Critique internationale - Sommaire
Les expressions radicales du religieux dans les contextes laïques sont autant de défi s qui conduisent les tenants du séparatisme à réfl échir, voire à modifi er les termes de l’articulation entre les Églises et l’État. Les confi gurations française, américaine, russe et israélienne se présentent ainsi comme autant de réactions de l’esprit de laïcité face aux visées de l’esprit de religion. Résistance, accommodements, instrumentalisation ou institutionnalisation, il s’agit toujours d’intégrer le fait moderne de la vivacité religieuse et d’enregistrer la présence légitime des croyances comme composantes du débat public.
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Le retour sur deux affaires juridiques fortement médiatisées en 2008 – celle dite « de la virginité » et celle dite « de la burqa » – illustre la puissance de résistance de l’esprit de laïcité à l’esprit de religion en France. Ces deux affaires ont été l’occasion de confirmer et de consolider le consensus républicain forgé en 2004 autour de la loi interdisant le port des signes religieux dans les écoles publiques. Ce consensus pose des limites strictes à la reconnaissance des particularismes culturels et religieux (en particulier musulman) dans la République. Il convient cependant de mettre à nu certaines de ses ambiguïtés, notamment la confusion qu’il opère entre des arguments tirés du droit républicain et des arguments tirés de la culture française. À ce républicanisme conservateur on opposera un républicanisme critique, qui prend soin de ne pas postuler que les institutions et normes spécifiques à une communauté particulière – fut-ce la République française – sont d’emblée conformes aux principes républicains. Un raisonnement similaire se retrouve dans le rapport Bouchard-Taylor, qui offre une justification républicaine de certaines pratiques d’« accommodements raisonnables » (Québec 2008), alors qu’il fait largement défaut dans le rapport de la commission Stasi (France 2003).
La question de la peine de mort aux États-Unis révèle un décrochage quasi systématique entre l’opinion des croyants et la position officielle de l’Église dont ils sont membres. Quelle est la signification de ce décrochage ? Au-delà du constat de la faible capacité normative des Églises, l’enquête empirique réalisée dans trois églises américaines met en lumière les registres qui viennent concurrencer, voire évincer le registre religieux, et permet de nuancer les lectures qui font de l’esprit de religion une force surdéterminante de la vie politique américaine. Il s’avère ainsi que le processus de sécularisation de la société américaine ne se manifeste pas par une disparition du champ lexical religieux, mais plutôt par la combinaison du registre religieux à d’autres registres, et par une circulation fluide entre ces différents types d’argumentaires. Si l’on s’attache plus précisément à la façon dont le registre religieux est utilisé, on se rend compte qu’il agit comme un répertoire dans lequel les croyants viennent puiser des outils pour élaborer leur opinion, en réinterprétant de façon parfois radicale le sens premier de ces énoncés jusqu’à faire de l’exécution des criminels un « acte miséricordieux ».
L’État russe est formellement un État laïque. Plusieurs éléments tendent pourtant à prouver que le principe de laïcité a bel et bien fait long feu en Russie : l’absence de vrai débat sur cette question précise, le contrôle accru de l’État sur les forces sociales, la visibilité de plus en plus grande de l’Église russe dans l’espace public1 et les persécutions dont sont victimes de nombreuses minorités religieuses. Au-delà de ce constat, fondé sur une approche normative de la laïcité, une réflexion sur la construction sociale des relations entre Églises et État permet de saisir le seuil de laïcisation atteint par la Russie. Celui-ci est le résultat de conflits et de compromis entre acteurs sociaux qui se réclament des principes laïques ou qui, à l’inverse, les condamnent, pour défendre leurs positions. Les relations entre le politique et le religieux sont définies en Russie selon le principe du « pluralisme hiérarchisé » et s’expliquent par une prédominance, dans les représentations, du collectif sur l’individu. En tant qu’élément central de la Tradition, la religion est un facteur légitimateur de l’ordre social. Quant aux représentations de la laïcité, elles se nourrissent autant de l’héritage soviétique que de perceptions libérales.
1.Voir Kathy Rousselet, « Russie : le grand retour de l’orthodoxie ? », Politique internationale, 119, printemps 2008, p. 233-247.
