Penser l’action multilatérale : un programme de recherche reconnu et soutenu par le CNRS
Par Frédéric Ramel et Guillaume Devin
"Il faut graver sur les frontispices du palais : je soutiens les forts et je réduis les faibles au silence sans effusion de sang". Les mots d’Einstein à l’égard de la Société des nations sont sévères. Ils participent d’une critique sans concessions à l’égard de ce que fut la première organisation intergouvernementale de sécurité à vocation universelle. Les Nations unies n’essuient pas de telles salves, elles qui ont contribué en partie à l’instauration d’une paix relative entre Etats depuis 1945. Néanmoins, l’esprit des années 1990 favorable à son regain d’investissement est aujourd’hui bien loin. Elles traversent une très grave crise qui présente au moins une triple dimension.
Une crise politique liée à un désinvestissement de certains Etats influents. Le way of life multilatéral s’étiole jusqu’à envisager parfois l’extrême : à savoir des stratégies d’exit cultivées par certains Etats multipliant les conduites de retrait, de blocage ou de capture des institutions. Une crise de fonctionnalité en raison des tensions qui entourent leur légitimité, leur représentativité et leur efficacité. Une crise de normativité nourrie par une opposition en termes de valeurs entre les pays des Suds et les pays occidentaux, notamment quant aux droits humains. Une telle configuration oblige, plus que jamais, à penser l’action multilatérale. Elle qui se décline bien au-delà des enceintes intergouvernementales stricto sensu.
En effet, les études consacrées à cet objet représentent un domaine qui dépasse le champ des organisations intergouvernementales et s’étend à toutes formes de coopération internationale plus ou moins institutionnalisées. Elles portent également sur les groupes ad hoc que sont le G8, le G20, en passant par les conférences mondiales tout en ne réduisant pas le multilatéralisme à une simple technique. Celui-ci correspond aussi et surtout à un espace de négociation politique qui s’étend à un nombre croissant d’acteurs qu’ils soient publics, ou non-étatiques et privés.
Une dynamique de recherche collective a été soutenue il y a quelques années par l’Association française de science politique (AFSP) sous la forme d’un groupe de projet qui a réuni pendant cinq ans (2011-2016) plus de trente chercheurs de différents statuts, disciplines et institutions françaises et internationales, révélant l’existence d’un fort potentiel dans ce domaine de recherches. Cette expérience a favorisé la mise en place d’un dialogue pluridisciplinaire.
Ce premier GRAM - groupe de recherche sur l’action multilatérale - a continué son existence sous forme du GRAM-CERI, dont le pivot est un séminaire comprenant des séances participatives fondées sur un partage d’expériences de terrain ainsi que l’organisation régulière de journées d’études thématiques. La liste de diffusion du groupe comporte aujourd’hui plus de 200 membres.
Le 1er janvier 2020, le GRAM est devenu un Groupement de recherche sur l’action multilatérale, structure labellisée et financée par le CNRS. Coordonné par le CERI et composé de dix partenaires (CASE à l’INALCO, Centre Emile Durkheim à Sciences Po Bordeaux, Centre Michel de L’Hospital à l’Université d’Auvergne, CERAPS à l’Université de Lille 2, CRDT à l’Université Reims Champagne Ardenne, CRESSPA à Paris 8, IREDIES à Paris 1, LaSSP à Sciences Po Toulouse, PACTE à Grenoble, Printemps à l’Université Paris Saclay). Il s’est défini quatre objectifs principaux :
La montée en puissance des dispositifs de recherche existants
Le séminaire du GRAM mensuel au sein du CERI adoptera un rythme plus resserré toutes les trois semaines. Espace de dialogue quant aux recherches en cours ou en phase de dissémination, le séminaire est un pivot qui comprend une dimension pédagogique eu égard aux participants (des étudiants de Master et des doctorants sont régulièrement présents). Il est d’ailleurs validant pour le parcours des doctorants en première année qui, en relations internationales, travaillent sur les questions multilatérales. Le public comprend une part de professionnels (diplomates, experts d’organisations intergouvernementales, responsables d’organisations non-gouvernementales). L’organisation annuelle d’une journée d’études, qui pourra avoir lieu à tour de rôle dans les différents laboratoires membres du GDR, aura pour objectif de pérenniser la préparation des publications collectives qui constituent une des marques de fabrique des expériences menées jusqu’à présent et que le GDR entend amplifier.
Une dissémination accrue
L’ambition est de soutenir la présence des membres du GDR dans le cadre de différents congrès. L’espace naturel de déploiement correspond au cadre institutionnel en cours de constitution au sein de l’AFSP, "Mondialisation, circulation, transnationalisation". Les autres cibles consistent à favoriser la mise en place d’un panel annuel consacré à l’action multilatérale au sein de l’International Studies Association, de l’International Political Science Association, et de la European International Studies Association lors de leurs congrès annuels.
La création d’un observatoire du multilatéralisme
La visibilité des chercheurs qui travaillent sur la thématique du GDR est un impératif afin de générer une plus grande circulation de l’information tant au sein de la communauté académique qu’en dehors. Cette plateforme aura pour ambition d’être le point d’entrée pour tous ceux (universitaires ou praticiens, étudiants ou enseignants, chercheurs) intéressés par les enjeux contemporains du multilatéralisme. L’observatoire aura vocation à devenir un centre de ressources numériques pour les chercheurs et les praticiens. De ce point de vue, la mise en place d’une plateforme au-delà de l’identification des chercheurs est un élément structurant incontournable.
Le renforcement des liens avec les praticiens des organisations intergouvernementales
De l’accompagnement des jeunes chercheurs dans l’organisation d’ateliers et de journées d’études, à la mise en place de rencontres régulières sur l’état des connaissances jusqu’à l’aide à l’émergence d’appels d’offres ANR ou de projets européens, le GDR favorise la promotion de thématiques relatives à l’action multilatérale.
Une telle création sonne à la fois comme une reconnaissance d’un travail accompli depuis de longues années par des équipes dispersées mais très mobilisées dans la promotion de la sociologie des organisations internationales. Elle ouvre également un sentier qu’il convient de soutenir sur le temps long car il n’y a pas d’autre choix dans l’actuel système mondial. La stratégie du cavalier seul ne peut pas constituer une option face à l’ampleur des enjeux globaux.