Police et 'bureaucratisation de l'infortune'. Entretien avec Jérémie Gauthier

05/09/2024
Jeremie Gauthier

Jérémie Gauthier est sociologue, maître de conférences à l’Université de Strasbourg, spécialiste des questions de police et de sécurité avec un intérêt particulier pour ce qu'il nomme la "bureaucratisation de l'infortune". Il rejoint le Centre de recherches internationales dans le cadre d’un détachement d’une année, au cours de laquelle un certain nombre de collaborations sont prévues. Jérémie répond à nos questions sur son parcours, et ses projets dans le cadre d’un court entretien.

Vous rejoignez le CERI dans le cadre d’un détachement, pour une année. Pouvez-vous nous présenter vos grandes thématiques de recherche?

Je m’intéresse à la manière dont les sociétés organisent le contrôle institutionnalisé des déviances à travers notamment l’action des polices et la manière dont celles-ci interagissent avec les populations gouvernées. Je pars du principe selon lequel l’analyse de l’action policière, tant du point de vue des policiers que de celui des gouverné.es, constitue un excellent moyen pour étudier plus largement les rapports de domination, la capacité des États à exercer une autorité (ou non) sur leurs administré.es, les ressorts de la légitimité accordée (ou non) à ces derniers, ou encore la nature des régimes politiques. Je m’intéresse actuellement aux rapports socialement différenciés que les individus entretiennent avec les polices, notamment lorsqu’il s’agit de leur adresser des sollicitations : demandes de renseignement ou d’intervention, dépôts de mains courantes, dépôts de plaintes, etc. Cette fonction policière de réponse à une demande sociale, que j’appelle la « bureaucratisation de l’infortune », m’intéressera particulièrement dans les mois à venir.

Vous vous intéressez donc à la police, notamment en France, par une approche sociologique. Envisagez-vous de profiter de votre séjour au sein du Centre de recherches internationales pour enrichir vos travaux d’une perspective comparative et internationale ?

Comme beaucoup d’enseignant.e-chercheur.es de ma génération, mon parcours a été marqué par une forte mobilité. J’ai réalisé une thèse en cotutelle franco-allemande au Centre de recherche sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et à l’Institut Max Planck de droit pénal et de criminologie de Fribourg-en-Brisgau. J’ai ensuite participé à de nombreux projets de recherche en France comme en Allemagne. Je suis également chercheur associé au Centre Marc Bloch de Berlin. En 2018, j’ai été recruté comme Maître de conférences en sociologie à l’Université de Strasbourg et chercheur au Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles (LinCS).

Mon parcours se caractérise donc par de nombreux allers-retours entre la France et l’Allemagne. Au sein du CERI, je souhaite élargir mes horizons de recherche en collaborant avec des collègues travaillant sur des thématiques connexes hors de France, afin de mieux comprendre ce que l’imposition de la domination étatique doit aux activités des polices, à partir d’enquêtes conduites sur des terrains étrangers au sein de régimes politiques proches ou éloignés du cas français. J’envisage donc mon séjour au CERI comme, entre autres, une excellente occasion d’éroder un certain nombre de frontières, notamment celles relevant des terrains d’enquêtes, des épistémologies ou encore des disciplines.

Quelle est votre méthodologie de recherche?

J’ai réalisé de nombreuses enquêtes ethnographiques au sein des polices françaises et allemandes pour y observer et comparer notamment les activités de police-secours, de police judiciaire, de renseignement, de maintien de l’ordre ou encore d’accueil des publics. Je conduis également des enquêtes par entretiens tout en observant les interactions des individus avec les forces de l’ordre au fil du temps.

Je travaille aussi de manière quantitative. À partir d’archives de la justice pénale, comme j’ai pu par exemple le faire lors d’une recherche sur les personnes condamnées pour « homosexualité » en France entre 1942 et 1981. Mais également à partir d’enquêtes par questionnaire auprès d’échantillons représentatifs de la population française destinées à sonder les représentations et expériences concrètes que les gouverné.es ont des forces de l’ordre.

Propos recueillis par Miriam Périer, CERI.

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