Politiques du moment colonial. Historicités indigènes et rapports vernaculaires au politique en « situation coloniale »
Malgré un récent retour en force des études du « fait colonial », accompli au sortir d’une période d’innovations théoriques majeures, il est encore souvent un point aveugle de l’analyse des situations de « rencontre » impériale ou coloniale des 17e, 18e et 19e siècles : le domaine des pratiques et des entendements ‘‘indigènes’’ (nous dirons plutôt : vernaculaires) peu ou pas finalisés par le rapport, contraint ou volontaire, aux Européens. Or, la prise en compte de ce ‘‘hors-champ indigène’’ du monde colonial – pensé ici comme une configuration de situations régies par des « régimes d’historicité » distincts – autorise une compréhension renouvelée de l’historicité des sociétés politiques asiatiques, océaniennes ou africaines. Elle implique en particulier d’interpréter le moment colonial de ces sociétés à l’aune de leurs propres trajectoires au long cours, déployées sur des siècles, et donc entamées bien avant « la venue des Européens » (laquelle ne fit pas toujours, loin s’en faut, ‘‘événement’’ parmi les lettrés locaux). Cette perspective de recherche oblige également à repenser à sa juste mesure l’enracinement toujours partiel et précaire des dominations coloniales, et ce faisant à renoncer à faire de la rencontre avec l’Europe l’axe unique des chronologies extraeuropéennes. Elle permet, enfin, à rebours des commodités trompeuses du paradigme désormais dominant de « l’appropriation indigène de la modernité coloniale/européenne », de pousser l’analyse au-delà de la simple assignation d’une agency (capacité individualisée d’action) aux Indigènes, et notamment d’interroger les constructions locales, vernaculaires, de l’intentionnalité et du rapport au temps.
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