L'Inde, partenaire stratégique
Tribune publié le 14 février 2013, en partenariat avec Ouest France
François Hollande est arrivé en Inde. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, un président français rend une visite d'État au chef de l'exécutif indien avant d'aller à la rencontre de son homologue chinois. Les chancelleries des deux géants asiatiques y ont vu un signe. On l'espère fondé, tant la France partage avec « la plus grande démocratie du monde » des valeurs encore absentes sur la scène chinoise.
Le voyage de François Hollande vient à point nommé pour rappeler cette différence et pour relancer une relation trop longtemps dominée par les grands contrats. Certes, cette visite permet de maintenir la pression commerciale à propos de la vente des avions Rafale et des réacteurs nucléaires EPR, mais François Hollande n'a pas fait le déplacement pour quelques signatures qu'il sait improbables.
C'est l'occasion d'intensifier un dialogue stratégique maintenant bien établi. Les sujets ne manquent pas : l'Afghanistan après le retrait de l'Otan en 2014 ; la lutte contre le terrorisme ; la sécurité dans l'océan Indien où la France a des intérêts (à commencer par La Réunion) et où l'Inde s'inquiète de la présence chinoise de plus en plus visible, etc.
Non que Paris et New Delhi soient d'accord sur tout. Sur le dossier syrien, par exemple, l'Inde continue de prôner la non-intervention au nom de la souveraineté des États (et par peur des islamistes). Quant à l'Iran, partenaire de l'Inde susceptible de lui permettre d'accéder à l'Afghanistan et de prendre le Pakistan en tenaille, elle ne souhaite pas le soumettre à davantage de sanctions. Mais ces différends n'empêchent pas les deux pays de se concerter et de tenter de rapprocher leurs positions.
Malheureusement, François Hollande débarque dans un pays en proie à un certain trouble. Après dix ans de croissance à 7 %, le rythme de l'expansion indienne est retombé l'an dernier à 5,5 %. Face à ce ralentissement, le gouvernement de Manmohan Singh fait preuve d'une certaine passivité. Il est d'abord paralysé par les partenaires de son parti, le Congrès, au sein d'une coalition parlementaire riche d'une demi-douzaine de formations (des partis régionaux pour la plupart). Le Congrès lui-même est divisé entre les partisans d'une politique de l'offre, qui mise sur les élites entrepreneuriales, et ceux qui s'inquiètent du creusement des inégalités induit par cette logique libérale. De fait, la croissance récente a permis à la classe moyenne urbaine de s'enrichir, mais elle a laissé les campagnes en plein désarroi, à quelques exceptions près.
À cela s'ajoute une crise morale liée au viol collectif et à l'assassinat d'une étudiante de Delhi en décembre dernier et à des scandales sans précédent par leur ampleur. C'est ainsi que le ministre des télécoms aurait soustrait 38 milliards de dollars au budget de l'État lors de l'octroi à vil prix - contre pots-de-vin de licences de téléphonie à des opérateurs indiens et étrangers appartenant tous aux multinationales du secteur. Ces scandales ont été à l'origine de manifestations monstres de la part de la classe moyenne.
Un tel contexte n'était pas favorable à la signature de contrats commerciaux, mais il se prête sans aucun doute à une relance du partenariat stratégique entre les deux pays.