième phase, le massacre unilatéral s’est transformé en guerre civile, avec des insurgés plus efficaces et moins désarmés, en partie venus de l’extérieur, rompus à la guérilla, et une répression de plus en plus féroce et indiscriminée, s’acharnant sur les populations civiles, produisant des centaines de milliers de réfugiés et encourageant l’extension de la violence aux pays voisins. L’Iran aide activement Bachar el-Assad par des armes, des instructeurs, et même des combattants, le Hezbollah libanais aussi. La Russie, moins active, continue ses livraisons de matériel militaire, Lakhdar Brahimi succède à Kofi Annan au nom de l’ONU pour proposer en vain un dialogue, et les Occidentaux livrent "des armes non létales" contre des bombardements massifs !
Un certain équilibre s’établit par lequel le gouvernement ne peut venir à bout de la révolte et celle-ci ne peut renverser celui-là, mais les violences augmentent, avant tout du côté du régime, mais aussi du côté des djihadistes affiliés ou non à Al Quaida.
Ainsi les craintes – en partie fondées – par lesquelles les Occidentaux justifient leur passivité autre que verbale se révèlent comme des alibis auto-réalisateurs, puisque plus ils attendent passivement, plus leurs ennemis en profitent avec la perspective soit de maintien du régime soit de son remplacement par une combinaison de chaos, de conflits ethniques et de domination islamiste.
Pour éviter ce résultat, les Occidentaux doivent de toute urgence agir énergiquement mais indirectement pour la victoire de la révolution et la chute de la maison Assad, tout en s’efforçant de limiter ou de contrôler l’action de leurs alliés du Golfe, qui risquent d’aider leurs pires ennemis ou de les entraîner dans une guerre générale des sunnites contre les chiites.
A supposer qu’ils arrivent à naviguer entre ces périls, en évitant l’aventure d’une intervention militaire mais en aidant le peuple syrien à se débarrasser d’une dictature barbare, l’avenir pacifique et démocratique de la Syrie serait loin d’être garanti. Les plus lucides des adversaires du régime appellent de leurs vœux la présence, après sa chute éventuelle, d’une force puissante de l’ONU capable d’éviter les vengeances, voire la désintégration du pays et de surveiller sa reconstruction. Les pièges seraient nombreux. De qui cette force de l’ONU serait-elle composée ? Ni la présence militaire des Occidentaux ni celle des voisins de la Syrie ne seraient acceptables dans ce rôle : les premiers déclencheraient le réflexe anti-impérialiste, les seconds la crainte d’un dépeçage du territoire syrien. Ni les précédents ni le contexte économique et politique international ne sont très favorables.