Laïque ? Théocratique ? Le cas de l’État israélien défie les catégories usuelles et suscite bien des confusions alors qu'il requiert une approche nuancée. La cause laïque est elle-même divisée sur le type de combat à mener. Pour les modérés, il s'agit surtout de briser le monopole de l'institution religieuse dans le droit personnel en exigeant, notamment, l'option d'un mariage civil aux côtés du mariage religieux ; pour les plus radicaux, des arrangements de ce type, aussi importants soient-ils, masquent l'ambiguïté intrinsèque qui tient au rapport étroit entre nation et religion, et pas seulement entre la Synagogue et l'État. Après avoir examiné les facteurs de nature politique, culturelle et démographique qui ont donné aux forces religieuses un poids accru dans la vie politique et sociale au cours de ces dernières décennies, il convient de recenser les facteurs qui font contrepoids à cette expansion religieuse, tels que l'intervention active de la Cour suprême dans les affaires religieuses, la prépondérance d'un ethos laïque partagé par les élites économiques, politiques et intellectuelles, et dont Tel-Aviv est le bastion, mais aussi la présence d'immigrants de la CEI, dont une partie ne sont pas juifs en vertu des critères religieux, et celle de travailleurs immigrés établis en Israël de longue date.
Il est ici question d’illustrer la fécondité de l'approche transnationale à travers l'ethnographie des réseaux sociaux que les Hazaras, un groupe originaire du centre de l’Afghanistan, ont développés entre leur pays d’origine, le Pakistan, l’Iran, mais aussi l’Amérique du Nord et l’Australie. Plusieurs thèses sont proposées. Leur vie sociale n’est pas structurée en référence à une résidence commune mais par des liens effectifs de solidarité et d’entraide qui traversent les frontières internationales. La mobilité est un phénomène constitutif de leur mode de vie, tant au niveau socioculturel qu’économique. Même en situation de guerre, la fuite devant la violence n’est pas toujours incompatible avec une véritable stratégie migratoire. La dispersion peut être le résultat d’un choix planifié par lequel les membres des groupes familiaux cherchent à diversifier leurs moyens de subsistance tout en diminuant les risques liés à l’insécurité dans laquelle ils évoluent. La description des territoires circulatoires des Hazaras permet ainsi de relativiser la distinction entre migrations forcées et volontaires.
Au-delà des mouvements commerciaux d’ampleur déployés sur le continent africain à l’initiative des autorités chinoises, d’autres dynamiques plus discrètes se profilent, impulsées par le bas. En effet, une partie des produits chinois qui, hier, étaient acheminés jusqu’en Afrique via Dubaï par les marchands chinois, sont aujourd’hui directement achetés à la source par des commerçants arabes et d’Afrique subsaharienne. Cette étude a pour objectif d’éclairer l’émergence de ce dispositif économique qui contribue à la recomposition des rapports Chine-Afrique. Dans un premier temps, les différentes étapes de la progression vers l’Est des marchands arabes et d’Afrique subsaharienne sont reconstituées, tout en considérant que ces deux groupes d’entrepreneurs, n’ayant ni le même poids démographique ni la même surface financière, approvisionnent des marchés d’ampleurs incomparables. Dans un deuxième temps, les figures plurielles de traders africains sont déclinées, tandis que sont présentées pour finir les recompositions spatiales que leur présence génère dans les villes de Hong Kong, Guangzhou et Yiwu
Au moment où le régime cubain passe du « fidélisme » au « raulisme », la question du positionnement du monde catholique dans le « postcommunisme » paraît pouvoir se poser. La reprise d’une influence réelle sur la société cubaine, après de nombreuses années de confrontation avec un pouvoir qui occupe l’essentiel des champs politique, social et culturel, ne va pourtant pas de soi. En dépit d’une position institutionnelle unique face au régime, l’Église catholique demeure marginalisée. Son manque de relais dans la société comme sa difficulté à échapper à son passé colonial contribuent à son isolement. Dans ces conditions, la hiérarchie catholique s’appuie sur un travail de terrain plus pastoral que politique. Cependant, une partie des catholiques s’efforcent de contribuer à l’émergence d’une hypothétique « société civile » en faisant de l’institution religieuse un acteur parapolitique susceptible de préparer le « postcommunisme ». Cet effort passe par un travail mémoriel d’(auto)réhabilitation du catholicisme tant vis-à-vis du passé cubain que de la cubanité actuelle. Il passe également par une tentative de redéfinition des normes civiques et morales, dans la perspective d’une participation active à un éventuel travail de réconciliation nationale. Pour autant, ces efforts restent limités par les faiblesses structurelles de l’Église cubaine et par l’ambivalence de ses choix.
De quelques ouvrages récents sur le Hezbollah
Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie : les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007, 335 pages.
Philippe Droz-Vincent, Vertiges de la puissance : le « moment américain » au Moyen-Orient, Paris, La Découverte, 2007, 370 pages.
Will Kymlicka, Multicultural Odysseys : Navigating the New International Politics of Diversity, Oxford, Oxford University Press, 2007, IX-374 pages.