Critique internationale - Sommaire
De nombreux travaux sur la Bosnie d’après-guerre se servent généralement des accords de Dayton comme grille d’analyse pour évaluer les transformations sociales et politiques des dix dernières années. Ce faisant, elles restent prisonnières du vocabulaire et de l’agenda politiques de la « communauté internationale », et laissent en dehors de leur champ d’analyse des phénomènes aussi importants que l’évolution des identités sociales nées de la guerre ou les nouveaux modes d’allocation clientéliste des ressources. Or seule la prise en compte de ces réalités complexes permet de comprendre l’état de la société bosnienne contemporaine et l’impact réel de l’action internationale, et de s’interroger sur les conditions d’émergence d’une communauté politique partagée en Bosnie-Herzégovine.
Tout en étant attentif à l’ensemble de l’Irak, qui connaît une ethnicisation rapide des rapports interconfessionnels, cet article présente la nouvelle donne de la question kurde dans ce pays. Échappant partiellement à la vague de violence qui secoue le pays, le Kurdistan irakien est désormais le théâtre d’une construction du pouvoir qui dispose de la plupart des prérogatives étatiques et sert de référence à l’ensemble de l’espace kurde au Moyen-Orient. Dans un contexte où la composante kurde devient un élément fédérateur de l’Irak dans sa totalité, la gestion du « passé national » s’avère complexe, voire douloureuse. Si les luttes passées contre Bagdad font partie de l’héritage nationaliste, le traumatisme de la guerre civile intra-kurde (1994-1996) sert de garde-fou pour rappeler aux Kurdes qu’une guerre « fratricide » est avant tout une guerre de « destruction de soi ».
Après le retrait des États-Unis en 2001, le sort du protocole de Kyoto dépendait entièrement de l’attitude de la Fédération de Russie. Les dirigeants russes ont utilisé cette situation pour tenter d’obtenir des avantages politiques et économiques sur la scène internationale. L’article présente les forces internes et les principaux acteurs qui ont soulevé une controverse pour ou contre la ratification. Avec l’entrée en vigueur du protocole, il est apparu que la Russie remplirait sans effort ses engagements en terme de stabilisation des émissions de gaz à effet de serre, qu’elle n’avait pas de politique publique en matière d’énergie pour faire face aux changements climatiques et qu’elle n’était pas prête à tirer des bénéfices de son implication dans le régime de Kyoto. Cela tient essentiellement à l’absence d’un cadre institutionnel légal nécessaire pour la mise en œuvre interne du traité. Dans le contexte russe, ces difficultés s’expliquent par la lutte en cours pour la mainmise sur le secteur énergétique ainsi que par la compétition que se livrent les autorités fédérales et les élites régionales pour le contrôle des ressources naturelles.
La Chine est la première puissance démographique mondiale. Le contrôle de la population, qu’il s’agisse de sa croissance, de sa répartition sur le territoire ou de sa mobilité, y représente de ce fait un enjeu majeur qui, depuis les années 1950, a fait l’objet de diverses politiques autoritaires destinées à servir des intérêts tant économiques que politiques et stratégiques. Depuis 1949 et l’avènement de la République populaire, deux phases distinctes ont marqué le pays : celle d’un socialisme « dur », sous Mao Zedong, jusqu’à la fin des années 1970, et celle du libéralisme économique, avec les réformes lancées par Deng Xiaoping en 1978. En dépit de cette rupture liée à la refonte du système économique une certaine continuité a marqué les objectifs qui ont sous-tendu ces politiques de population. Parmi celles qui ont laissé les traces les plus visibles sur le paysage démographique chinois : la politique de contrôle de la mobilité, qui a longtemps permis de contenir l’urbanisation ; la politique de rééquilibrage du développement régional, qui participe de la volonté d’unification nationale ; et enfin la politique de limitation des naissances, à l’origine d’une transition démographique accélérée. Nous proposons ici de voir dans quel contexte ces politiques ont été mises en œuvre, et comment elles ont pu évoluer, ou ne pas évoluer, au fil des décennies.
Analysant l’évolution politique de Hong Kong depuis la crise du SRAS, au printemps 2003, l’article montre que le territoire se situe au confluent de trois transitions majeures (démocratique, économique et culturelle, dans sa dimension de société postcoloniale) dont la conjonction nourrit une crise de la gouvernance. Cette situation facilite la diffusion d’une culture de la mobilisation politique. Inversement, les élections législatives de septembre 2004 ont révélé un réel désenchantement à l’égard des organisations politiques les plus instituées, notamment le Parti démocrate. Un tel sujet soulève celui, plus général, des perspectives de changements politiques dans le reste du continent chinois car, à la complexification de la culture politique locale, s’ajoutent des conflits croissants entre les modèles constitutionnels de Hong Kong et de Pékin. Ainsi, Hong Kong se trouve confronté au défi de devoir résister juridiquement et politiquement au modèle de centralisme démocratique de la Chine populaire sans apparaître comme antipatriot
Dans le secteur pharmaceutique, l’émergence d’un espace politique européen s’est traduite par la création d’un marché des autorités sanitaires. Or les effets potentiellement négatifs de la concurrence réglementaire sont connus depuis longtemps. Cet article discute ainsi l’hypothèse parfois avancée d’un affaiblissement du contrôle public dans ce domaine. Après avoir mis en évidence le renforcement d’une concurrence réglementaire, à la fois territoriale et institutionnelle, depuis les années 1960, l’auteur en identifie les conséquences problématiques. Il affirme cependant que les déterminants économiques de la concurrence réglementaire ne doivent pas faire oublier que la rivalité entre autorités du médicament a été surtout, depuis les années 1970, une confrontation des expertises qui a nourri le renforcement de leurs capacités de contrôle. La concurrence a, par ailleurs, toujours été encadrée par des efforts conjoints de normalisation et de coopération.
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L’expérience britannique dans la négociation du traité constitutionnel est instructive et paradoxale. En ce qui concerne le Royaume-Uni, la façon dont ses préférences ont été élaborées met en cause les assertions de l’intergouvernementalisme libéral, théorie dominante en la matière. Sur le Traité constitutionnel, le New Labour a adopté une approche positive et constructive fort différente de l’attitude des précédents gouvernements, mais son refus de mobiliser l’opinion publique intérieure a contribué à empêcher l’avènement de ce qui aurait été une «Constitution britannique». Si les circonstances lui ont évité de tenir le référendum qu’il avait promis, le gouvernement n’a finalement réussi qu’à s’aliéner ses partenaires européens à l’étranger et, sur le front intérieur, à laisser les eurosceptiques remporter une victoire par défaut.
Cet article met en lumière le poids des facteurs institutionnels dans la détermination des préférences françaises quant à l’avenir de l’Europe. Le gouvernement français a été obligé de prendre acte du reformatage du débat à la Convention et de l’héritage institutionnel européen. Cette logique institutionnelle a été prépondérante par rapport aux ambitions de puissance nationale, aux considérations sur l’efficacité du processus de décision et à la vision de l’Europe des dirigeants français. Elle a ensuite plombé le débat du référendum, car elle n’a jamais été positivement assumée.
Les préférences constitutionnelles exprimées par l’Italie à la Convention européenne n’ont guère différé de celles qui apparaissent finalement dans le projet de traité, du moins en ce qui concerne les principales dispositions constitutionnelles, contrairement à certaines analyses exprimées au début du processus, selon lesquelles le gouvernement Berlusconi n’était plus sur les positions italiennes traditionnelles (préférence pour des solutions fédérales et des institutions centrales plus fortes). Toutefois, il semble bien que, depuis lors, une forme d’euroscepticisme se fasse jour au gouvernement, dans un contexte de tensions au sein de la coalition et de difficultés économiques et budgétaires. Pour le moment, c’est surtout le rôle de la Commission qui est contesté mais on peut s’attendre à voir s’étendre les critiques à d’autres questions institutionnelles, surtout si la construction européenne devient, pour la première fois en Italie, un terrain de bataille électorale entre les partis.
Cet article examine les préférences de la Commission européenne et leur formation à l’occasion de la Convention et de la négociation du traité constitutionnel. Contrairement à l’interprétation du « choix rationnel », pour laquelle l’action de la Commission s’explique par la tendance de tout acteur bureaucratique à rechercher une maximisation de son pouvoir, de son statut et de ses opportunités, la thèse est ici qu’il faut plutôt voir dans la Commission une arène intérieurement différenciée au sein de laquelle les préférences se forment par l’effet d’interactions complexes impliquant le maniement du pouvoir, des « mythes institutionnalisés » et des routines. Par ailleurs on constate que, par comparaison avec les révisions antérieures du traité, la Commission a été cette fois un acteur inefficace. Non seulement parce qu’elle a commis des erreurs tactiques et stratégiques, mais aussi parce qu’elle était désavantagée par la nature explicitement politique de l’exercice et par une structure d’opportunité, celle de la Convention, très différente de celle des Conférences intergouvernementales habituelles.
Isam al-Khafaji, Tormented Births : Passages to Modernity in Europe and the Middle East, Londres, I. B. Tauris, 2004, 389 pages.
John R. Bowen, Islam, Law, and Equality in Indonesia An Anthropology of Public Reasoning, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, 289 pages.
Yves Buchet de Neuilly, L’Europe de la politique étrangère, Paris, Économica, 2005, 256 pages
Aminata Traoré, Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général, Paris, Fayard, 2005, 185 pages.